« La France a le meilleur domaine skiable au monde »
Poids lourd français et mondial de la gestion des domaines skiables, la Compagnie des Alpes s’est diversifiée dans les parcs de loisirs mais continue de miser et de croire en l’avenir et le potentiel de la montagne tricolore, explique Dominique Thillaud, son directeur général.
Année après année, la Compagnie des Alpes poursuit son ascension. Le groupe de loisirs a présenté début décembre des résultats annuels record, reflétant la bonne santé de toutes ses activités (domaines skiables, parcs de loisirs, complexes sportifs, hospitalité). Son chiffre d’affaires a enregistré une hausse de 12,8 % à 1,4 milliard d’euros, assorti d’un excédent brut opérationnel (EBO) de 409 millions (+16,7 %). Côté rentabilité, le taux de marge d’EBO s’améliore également, à 29,3 % du chiffre d’affaires (+1 point).
Comment se porte la montagne française ?
Aujourd’hui elle se porte globalement bien, mais il faut se souvenir que cela n’a pas toujours été le cas. Dans les années 1970, la montagne a connu un boom tiré par l’investissement des promoteurs dans l’immobilier, mais les investissements tout aussi nécessaires dans l’entretien, la modernisation et l’extension des remontées mécaniques ne suivaient pas.
Certains acteurs privilégiaient un retour sur investissement court et personne n’était là pour assurer celui sur cycle long. Les remontées mécaniques tombaient en faillite et tout le système montagnard était du coup menacé. C’est pour surmonter cette difficulté et permettre un investissement à forte intensité capitalistique sur la durée que la Caisse des Dépôts a, en 1989, créé la Compagnie des Alpes.
Et cela a fonctionné ?
Via la Caisse des Dépôts, c’est l’argent de tous les Français qui est venu au secours des stations qui étaient en faillite, à commencer par Tignes qui est la première dont nous avons contribué à la relance en réinjectant du capital. Pour avancer, le ski a besoin de marcher sur deux jambes, c’est-à-dire à la fois l’hébergement et les remontées mécaniques. Il n’y avait pas de problème de demande, mais il y avait un problème d’offre.
Cette stratégie a fonctionné au point qu’en 2004, la Compagnie des Alpes a fini par être privatisée. Aujourd’hui, la Caisse des Dépôts ne contrôle plus que 40 % du capital et nous sommes un groupe coté en Bourse, rentable et en croissance. Comme quoi, il est possible de mettre en place une stratégie à long terme. D’ailleurs, cette même vision nous a conduits à investir plus tard dans des parcs à thèmes comme le Futuroscope ou le Parc Astérix pour les aider à se relancer. Nous sommes la preuve que le capitalisme peut s’inscrire dans un temps long au service des territoires.
Il y a toujours une envie de ski ?
Le marché n’est en croissance que de 1 à 2 % par an sur une tendance longue, mais c’est un marché très solide. Il y a un appétit parce qu’à quelques heures de Paris, on vit une expérience incroyable, de grand air, extrêmement dépaysante. Une expérience sportive, entre amis ou en famille. On est dans le loisir réel, dans l’échange. Pas dans le monde passif des écrans. Dans les stations de haute altitude dans lesquelles nous opérons, il y a en prime une garantie de neige.
Le réchauffement climatique ne va-t-il pas condamner le ski ?
Cette année, il y a beaucoup de neige, mais il ne faut pas confondre météo et climat. Le climat, c’est le temps long et on connaît la tendance. Le réchauffement climatique ce n’est pas de l’idéologie ou une opinion, c’est un fait scientifique. Pour un certain nombre de stations de basse ou de moyenne altitude, cela va devenir de plus en plus compliqué. Il y aura des saisons avec ou sans neige et ils n’auront un jour plus l’assurance d’avoir chaque année une saison à 120 jours au minimum. Dans de telles conditions, cela deviendra difficile d’investir massivement et d’avoir l’assurance de pouvoir amortir de tels investissements.
On veut être à net zéro carbone en 2030.
