
Accor peut devenir le « Airbnb du ‘flex office’ », selon son PDG
Dans un entretien aux « Echos », Sébastien Bazin, le PDG du groupe hôtelier Accor, constate que la reprise « est là » pour son secteur mais qu’elle n’est pas globale. Alors que la crise sanitaire a bouleversé les modes de vie, il affiche sa volonté « de créer, dans les 6 à 12 mois qui viennent », une plateforme numérique qui permettra d’apporter des solutions de télétravail aux entreprises et à leurs salariés.
La saison estivale accélère-t-elle la sortie de crise de l’hôtellerie et du monde du voyage en général ?
Plus un pays est vaste, plus son marché domestique est fort, plus son rebond est rapide. La reprise est donc là mais elle n’est pas globale. En France, dans certaines régions comme le littoral, la reprise est nette. L’activité sera même probablement plus forte encore qu’en 2019. Mais on ne peut pas en dire autant des grandes villes françaises où les touristes étrangers font encore défaut.
Ensuite, entre les pays, la dichotomie est également très forte. Le rebond était marqué en Australie jusqu’à la récente fermeture de Sydney et très fort aux Etats-Unis et en Chine. La Chine a déjà récupéré son niveau de 2019 et ce sera le cas aux Etats-Unis d’ici à la fin de l’année. En revanche, il y a très peu d’activité en Amérique du Sud où seulement 15 % de la population est vaccinée. Et c’est très compliqué dans une Asie du Sud-Est qui dépend à 85 % des touristes étrangers. Il y a très peu d’activité en Afrique où seul le Maroc pourrait repartir. Au Moyen-Orient, Dubaï est la destination qui retrouve une activité dynamique. Enfin, en Europe, l’activité reste très limitée dans les pays du nord.
L’hôtellerie n’est donc pas sortie de la crise ?
Comme disent les anglophones : « we’re still in the mud » (« Nous sommes toujours dans la boue »). Les dernières annonces en France montrent que tout n’est pas réglé. Et le variant Delta risque encore de déclencher de nouvelles mesures dans certains pays dans les prochaines semaines. Mais nous avons appris à vivre avec cette crise et la perspective d’une sortie de crise est bien là.
Dès lors que la vaccination est largement déployée, que les gouvernements ouvrent leurs frontières, l’économie sous-jacente étant forte dans beaucoup de pays, ce n’est qu’une question de patience. Il faut se préparer car le rebond est au coin de la rue. Et comme la reprise ne se fera pas au même moment et au même rythme partout, la clé est de confier les manettes aux équipes locales qui sont les mieux armées pour réagir.
Dans quel état se trouve le secteur après plus d’un an d’hibernation ?
La dizaine de grands groupes internationaux a résisté. Pour les petits, qui n’ont ni la taille, ni les moyens, ni la densité de réseau, il est encore trop tôt pour juger, mais il y a une très grande fragilité. En France, les aides publiques ont permis d’éviter une catastrophe mais les cafés, hôtels, restaurants ont accumulé des dettes qu’il faudra bien rembourser. Mais aucun d’entre eux n’en a les moyens à court ou moyen terme.
Certains évoquent une pénurie de main-d’oeuvre ?
Le monde a changé. Les attentes des collaborateurs aussi. Dans toutes les industries, nombreux sont ceux qui ne veulent plus accepter les sacrifices et contraintes personnels qui ont été les leurs pendant des années. Mais la situation est particulièrement dramatique dans notre secteur car nous passons d’un manque de personnel de 60.000 salariés avant la crise à plus de 100.000 aujourd’hui. Dans chaque établissement en France, il manque entre 15 et 30 % des effectifs. Des hôteliers ferment des étages, des restaurants réduisent le nombre de tables, d’autres ferment deux ou trois jours par semaine pour que les collaborateurs puissent se reposer. C’est un désastre. Le réveil est douloureux.
