«Il s’agit de survivre» : de Londres à Paris en passant par Berlin, la crise des restaurants frappe toute l’Europe
Un restaurant dans une rue de Milan, en Italie. Ekaterina Belova / stock.adobe.com
DÉCRYPTAGE – Confronté à une baisse de 10% de la fréquentation depuis 2019, le secteur réclame des allégements fiscaux pour retrouver de la compétitivité et faire face à la pénurie de main-d’œuvre.
Salles clairsemées, terrasses désertées, serveurs désœuvrés : cet été, les Français ont boudé leurs restaurants. En cause, des additions jugées trop salées au regard d’une qualité en baisse. La fréquentation a chuté de 15 à 20 %, selon l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie (UMIH). Et ce malaise ne s’arrête pas aux frontières : des «pubs» de Londres aux «biergartens» de Berlin, c’est l’Europe entière qui semble avoir perdu l’appétit.
Pourtant, jamais les Européens n’avaient autant dépensé pour manger à l’extérieur, à en croire une étude de Circana. La restauration hors domicile dans cinq grands pays européens – Allemagne, Royaume-Uni, France, Italie, Espagne – enregistre en 2025 un chiffre d’affaires record de 340 milliards d’euros, soit une hausse de 10% par rapport à 2019. Oubliées, les années Covid ? Ce serait aller trop vite en besogne. En réalité, ce sont les additions qui s’alourdissent, avec un ticket moyen autour de 30 euros. La fréquentation, elle, est en berne : les visites ont reculé de 10% en six ans.
La pratique du télétravail et l’essor de la livraison, hérités de la pandémie, réduisent mécaniquement le nombre de déjeuners pris à l’extérieur. Mais c’est la question du prix qui prédomine. Encore marqués par les périodes d’inflation à deux chiffres, les consommateurs européens font des arbitrages.
«Pénurie persistante de main-d’œuvre»
«Les gens n’ont tout simplement plus les moyens de sortir aussi souvent qu’avant le Covid. Tout est tellement plus cher ces temps-ci», confie au Figaro Sam Mulliner, un Britannique de 35 ans vivant dans la région des Midlands de l’Ouest. «Résultat, le pub-restaurant de mon village ferme à 22 heures tous les soirs maintenant, au lieu de minuit. Ce n’est pas viable de payer des employés pour faire tourner l’établissement quand il n’y a qu’un ou deux clients», poursuit-il. De son côté, George Gudgeon, 29 ans et habitant de Birmingham, explique que «les salaires n’ont pas vraiment suivi l’inflation». «Au bureau, de nombreux collègues amènent leur propre repas plutôt que d’acheter quelque chose dehors», ajoute-t-il.
Pour beaucoup trop d’entreprises, il ne s’agit plus de croissance, mais de survie.
Kate Nicholls, présidente de UKHospitality, l’organisation qui représente le secteur de la restauration au Royaume-Uni
Si les prix sont aussi élevés, c’est parce que les restaurants font face à une «tempête sans précédent de pressions économiques», affirme Kate Nicholls, présidente de UKHospitality, l’organisation qui représente le secteur au Royaume-Uni. Elle évoque une augmentation «incessante» des coûts aggravée par une «pénurie persistante de main-d’œuvre». «Pour beaucoup trop d’entreprises, il ne s’agit plus de croissance, mais de survie», déplore-t-elle. Le Royaume-Uni est, de loin, le pays le plus touché par la crise avec une chute de 21% de la fréquentation en six ans.
Le taux réduit de TVA, fausse bonne solution ?
Pour Kate Nicholls, le problème réside aussi dans la «pression fiscale excessive». UKHospitality exhorte le gouvernement travailliste de Keir Starmer à aligner le taux de TVA pesant sur la restauration, «l’un des plus élevés d’Europe» (20%), sur celui des voisins. L’Allemagne, deuxième pays le plus touché par la baisse de la fréquentation, vient justement de faire passer son taux de TVA sur la restauration et les services de repas de 19% à 7%, après y avoir longtemps rechigné. Voilà qui pourrait bien aider les restaurants allemands, alors qu’à Berlin, «la qualité baisse, les quantités aussi, mais les prix s’envolent», observe Julien Drouart, un Français expatrié. «Dans mon quartier, si le Chinois et le Vietnamien peuvent compter sur leur fidèle clientèle, un Italien a fermé, la brasserie allemande a perdu en qualité, le kebab résiste et le currywurst survit difficilement», note-t-il.
Il faut éveiller la curiosité de nos enfants, les sensibiliser aux bienfaits d’une bonne alimentation.
Roberto Calugi, directeur de la FIPE, qui représente le secteur de la restauration en Italie.
Mais cet allégement annuel de 3,6 milliards d’euros pour le secteur ne fait pas que des heureux. L’ONG de consommateurs Foodwatch a critiqué la décision du gouvernement allemand, regrettant qu’elle ne différencie pas les restaurants «traditionnels» des fast-foods. Elle parle même d’un «cadeau de plusieurs millions à McDonald’s et consorts». En France, le taux uniformisé de 10% est aussi sujet à critiques. Stéphane Manigold, fondateur du groupe Eclore, et Philippe Etchebest, chef étoilé au Guide Michelin, ont récemment appelé dans nos colonnes à réserver un taux réduit de 5,5% «aux établissements titulaires du titre officiel de maître restaurateur», quand «les autres, ceux qui se contentent de réchauffer, doivent relever du taux normal : 20%».
L’Espagne et l’Italie résistent
Baisser la TVA ? «Pas la bonne solution», rétorque Roberto Calugi, directeur de la FIPE, qui représente le secteur en Italie. Lui propose plutôt d’améliorer les marges et les salaires nets en «baissant le coût du travail», en particulier pour les restaurants familiaux. D’autant que le secteur «a un rôle social en termes d’inclusion». «Travailler dans un restaurant, c’est vraiment un moyen de devenir Italien», affirme-t-il. Par ailleurs, Roberto Calugi ne pense pas que les consommateurs «reviendront dans les restaurants parce que le prix du repas aura baissé d’un ou deux euros». Ce qu’il faut révolutionner, c’est la «culture gastronomique». Et ce, dès l’école : «Il faut éveiller la curiosité de nos enfants, les sensibiliser aux bienfaits d’une bonne alimentation», explique-t-il.
Mais sans doute est-il plus facile de tenir ce discours depuis l’Italie, l’un des pays qui résistent le mieux à la crise (-4% seulement en fréquentation depuis 2019). C’est en partie grâce au tourisme. Mais aussi – et surtout – à une tradition bien ancrée de la pause déjeuner. «Même en octobre, la météo est superbe, les gens adorent être dehors. Pour les jeunes, ce sont des moments de partage, de sociabilisation», observe Roberto Calugi.
Même constat en Espagne, où «les bars, restaurants, cafés et lieux de loisir font partie intégrante de la culture et de la façon de sociabiliser», relève José Luis Álvarez Almeida, président de Hostelería de España. «Ce style de vie typiquement espagnol se transmet aux touristes qui nous rendent visite», ajoute-t-il. Les restaurants du pays n’en traversent pas moins les mêmes difficultés qu’ailleurs en Europe. La faute, selon Hostelería de España, à une «inflation réglementaire» qui «fragilise particulièrement les petites et moyennes entreprises, pourtant créatrices de richesse et d’emplois». La bureaucratie aura-t-elle raison des restaurants européens ?
Par Adrien Bez – A retrouver en cliquant sur Source