Aux États-Unis, Danone revendique avec ses marques (Oikos, Skyr de Danonn…), une part de marché de 27 % sur le rayon des yaourts grecs et hyperprotéinés.

Danone en pole position pour tirer parti de la déferlante des produits anti-obésité aux États-Unis

Aux États-Unis, Danone revendique avec ses marques (Oikos, Skyr de Danonn…), une part de marché de 27 % sur le rayon des yaourts grecs et hyperprotéinés. Olivia Détroyat

RÉCIT – Au pays de la junk food, le groupe accélère sur ses produits hyperprotéinés, un marché alléchant alors que des millions de consommateurs se soignent aux médicaments coupe-faim et que la population vieillit.

Cet été, des petites bouteilles de yaourt à boire, siglées « Oikos Fusion » en lettres blanches sur fond noir, ont fait leur apparition dans les supermarchés Walmart des grandes métropoles américaines. Si cette marque créée par Danone en 2011 (baptisée HiPro en France) est connue des adeptes américains du yaourt grec, une mention sur l’emballage du nouveau produit ne manque pas d’attirer l’attention : « Produit conçu pour aider à reconstruire ou maintenir la masse musculaire, lors d’un régime ou d’une perte de poids. »

Ce type d’allégation est interdit en France, excepté pour les médicaments. Mais outre-Atlantique, l’argument ne manquera pas de faire mouche. Au pays de la malbouffe et où 30 % de la population est obèse, une prise de conscience s’opère progressivement. « Les habitudes alimentaires aux États-Unis changent, même si cela se fait de façon diverse selon les régions », souligne Antoine de Saint-Affrique, le directeur général de Danone, le géant français des produits laitiers, des eaux et de la nutrition spécialisée (27,4 milliards d’euros de chiffre d’affaires).

Si davantage d’Américains sont sensibles à leur équilibre alimentaire, c’est surtout la vague des médicaments anti-obésité dits « analogues » au GLP-1 (Ozempic, Wegovy, Mounjaro pour les plus célèbres) qui est en train de changer la donne. Entrées dans 12 % à 15 % des foyers américains en moins de deux ans, ces injections développées à l’origine pour des patients diabétiques sont désormais massivement utilisées et prescrites comme coupe-faim. Ces traitements sont utilisés par des millions de personnes atteintes d’obésité, mais aussi par celles qui souhaitent perdre du poids. Selon les estimations, entre 45 et 50 millions de patients y ont recours au pays de l’Oncle Sam. Avec un effet inattendu sur leurs habitudes alimentaires : ressentant artificiellement la satiété, 85 % de ces patients développent une aversion pour le gras, le sucré, voire le café ou l’alcool, selon IFF, le spécialiste des arômes pour l’agro-industrie. De quoi provoquer un amincissement rapide mais aussi engendrer des carences.

Des patients dénutris

« Ces patients sont souvent dénutris, avec à la clé des désordres intestinaux et de la perte de muscle. Danone est parfaitement placé pour délivrer la protéine qui permet de pallier ces effets », explique Antoine de Saint-Affrique. De fait, le groupe français qui a fait de la santé par l’alimentation un axe stratégique, compte exploiter à fond cette évolution. Les États-Unis sont son premier marché, avec 25 % de son activité. Grâce à l’acquisition de l’Américain WhiteWave en 2017 et de ses produits végétaux (Silk, Alpro, International Delight…), Danone y possède déjà un portefeuille important de produits pour répondre à ces besoins. C’est le cas du best-seller des laits végétaux Silk, dont le groupe français a sorti une version enrichie en protéines la semaine dernière.

Mais Danone a décidé d’aller plus loin, notamment en rachetant au printemps Kate Farms, qui a permis de doubler les activités de nutrition médicale de Danone sur place (500 millions de dollars). Cette société développe, entre autres, des produits de nutrition spécialisée à haute teneur en protéines pour les personnes atteintes de troubles digestifs, mais aussi pour ces patients sous GLP-1. Signe des temps, le cofondateur de Kate Farms, Brett Matthews, pilote désormais les activités de nutrition médicale nord-américaines de Danone. Il connaît parfaitement le sujet, sa société ayant eu comme actionnaire la fondation propriétaire du laboratoire danois Novo Nordisk, un des poids lourds des traitements anti-obésité (Wegovy et Ozempic). Les deux groupes ont travaillé à améliorer certaines boissons pour répondre aux besoins des patients traités. « Ce phénomène a modifié en profondeur les contours du marché alimentaire aux États-Unis », renchérit Brett Matthews.

La protéine, star de l’alimentation

Que ce soit pour perdre du gras, prendre du muscle ou pallier des carences liées à la prise de médicament anti-obésité, la protéine est devenue la star de l’alimentation aux États-Unis. « C’est actuellement la tendance de consommation la plus forte », insiste Dan Maglioccole président de la zone Amériques pour Danone faisant remarquer que 70 % des consommateurs locaux veulent en consommer plus et que 27 % d’entre eux tentent de perdre du poids.

