Concept tour 3 / Andrew Bradley, président de Domino’s Pizza France : « Je ne veux pas devenir le Nokia de la pizza »
Entre le 26 octobre et le 25 novembre 2021, Néo, associé avec le cabinet LaborAction, est allé interroger les dirigeants de six enseignes qui ont su particulièrement bien tirer leur épingle de la crise ; toutes ont en commun leur rapidité d’action, leur agilité ; toutes se sont adaptées à cette période très particulière, soit en modifiant soit en confortant leurs fondamentaux, mais toujours en bougeant les lignes.
Andrew Bradley, président de Domino’s Pizza France
Dans le giron de la masterfranchise Domino’s Pizza Enterprises, le N°1 de la pizza livrée et emportée en France va accélérer la croissance de son réseau. Avec un objectif, rester toujours en phase avec les attentes des consommateurs, rappelle son président Andrew Bradley.
Où en est l’enseigne avant la crise ?
Avant la Covid, nous avions 420 établissements, dont 95 % en franchise, avec un chiffre d’affaires réparti à parts égales entre la livraison et vente à emporter… La restauration sur place est quasi-inexistante. C’est plus du dépannage, avec des mange-debout dans des établissements situés par exemple près d’une université ou d’un hôpital. Nous faisons partie de Domino’s Pizza Enterprises, une forme de master franchise située en Australie (elle compte 3000 points de vente sur les 18000 de l’enseigne dans le monde) qui couvre donc l’Australie, le Japon et l’Europe. Cela a été très utile de faire partie d’un groupe mondial dans une crise pareille. Ça nous a permis de travailler ensemble pour réorganiser le travail dans les points de vente, protéger les équipes et les clients et mettre en place rapidement la livraison sans contact, les plexiglas. Il a fallu faire remonter l’information, rassurer les équipes, puisque le président de la République nous expliquait que nous étions en guerre et qu’il fallait rester chez nous.
Pour la livraison, passez-vous par des agrégateurs ?
Non, c’est notre métier. Nous sommes des spécialistes de la livraison, ça ne s’improvise pas. Nous ne faisons pas de livraisons multiples, même si les commandes sont voisines, pour être sûrs de livrer chaud. Et 99 % de nos salariés sont en CDI, souvent des jeunes qui travaillent entre 15 et 20 heures par semaine. Ils sont formés à la sécurité routière, à livrer une pizza à plat… Ils ont des équipements qui nous appartiennent, ou appartiennent aux franchisés, donc qui sont entretenus. Nous savons qui livre. Ce service est tellement important qu’on ne peut pas le sous-traiter à quelqu’un qu’on ne connaît pas. Nous avons parfois un retard, une erreur, mais ça se traite avec le client : dans cette optique, nous utilisons Critizr (start-up orientée sur l’expérience client, ndlr). En revanche, nous travaillons avec les plates-formes pour la prise de commande. Leur commission est donc beaucoup moins élevée, puisque c’est nous
qui assurons la livraison.
Quand le confinement a été décrété, qu’avez-vous fait ?
Nous avons fermé, mis en pause pendant 15 jours. Nous avons distribué les produits frais que nous avions dans nos points de vente, et dans les deux usines où nous fabriquons nos pâtons, aux hôpitaux, aux pompiers, aux personnes qui étaient en première ligne. Nous avons offert plutôt que jeté, cela a beaucoup soudé les collaborateurs. Pendant ce temps, l’équipe a fait un travail incroyable pour trouver les masques, les gels, les plexiglas, etc. Ce qui nous a permis de rouvrir au bout de deux semaines une grande partie des établissements, pas tous, notamment pas ceux qui étaient en Alsace-Lorraine, alors submergée par la vague. Nous avons même remis en marche nos deux usines (à Gennevilliers et Nantes, ndlr), mais en faisant tout ce qu’il faut pour protéger tout le monde. Pour permettre à nos collaborateurs comme à nos fournisseurs de travailler en sécurité.