En ce qui nous concerne, nous n’exploitons que des domaines de haute altitude dont la pérennité est assurée pour au moins 40-50 ans. Mais cela ne veut pas dire qu’il ne faut rien faire. Il faut d’un côté investir pour permettre aux skieurs de partir de points plus bas avec des remontées mécaniques, mais il faut aussi contribuer à préserver la montagne en agissant pour réduire nos propres émissions.
Notre raison d’être passe par des engagements et des renoncements. Le développement à tous crins n’a pas de sens. Il n’y a plus chez nous d’extension du domaine skiable. On ne se livre pas non plus à une forme d’acharnement sur la neige de culture. Tout ça, c’est d’un autre temps.
C’est important, mais comment faire ?
Nos clients viennent chez nous pour être en contact avec la nature. C’est notre actif et nous devons tout faire pour le préserver. C’est pour cela par exemple que nous n’utilisons plus une goutte d’énergie fossile. Nous avons investi pour pouvoir utiliser comme carburant dans nos dameuses ou pour nos chaudières l’huile de friture que nous récupérons notamment dans nos parcs à thèmes. Chaudière thermique ou moteur thermique ne signifie pas énergie fossile.
En seulement trois ans, cela nous a aidés à réduire de 73 % nos émissions de CO2 dans nos domaines skiables. Une journée skieur en émission CO2, c’est 190 grammes en scope 1 et 2. Un kilo de pommes origine France, scope 1 et 2, c’est 330 grammes. Et on ira à zéro.
Pas un zéro comme au Moyen Age, en s’achetant des indulgences qu’on appelle aujourd’hui des compensations carbone. On veut être à net zéro carbone en 2030. Dans un premier temps, cela coûte. Mais dans un deuxième, le retour sur investissement sera rentable. On peut réconcilier la logique environnementale à la logique économique et sociale, si on accepte d’avoir un rendement différé de long terme.
Aller chercher les derniers grammes sera difficile car il faut investir dans l’énergie verte, mettre des panneaux photovoltaïques, miser sur l’autoproduction, l’autoconsommation. C’est, par exemple, mettre des turbines sur nos réseaux de neige de culture, quand l’eau descend, la gravité peut permettre de produire de l’énergie de façon décentralisée… mais il faut investir. Nous le faisons.
Mais le ski n’est-il pas devenu trop cher ?
Le ski en France reste parmi les plus abordables alors que nous avons le meilleur domaine skiable au monde. Les paysages sont magnifiques, on peut monter haut, descendre bas. Partir souvent de son logement skis aux pieds et on skie sur un domaine bien balisé. On est en plus moins cher qu’en Autriche ou en Suisse. Et bien moins cher qu’aux Etats-Unis. Un forfait jour dans nos stations va coûter en moyenne 60 euros et moins sur une semaine ou une saison. On est très loin des 280 à 320 dollars en moyenne par jour dans bien des stations américaines, pourvues d’équipements datés !
Dans les Alpes françaises, le ski réunit tout le monde. Sur un télésiège, un actif peut être assis à côté d’un retraité. Un milliardaire à côté d’un étudiant. Nous restons abordables pour toutes les catégories de population. Tout le monde vit la même expérience au même moment, au même endroit. Et notre clientèle est environ à 60 % française, 30 % du Benelux et Royaume-Uni et 10 % du reste du monde. Nous contribuons, comme dans nos parcs à thèmes ou nos terrains de sport, à une forme de lien social.
Malgré cela c’est un métier rentable ?
Nous le prouvons mais c’est un métier avec une forte intensité capitalistique et une certaine intensité humaine. Nous ne sommes pas dans les start-up ou le virtuel, ni dans le trading et le profit à court terme. Même si on investit, surtout aujourd’hui, dans de la modernisation et du remplacement de matériel, il faut accepter de se projeter sur le temps long.
Il faut investir pour améliorer l’expérience des skieurs. Quand on investit, on a des appareils de meilleure qualité. Le client le voit et cela nourrit la satisfaction et la croissance. Nous sommes en fait un industriel qui produit du service et qui contribue à créer une expérience.