Nous devons faire revenir nos collaborateurs mais la réponse est complexe car les raisons sont multiples : charge de travail, horaires pénibles, salaire trop faible… Ce serait mentir que de dire que nous sommes tous capables d’augmenter les salaires. Notre industrie est trop fragilisée. A nous d’en tirer les leçons et de permettre aux jeunes générations, prêtes à accepter des contraintes d’horaires, de dessiner avec nous un parcours d’évolution de carrière et des perspectives.
Et le problème n’est pas que français
Aux Etats-Unis et en Australie nous manquons aussi de collaborateurs. D’abord parce que les gens se sont réapproprié leur vie ; d’autre part, parce que certains ont paradoxalement épargné pendant la crise. Cette dualité nourrit une forme de « j’ai réfléchi sur qui j’étais et ce que je veux faire ». Une grande partie des collaborateurs, qui se posent des questions, sera néanmoins sans doute de retour à l’automne. Pour autant, les employeurs sont-ils capables d’attendre ?
Je comprends les causes, souvent légitimes, je les respecte, et j’ai très envie que toute notre industrie soit associée à cette discussion. Mon seul bémol – il est petit mais il existe -, les cafetiers et restaurateurs qui se sont battus pour protéger leurs salariés et leur fonds de commerce, pour obtenir toutes les aides d’Etat, pour que le chômage partiel indemnise à 100 %… Nous avons été là pour nos équipes, nous aurions aimé qu’elles soient au rendez-vous au moment où nous avons le plus besoin d’elles. Ce n’est pas une critique mais on aurait pu s’attendre à une forme de réciprocité. Le retour de tous nos collaborateurs est une condition impérieuse au rebond de notre activité.
Au-delà des salaires, n’y a-t-il pas globalement un risque d’inflation ?
Le risque est là. Cet été, les salaires des extras augmentent de près de 20 %. Pour les matériaux de construction, c’est inouï ce qui se passe aujourd’hui. Sur le fer, le bois, le verre, nous sommes face à un problème de coût, mais aussi de délai. C’est un problème sur lequel je n’ai pas de prise. Je préfère mobiliser mon attention pour faire croître le chiffre d’affaires du groupe.
Quelles traces va laisser cette crise ?
Elle déclenche de nouvelles attentes, des changements de modes de vie, elle fait évoluer les comportements de tout un chacun. Je vais reprendre un mot anglais mais je le trouve tellement beau : fulfillment (accomplissement). C’est reprendre le contrôle de soi-même, du bien-être, un peu de spiritualité, une quête de sens. Et ça, vous le retrouvez partout, dans toutes les générations. Cette recherche de « Qui je suis ? », « Qu’ai-je envie de faire ? ». Cela a deux effets dans le tourisme : une plus grande volonté de découvrir une culture, une gastronomie, une géographie. Et donc des séjours plus longs, plus riches en découvertes. Et le deuxième : « Comment contribuer à la préservation de cette planète ? ». Quelle marque vais-je choisir ? Quelle promesse ? Quels engagements ?
Notre offre doit s’adapter, nos collaborateurs être encore plus disponibles, plus ouverts. Nos hôtels doivent s’insérer davantage dans leur quartier. Créer des rencontres entre le voyageur qui y habite et celui qui vient de loin. Des hôtels moins standardisés, plus tournés vers la restauration et leur environnement local. On ne peut plus être qu’un lit et une douche. Il faut aussi réfléchir, dès la conception et la construction d’un hôtel, à son empreinte écologique. Nous devons, sur ce front, passer de l’ère de la compensation à celle de la contribution. Un hôtel doit avoir un impact positif et contribuer localement, grâce à l’emploi, l’essor de l’artisanat et l’approvisionnement local.
Le voyage d’affaires est-il condamné ?
Le voyage d’affaires à moins de quatre heures, en train, en voiture, où en avion, avec en moyenne deux nuits sur place, retrouvera ses niveaux d’avant-crise. Ce « domestic business » fait partie de la qualité de vie de certaines professions et continuera de représenter environ 40 % de notre chiffre d’affaires. En revanche, le déploiement rapide des outils digitaux pourrait faire chuter durablement d’environ un quart le voyage d’affaires international qui pesait 20 % de notre activité.
Le digital va donc nuire à l’hôtellerie ?