Pour quel impact ?
Pendant cette période, la livraison de pizzas a grimpé à 90 % de notre business, cela a créé une grosse pression sur le système. Le couvre-feu à 18h a encore compliqué la situation ; il y avait énormément de demandes de livraison, surtout dans un pays qui mange à 20h. ll fallait s’équiper de plus de vélos, de scooters électriques, d’équipes pour livrer alors que nous avions plus d’absents, de cas contact pendant ce temps-là. Mais nous avons eu de la chance, nous avons pu travailler. Toutes les équipes, celles des franchisés comme celle de la tête de réseau, ont fait un super travail, nous avons appris à communiquer différemment, à travailler en visio… C’est intéressant quand on n’a pas le choix. Aujourd’hui, nous sommes sur des systèmes hybrides ; nous continuons de faire les updates tous les 15 jours par Zoom, c’est une façon pratique de donner des informations. Nous avons passé l’orage ensemble, nous n’étions pas toujours tous d’accord, mais tous les franchisés ont passé le cap ; nous n’avons perdu personne en chemin.
Comment voyez-vous la consommation évoluer sous l’effet de la Covid ?
La crise sanitaire a accéléré la demande pour la livraison – certains consommateurs, notamment les jeunes familles, ont découvert ce service et sa praticité depuis mars 2020 – et renforcé certaines tendances liées à l’approvisionnement : l’envie d’acheter du made in France – très français –, le végétarien, le mouvement sur le bien-être animal… Nous devons être agiles pour être en phase avec ces attentes ; nous ne devons arriver ni trop tôt ni trop tard. Nous avons ainsi monté une campagne de pub sur l’origine française de nos fromages, sur notre service de livraison, pour expliquer que nous livrions beaucoup à vélo, en scooters électriques, puisque nous sommes à trois quarts sur de l’électrique.
Nous essayons d’être sensibles à l’évolution dans l’état d’esprit des clients pour ne pas devenir un jour le Nokia de la pizza. En termes d’approvisionnement, nous avons signé avec le CIWF, Compassion in world farming, une ONG présente en France et avec laquelle on s’est engagé sur le better chicken commitment. Les tomates viennent de France quand c’est la saison, l’emmental, le Beaufort, le fromage à raclette sont AOP, la crème fraîche est faite à partir de lait français. Nous travaillons également sur nos bases de pizza pour proposer des labels à nos clients. Nous venons de lancer l’affichage du Nutri-score sur les recettes existantes ; comme sur les recettes personnalisées, on a un million de possibilités, cela prend beaucoup de temps, mais on a prévu de développer le Nutri-Score dessus aussi. Toujours dans le même esprit, nous sommes en train de travailler avec des chefs et la R&D à une pizza A.
La nouvelle gamme Signatures
Vous proposez depuis septembre une gamme Signatures, pouvez-vous nous raconter ?
Nous avions déjà une gamme Signatures, mais nous l’avons complètement renouvelée. Nous voulions montrer que nous étions certes du fast-food mais que nous avions un vrai savoir-faire en termes de pizza, avec une inspiration plus italienne. Nous sommes allés chercher des ingrédients que l’on n’a pas l’habitude d’avoir, comme des gambas, des olives de Kelamata, etc. Cette gamme, c’est bien pour les clients, mais aussi pour les équipes, qui en sont très fières ; c’est comme si chacun devenait un peu chef… Pour y arriver, il a fallu mettre en ligne une formation, parce qu’il ne suffisait pas d’une bonne conception, il fallait aussi que les jeunes qui travaillent à mi-temps l’élaborent parfaitement. Le retour est très positif : la clientèle est très surprise, ça lui plaît, ça l’élargit même. Les pizzas Signatures se vendent bien, mais elles ne feront jamais autant de volume que le reste de nos pizzas. L’objectif, c’est de satisfaire des clients très exigeants en termes de qualité – c’est important pour nous de travailler cette image – avec des prix augmentés en conséquence. Même si elle est faite à une échelle industrielle, notre pâte fraîche est travaillée à la main, avec des ingrédients frais. Et chaque pizza est produite individuellement à la demande du client avec les ingrédients qu’il souhaite. Cette idée de personnalisation est très importante. C’est dans ce sens que va l’option “Crée ta pizza” que nous proposons.