« Les médicaments GLP-1 n’ont fait qu’amplifier un mouvement préexistant », renchérit l’un des quelque 120 chercheurs du centre de R&D de Danone de Louisville dans le Colorado, où les protéines sont devenues le terrain de jeu privilégié. Chaque année, 1 200 recettes plus ou moins protéinées sont testées dans l’usine pilote de ce site. Certaines finiront dans les linéaires des supermarchés.

Tous acteurs confondus, plus d’une centaine de nouveaux produits ont été lancés outre-Atlantique en 2024 avec des allégations « protéines » ou « fibres », soit deux fois plus qu’en 2023. Mais dans un véritable bric-à-brac, tant les géants de l’alimentaire se sont rués sur cette tendance : chips, pâtes, barres chocolatées, poudres… tout existe désormais en version protéinée. « En tant qu’entreprise guidée par la science, nous devons expliquer que toutes les protéines ne se valent pas. Par exemple, pourquoi une chips riche en protéines ne remplace pas la protéine laitière », souligne Dan Magliocco de Danone. Dans les couloirs du groupe à New York, on estime que le nombre total de lancement de ces produits pourrait à nouveau doubler cette année.

Danone s’attelle à travailler sur le goût, les recettes existantes laissant souvent à désirer – les produits ont souvent une saveur pâteuse. Le groupe français propose des produits exempts de sucres ajoutés, pauvres en gras, et riches en protéines et fibres. Sur chaque emballage, le grammage précis (15, 20, 25 g) de ce macronutriment est indiqué en bonne place. De nouveaux yaourts (grecs ou à boire) ou laits végétaux complètent régulièrement la gamme.

Un coup de fouet pour la croissance de Danone

Cette stratégie fait mouche. Depuis deux ans, ce sont ces produits riches en protéines qui portent la croissance de Danone outre-Atlantique, que ce soient les skyrs, les gammes de yaourt Oikos ou les laits végétaux. Lors des six premiers mois de 2025, le chiffre d’affaires du groupe dans la zone Amérique du Nord a progressé de 2,3 %, après une hausse de 5,2 % en 2024. Les ventes de ses yaourts grecs ont augmenté de 14 % sur un an, et de 30 % par an depuis deux ans sur sa seule marque Oikos.

Danone n’est pas le seul groupe français à s’être engagé sur ce nouveau créneau aux États-Unis. Depuis deux ans, son concurrent Bel constate, sur le marché américain, un bond des ventes de près de 10 % pour certains de ses produits, comme Pom’Potes ou Babybel pour lequel il a lancé outre-Atlantique une version enrichie aux probiotiques. L’autre géant français du lait, Lactalis, vient lui aussi de lancer un yaourt spécifique (:ratio Pro-Fiber) ciblant plus largement les consommateurs américains soucieux d’adopter une alimentation plus saine.

Mais le propriétaire d’Activia, Actimel et Evian ne veut pas compter que sur l’engouement pour les médicaments anti-obésité et ses effets sur l’alimentation. D’abord, car l’intérêt des protéines à haute dose commence à être remis en cause par les nutritionnistes. Mais surtout parce que les modes alimentaires peuvent évoluer, aux États-Unis comme ailleurs. La taille du marché des produits « compagnons au GLP1 » fait l’objet de débats : en fonction de l’ampleur finale de la diffusion des traitements anti-obésité dans la population, il pourrait osciller du simple au double selon les sources (de 56 à 190 milliards de dollars à terme). Voire fondre comme neige au soleil.

La nutrition spécialisée tournée vers la santé se développe

« Il ne faut pas voir la protéine comme un marché, mais comme une brique parmi d’autres pour contribuer à la santé par l’alimentation, juge Antoine de Saint-Affrique. Plus généralement, il existe des tendances sociologiques et démographiques de long terme favorables aux États-Unis. Le vieillissement de la population va générer des besoins nutritionnels spécifiques. S’y ajoute l’attention accrue que l’on porte à l’alimentation des enfants. » Le groupe veut être présent, des rayons des grandes surfaces aux hôpitaux. En supermarché et restauration, les yaourts et produits laitiers Oikos ou Activia, appréciés des personnes atteintes de désordres intestinaux, pèsent déjà plus de 500 millions d’euros de chiffre d’affaires aux États-Unis. Les marques de nutrition spécialisée (Kate Farms, Nutricia) ciblent 100 millions d’Américains souffrant de maladies chroniques, afin de leur permettre de s’alimenter le mieux possible. Elles sont surtout vendues dans les hôpitaux.

C’est précisément dans cette optique que le groupe a racheté Kate Farms. Car si le rapprochement des deux groupes s’est fait autour de bons verres de vin et d’une finale de Super Bowl, c’est bien dans les laboratoires que se joue le futur. Dans le centre de R&D de Kate Farms à Santa Barbara, comme dans celui de Danone à Louisville, les millions de micro-organismes et nutriments n’ont pas fini d’être combinés.

Source : Danone en pole position pour tirer parti de la déferlante des produits anti-obésité aux États-Unis