Zoom a un autre effet, celui-là très positif, donnant à chacun dans le monde la possibilité de travailler de n’importe où. Certains vont souhaiter prévoir des week-ends prolongés, mêlant travail et repos. L’émergence et l’extension du télétravail créent aussi une immense opportunité pour notre groupe. Si la moitié des salariés ne souhaitent pas revenir à plein temps au bureau, 70 % ne veulent pas non plus rester chez eux pendant leur temps de télétravail. Or, les hôtels sont, avec les hôpitaux et les commissariats, les seuls lieux qui soient ouverts 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, et qui savent accueillir du public.
Nous disposons, dans nos 5.200 hôtels, d’espaces inoccupés pendant la journée qui peuvent accueillir formidablement, dans chaque quartier, à moins de 10 minutes à pied ou à vélo, tous les télétravailleurs qui le souhaitent. A nous de créer dans les 6 à 12 mois qui viennent la plateforme digitale qui nous permettra d’apporter des solutions aux entreprises et à leurs salariés. Nous pouvons devenir le « Airbnb du ‘flex office’ » en proposant des solutions qui plairont à la fois au DRH qui veut savoir où et comment sont accueillis ses salariés, au directeur financier qui a besoin de maîtriser ses coûts et qui pourra réinvestir une partie des sommes économisées sur la réduction des mètres carrés de bureaux, et aux salariés qui veulent un choix large de destinations facilement accessibles et accueillantes près de chez eux.
Comment Accor a traversé la crise ?
Accor a souffert mais va sortir plus fort de cette crise. En grande partie parce que le groupe s’est transformé depuis dix ans. Le parc de 5.200 hôtels a une valeur estimée à environ 200 milliards de dollars, mais il est aujourd’hui détenu par des tiers propriétaires. En quelques années, notre business model s’est transformé, et Accor est devenu une société de services. Cette entreprise française, s’est diversifiée en termes de talents. Deux tiers des membres du comité exécutif ne parlent pas français et 90 % des décisions sont prises localement. Nous sommes partis à la conquête de nouveaux territoires. 60 % du parc est non européen. Enfin, l’entreprise s’est développée dans le luxe avec l’acquisition de nouvelles marques pour rééquilibrer son portefeuille et offrir un plus grand choix à ses 300 millions de clients dans le monde. Le secteur a connu une croissance de 3 à 5 % pendant plus de quarante ans, cette croissance reviendra.
Même pendant cette crise d’une rare violence, le groupe a su ouvrir 200 hôtels en 2020 et retrouvera rapidement notre rythme de 365 hôtels par an, soit un nouvel hôtel ouvert chaque jour, plus de 500 nouveaux restaurants, 50.000 nouveaux collaborateurs qui rejoindront ainsi l’aventure Accor. L’hôtellerie est toujours une industrie bénie des dieux.
Son parcours
Sébastien Bazin (60 ans en novembre) est PDG d’Accor depuis août 2013. Il en était déjà un administrateur très actif en tant que représentant de la société d’investissement Colony Capital dont il dirigeait les activités européennes depuis 1999. Auparavant, ce patron, à la vie sociale également animée – Fondation Gustave Roussy, Théâtre du Chatelet… – a oeuvré dans la banque d’investissement entre autres.
Son actualité
Au-delà de la gestion de la sortie de crise sanitaire, le PDG d’Accor veut saisir l’opportunité que constitue pour les hôteliers l’essor du télétravail. Alors que son groupe est déjà actif dans ce domaine, notamment via la filiale Wojo codétenue avec Bouygues, Sébastien Bazin voit plus large désormais et prépare le lancement d’une plateforme numérique ad hoc. Un projet qui implique un partenariat avec un grand acteur des technologies. Par ailleurs, le PDG d’Accor planche sur une nouvelle politique en matière de RSE visant à faire de son groupe une référence.
Article de David Baroux, Julie Chauveau, et Christophe Palierse – A retrouver en cliquant sur Source
Source : Accor peut devenir le « Airbnb du ‘flex office’ », selon son PDG | Les Echos