Vous avez lancé en 2020 votre programme de fidélité, quels en sont les résultats ?
Nous allons fêter le premier anniversaire de ce programme online que nos clients attendaient. Il fonctionne bien et est très largement dans les objectifs : une grande partie de notre business est réalisé avec des gens qui sont dans ce programme de fidélité.
Comment voyez-vous la hausse des matières premières ?
C’est un mauvais alignement des planètes. Il y a un problème sur le transport, la main-d’œuvre, l’inflation. Avec nos équipes d’acheteurs, nous allons chercher à minimiser l’impact sur le business et sur les prix clients – on sait qu’il y a une sensibilité prix –, mais nous n’y échapperons pas complètement. Les augmentations sur le carton sont très importantes. On ne peut pas les absorber. Nous ne sommes pas les plus mal lotis, notre taille nous donne un pouvoir de négociation. Par ailleurs, nous avons pour nos clients une option moins chère que la livraison, la vente à emporter. Dans les temps économiquement difficiles, on voit parfois une augmentation de ce canal.
Comment envisagez-vous les mois à venir ?
Nous voulons continuer de nous développer ; 35 % de la population française seulement peut être livrée par Domino’s, cela signifie qu’en termes de couverture, nos 450 points de vente ne suffisent pas. Nous avons ouvert une quarantaine de points de vente au cours des derniers mois dans des conditions difficiles, notre objectif, c’est d’accélérer pour doubler la taille du réseau… le plus vite possible.
Et les problèmes de main-d’œuvre ?
Nous recrutons beaucoup d’étudiants à l’université, c’est important. Il faut leur montrer l’attractivité du travail en équipe ; bien sûr, ça peut être dur, mais ça peut être aussi sympa et offrir des opportunités de carrière. Beaucoup de nos franchisés sont des anciens livreurs, nous en sommes très fiers. Nous avons en interne un programme, Emerging leaders, pour développer les jeunes à potentiel, leur donner une formation “business” avec la chambre de commerce et leur permettre de devenir franchisés. Chaque année, nous avons ainsi une ou deux classes. Nous préférons de loin les candidats en interne – qu’ils soient déjà franchisés ou alors issus de ce programme –, même s’il nous arrive d’intégrer quelques franchisés venus de l’extérieur. C’est quelque chose de très important et qui ajoute à l’attractivité de notre enseigne.
Quid de la digitalisation ?
Notre business est très digitalisé, les commandes sont majoritairement faites en ligne, notre communication sur les plates-formes aussi… Nous allons aller de plus en plus vers une individualisation de la communication.
Quelle progression entre 2019 et 2021 ?
La livraison prend un peu plus de poids qu’avant, mais la VAE revient. Et comme je vous l’expliquais, avec la question du pouvoir d’achat, on devrait revenir au niveau antérieur de VAE, ou en tout cas, un 55/45.
Et l’emballage ?
C’est un sujet sensible, mais nous sommes déjà au minimum de ce que nous pouvons proposer : 72 % du carton de livraison est recyclé, les 28 % restants, c’est la partie en contact avec la pizza.
CARTE D’IDENTITE DE DOMINO’S PIZZA FRANCE
Nombre de points de vente : 450 établissements, dont 95 % de franchisés
Chiffre d’affaires 2020 : 267 M€
Ticket moyen : inférieur à 20 €
Article de SABINE DURAND – A retrouver en cliquant sur Source