« Dark kitchen », le concept qui affole la foodtech

L’essor de ces cuisines « aveugles » dédiées à la livraison s’appuie sur l’explosion de la demande sur les plateformes Uber Eats et Deliveroo. Il attire des restaurateurs traditionnels, mais aussi des entrepreneurs de la tech. Les modèles de croissance peuvent varier fortement, mais tous s’accordent sur le rôle clé de la tech.

 

Ils ne sont pas du genre à baisser les bras. Les restaurateurs confrontés à l’arrêt brutal de leur activité depuis le début du premier confinement, puis à une reprise en pointillé, ont d’abord mis en place un service minimum pour assurer des livraisons à leurs clients. Mais durant la mise au vert forcée, certains d’entre eux se sont lancés ou réfléchissent à développer des « dark kitchen ». Derrière cet anglicisme plus anxiogène qu’appétissant se cache l’un des secteurs les plus en vogue du moment et qui attire des professionnels de la restauration, mais aussi des entrepreneurs et des investisseurs de la tech .

« Nous n’avons pas eu d’autre choix que de nous réinventer, soupire Sarah Princen-Cousin, directrice générale de Big Mamma Group. Nous avons donc créé Napoli Gong, une marque distribuée sur les plateformes de livraison, et mis en place cinq cuisines à Paris et trois à Londres. » Quatre mois après leur installation, le bilan est de 133.000 pizzas délivrées , contre 15.000 en moyenne par mois pour un restaurant accueillant du public. « Nous nous étions interdit de livrer jusqu’à présent, car nous pensions qu’il était trop compliqué de préserver la fraîcheur et la qualité de nos aliments, détaille Sarah Princen-Cousin. Mais après avoir longtemps travaillé sur la recette et les emballages, nous avons trouvé une solution qui nous convient et plaît à nos clients. »

Le bilan est tellement positif que le restaurateur prévoit désormais d’ouvrir d’autres cuisines aveugles, notamment dans les villes de province où il possède déjà des établissements classiques, mais pas seulement, prévient la dirigeante : « Nous irons à Madrid également, et réfléchissons à d’autres localisations. Mais comme nous continuons à ouvrir des restaurants où l’on peut accueillir des clients, il faut trouver un juste équilibre. »

Vers une saturation de l’offre ?

Jean Valfort, restaurateur, est l’un des précurseurs sur ce marché des « dark kitchen », nom qu’il a d’ailleurs donné à son groupe. Avec cinq marques présentes sur Uber Eats et Deliveroo, et deux autres en préparation pour début 2021, il voit cet engouement pour le modèle d’un bon oeil : « Beaucoup d’acteurs ont débarqué sur ce marché dans la foulée de la crise sanitaire, et de nombreux consommateurs ont découvert la livraison. Mais je reste persuadé que le taux de pénétration reste faible. » Dès le premier samedi du confinement de mars dernier, Dark Kitchen enregistre 2.500 couverts. Après s’être mobilisé pour créer des repas à destination du personnel soignant dans les hôpitaux, le groupe se projette avec un mixte d’ouvertures de cuisines aveugles et de restaurants physiques, détaille son fondateur : « En juillet, nous avons ouvert Bocca Nissa à Nice sur 600 m2 car je reste persuadé qu’après cette crise, les gens auront très envie de retourner dans nos établissements. Mais en parallèle, nous travaillons à l’ouverture de nouvelles ‘dark kitchen’ dans le nord et le sud-ouest de la France. »

Mais ce modèle n’attire pas que les professionnels de la restauration. Quelques entrepreneurs de la tech s’y intéressent de très près, comme Clément Benoit, fondateur de Not So Dark et ancien cofondateur de Resto In et de Stuart ( revendu à La Poste ). Sur les onze derniers mois, il s’est bâti un petit empire avec huit marques, un chiffre d’affaires mensuel qui devrait tutoyer le million d’euros en décembre, et il ne compte pas s’arrêter là. « Nous avons trouvé un mode opératoire très rentable et nous sommes capables de traiter plusieurs marques au sein d’un même espace très réduit. Il faut être agressif dans la croissance car je pense que d’ici à six mois, le marché sera probablement saturé. Il faut donc que nous soyons rapides dans notre développement pour en devenir le leader. »

La tech au coeur des opérations

L’ambition se nourrit d’une levée de fonds qui devrait être bouclée dans les tout prochains mois et devenir la plus importante du secteur. Cette opération vise à nourrir un plan de croissance très important dès 2021 (12 cuisines à Londres, quatre à Madrid, une à Barcelone et une autre à Bruxelles) et qui s’explique par la nature même de son modèle : « C’est un business technologique, affirme Clément Benoit. La donnée est au centre de notre métier, depuis l’organisation jusqu’à la livraison, ça se pilote avec des dashboards avant tout ! »

Mais tous ces acteurs ne partagent pas le même point de vue sur la manière de grandir. Big Mamma s’appuie sur de la dette et une seule marque, tandis que Dark Kitchen bâtit un modèle d’abord rentable avant de croître. En revanche, tous s’accordent sur la place centrale de la tech pour maximiser les coûts opérationnels, plus importants que dans une start-up du logiciel.

À noter

Pour s’installer en Espagne, Not So Dark étudie la possibilité de louer des espaces dans CloudKitchens, créé par Travis Kalanick. Le fondateur d’Uber a investi cette branche du marché qui consiste à acheter des locaux pour les louer ensuite à des opérateurs de cuisines aveugles.

Article de Guillaume Bregeras – A retrouver en cliquant sur Source

Source : « Dark kitchen », le concept qui affole la foodtech | Les Echos