Bruxelles veut frapper le coeur du modèle Uber et Deliveroo

La Commission européenne a présenté son projet de directive sur les conditions de travail offertes par les plateformes de livraison. Elle estime que plus de 4 millions des indépendants qu’elles emploient doivent être requalifiés en salariés pour améliorer leur traitement.

Par Derek Perrotte

Publié le 9 déc. 2021 à 12:40Mis à jour le 9 déc. 2021 à 12:53

La guerre est déclarée entre la Commission européenne et les plateformes numériques de services. Après le DMA et le DSA , les deux règlements en cours d’adoption pour encadrer la concurrence et les contenus en ligne – avec les GAFA dans le viseur-, l’exécutif continental s’attaque à présent à un autre dossier phare de la régulation du numérique : les conditions de travail offertes par les Deliveroo, Uber, Bolt et autres géants du secteur, mais aussi par les nombreuses petites plateformes employant des graphistes, des traducteurs, des photographes, des consultants, etc. Le projet en dénombre ainsi pas moins de 500 dans l’UE.

Présomption d’emploi salarié

Autres enjeux, autres cibles, mais une même volonté de frapper fort : le projet de directive, qui doit désormais être examiné par le Parlement et le Conseil, met les pieds dans le plat en créant une « présomption juridique de relation d’emploi » entre le travailleur dit indépendant et la plateforme qui lui fournit des clients et missions.

Le texte définit ainsi cinq critères, sur la base des jurisprudences et de la consultation des Etats membres, à l’aune desquels des « indépendants » pourraient devoir être requalifiés en « salariés ». On y retrouve notamment le montant de la rémunération perçue, le degré de surveillance électronique appliqué au travailleur et à son travail, le fait que des règles spécifiques lui soient ou non imposées (tarif fixé par la plateforme, uniforme à porter, etc.) ou encore d’éventuelles contraintes fixées sur ses horaires ou sa capacité à travailler pour d’autres services.

Si au moins deux des futurs critères sont remplis, alors la plateforme sera considérée comme un employeur, et non un simple intermédiaire entre clients et indépendants, prévoit le projet. Le commissaire à l’Emploi, Nicolas Schmit, tente ainsi de poser un cadre européen à une question qui fait déjà l’objet de nombreux contentieux juridiques dans les Etats membres, comme en France où Uber est visé par une enquête pour « travail dissimulé ».

C’est un changement de paradigme. Aujourd’hui, les travailleurs voulant être requalifiés en salariés doivent aller en justice. A l’avenir, les requalifications seraient imposées par les Etats-membres et ce serait, le cas échéant, à la plate-forme de contester en justice.

Intense lobbying

Surtout, Bruxelles voit large : la Commission estime que sur les 28 millions de personnes travaillant aujourd’hui pour une plateforme de services opérant en Europe, plus de quatre millions devraient être requalifiés en salariés, avec la batterie de droits qui va avec (salaire minimum, congés, formation, retraite, etc).

Les plateformes, elles, voient rouge. Depuis trois semaines, les géants du secteur ont lancé un intense lobbying contre le projet, accusé de remettre excessivement en cause leur business model. « Les critères sont bien trop larges. Contrôler la qualité du travail ou imposer un code de conduite par exemple, c’est normal ! La Commission voudrait faire des plateformes des intermédiaires totalement neutres, mais ce n’est pas réaliste », résume un de leurs représentants à Bruxelles.

Selon les plus gros services concernés, comme les compagnies de VTC, le projet irait à la fois à l’encontre des utilisateurs comme des travailleurs concernés. « Toutes les études auprès de nos chauffeurs montrent qu’ils apprécient avant tout la flexibilité que leur offre notre application et leur statut d’indépendant. Ils veulent décider eux-mêmes de quand travailler et combien de temps », insiste Claudia Beure, directrice des affaires publiques de Free Now ( VTC, trottinettes et voitures partagées codétenus par BMW et Mercedes ).

Si on impose ainsi des embauches, « un chauffeur sur deux perdra son emploi », abonde Aurélien Pozzana, directeur des affaires publiques pour l’Europe de l’Ouest chez Bolt, un autre service de VTC. Selon eux, en plus de ces pertes d’emploi, le projet de Bruxelles déboucherait sur un service moins performant, plus cher, et des pertes de revenus pour les chauffeurs embauchés. En Espagne, Deliveroo vient d’arrêter ses services après la décision du pays de requalifier ses livreurs en salariés.

Article de Derek Perrotte (Bureau de Bruxelles) – A retrouver en cliquant sur Source

Source : Bruxelles veut frapper le coeur du modèle Uber et Deliveroo