Quel est le potentiel touristique de la montagne en été ?
Il existe, mais il faut reconnaître que l’offre en matière de logement n’est pas totalement adaptée. Le deux-pièces cabine (ou équivalent) fonctionne en hiver quand tout le monde part tôt, passe la journée à l’extérieur et se couche de bonne heure, mais il ne répond pas parfaitement aux attentes des familles en été qui veulent une terrasse ou un bout de jardin et plus d’espace. Il faut aussi une plus grande diversité d’activités à faire car tout le monde ne veut pas forcément faire la même chose au même moment en été.
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Il y a un enjeu d’évolution de l’offre de services qui va au-delà de la construction de piscines ou de tyroliennes. Dans notre activité hébergement, l’été ne représente que 10 % de notre chiffre d’affaires et dans notre partie remontée mécanique, c’est 2 %. On peut tenter des choses, mais il ne faut pas oublier que ce sont encore les gains de l’hiver qui vont payer les pertes de l’activité en été… donc accroître la dépendance de l’été au ski !
L’activité dans les parcs à thèmes est-elle importante pour vous ?
Très. C’est même notre premier métier en chiffre d’affaires depuis deux ans. Pas encore en rentabilité, mais ça viendra vite. Cela nous permet de lisser sur l’année notre cash flow, nos revenus. C’est aussi un métier dans lequel on peut miser sur une croissance extensive. On ne va pas accroître le domaine skiable, mais on peut agrandir la capacité d’accueil de nos parcs ou en ouvrir de nouveaux. Comme notre activité dans le sport avec le football à cinq d’Urban Soccer ou le padel, c’est un métier en forte croissance.
Dans le padel, la France est sous-équipée. Il y a 20 fois plus de terrains en Espagne. Il y a un énorme potentiel car les barrières sportives sont plus basses qu’avec le tennis, on peut assez vite s’amuser à quatre en mélangeant des joueurs de niveaux différents. Il y a un appétit pour les loisirs avec une sanctuarisation des dépenses liées aux loisirs qui est très différente de l’avant-Covid. Aujourd’hui, les achats d’impulsion sont un peu coupés, mais les expériences sont préservées.
Quelle clientèle visez-vous pour vos parcs ?
Une clientèle de « proximité », à moins de 4 heures de voiture lorsqu’il n’existe pas de réseaux de mobilité décarbonée et une clientèle récurrente. C’est pour cela qu’il faut investir dans des nouveautés et de l’événementialisation. Pour que le public ait envie de revenir et pour étendre l’offre pour que les temps d’attente soient les plus courts possibles. Dans certains parcs américains, on peut pour certaines attractions attendre plus de trois heures… ce n’est pas notre modèle.
Agenda
Créée en 1989 pour contribuer à la relance de la montagne française, la Compagnie des Alpes a réussi sa mission initiale et a depuis élargi son périmètre d’activités en investissant dans les parcs de loisirs (Parc Astérix, Futuroscope, France Miniature…) mais aussi des complexes sportifs (Urban Soccer, Urban Padel). Le groupe est le premier gestionnaire au monde de remontées mécaniques (Tignes, Les Arcs, Val d’Isère, Méribel…). Ancien banquier d’affaires, passé par la SNCF, Dominique Thillaud a pris la direction de la Compagnie des Alpes en 2021. Le groupe dont l’exercice vient de se clore a publié début décembre des résultats record. Son chiffre d’affaires a enregistré une hausse de 12,8 % à 1,4 milliard d’euros, assorti d’un excédent brut opérationnel (EBO) de 409 millions (+16,7 %). Le groupe vient aussi de remporter l’appel d’offres pour la gestion de La Plagne pour encore vingt-cinq ans. Il va aussi placer sous la bannière Astérix son parc à thèmes en Allemagne.
Par David Barroux – A retrouver en cliquant sur Source
Source : « La France a le meilleur domaine skiable au monde » | Les Echos