DARK KITCHENS :Des enseignes fantômes trop visibles !

Les cuisines fantômes s’installent massivement dans les villes et à proximité des centres urbains. Mais ce marché prometteur n’est pas toujours le bienvenu. Des riverains regrettent souvent les nuisances engendrées par les livreurs et les édiles craignent une baisse de la commercialité des rues concernées.

Dans le sillage du développement des services de livraison, les restaurants sans salle et sans clientèle à table -dits dark kitchens – se multiplient en région parisienne et dans les grandes villes françaises. La crise du coronavirus semble avoir accéléré ce modèle dédié à la préparation de repas à emporter ou livrés. « Le premier confinement débuté en mars 2020 a donné un coup d’accélérateur au développement des dark kitchens […]. Selon les cas, certaines enseignes peuvent avoir un restaurant physique dans Paris et proposer leurs plats dans une dark kitchen, ce qui leur permet d’avoir une zone de livraison plus étendue », remarque une étude publiée en février 2022 par l’atelier parisien d’urbanisme (Apur). Selon l’association, « au moins une trentaine de dark kitchens ont déjà été recensées » dans la capitale, dont « 40 % sont implantées sur un tronçon de voie faisant l’objet d’une protection commerciale au titre du PLU ». Ce constat sur l’essor de ces cuisines fantômes, et généralement celui des dark stores (magasins fantômes), est pris très au sérieux par la mairie de Paris (voir encadré) . Plusieurs acteurs de la restauration traditionnelle se sont lancés dans ce service. Fort de son succès à Paris (neuf adresses), puis à Lille, Lyon, Bordeaux et Marseille, le groupe Big Mamma a créé à l’été 2020 son premier restaurant dédié à la livraison et à la vente à emporter : Napoli Gang. L’enseigne de spécialités italiennes et pizzas artisanales, fondée par Tigrane Seydoux et Victor Lugger, a depuis multiplié ses cuisines-laboratoires à Paris, à Montreuil (Seine-Saint-Denis) et à Montrouge (Hauts-de-Seine). Si de nombreuses jeunes pousses arrivent sur ce marché concurrentiel de la restauration sans salle, le résultat n’est pas garanti.

BEAUCOUP D’ACTEURS, UN PETIT MARCHÉ

Les plateformes de livraison comme Uber Eats et Deliveroo disposent de leurs propres cuisines fantômes. Fritchi en a fait – dès son lancement – le cœur de son activité. Et de nouvelles enseignes ne cessent d’émerger : Kitch’N Box, Taster, Green & Wild, In my Belly… Mais cette explosion de la livraison rapide peut être risquée pour les nouveaux venus. « Kol, la start-up qui promet de “ vous livrer vos courses, repas et apéros de jour comme de nuit en vingt minutes ” a engagé une procédure de redressement judiciaire », relatait en décembre dernier un article du Monde, présentant la PME française comme la « première victime de la frénésie du quick commerce ». Les entreprises qui veulent profiter du marché des dark kitchens en France doivent prendre en compte tous les éléments. « Le gros avantage de la dark kitchen est que l’emplacement ne coûte rien, le fonds de commerce est vraiment moins cher qu’un restaurant qui dispose d’une salle. Mais la livraison de repas n’a pas encore décollé en France. Le consommateur n’est pas prêt à se faire livrer de manière régulière, estime Bernard Boutboul, président du cabinet Gira. Ce mode de restauration est populaire chez les Américains et les Canadiens, mais ce n’est même pas un embryon chez nous. La livraison est destinée aux gens aisés et à des profils très citadins. Si elle a fait un bond de 35 % en 2020, elle représente seulement 3 % ou 4 % de notre marché en restauration. » La livraison n’est pas encore mûre, mais elle devrait le devenir dans cinq à sept ans, poursuit Bernard Boutboul : « Le comportement culturel va changer avec la génération Z. Lorsque ces jeunes nés dans les années 2000 auront un pouvoir d’achat, ils souhaiteront se faire livrer où ils veulent, quand ils veulent et ce qu’ils veulent. Mais aujourd’hui, il faut un contexte particulier pour se faire livrer, ça reste une consommation occasionnelle. Et lorsque l’on dépasse les 50 ans, la livraison est quasiment inexistante. Nous avons des racines culturelles profondes en France et pour beaucoup de personnes l’image du restaurant reste liée au fait d’aller au restaurant. Je trouve que certaines ouvertures sont excessives. »

Mais ce risque reste limité pour certains. En septembre dernier, Newrest, mastodonte de la restauration collective, a annoncé son entrée au capital de Foodie. La jeune entreprise toulousaine, créée en 2020, porte huit concepts culinaires différents et projette de poursuivre son développement avec de nouvelles succursales et marques dans la ville rose, ainsi qu’à Bordeaux et à Montpellier. Les dark kitchens, présentées parfois comme des cuisines fantômes, deviennent paradoxalement de plus en plus incontournables en France.

UN DANGER POUR L’ACTIVITÉ DES CENTRES-VILLES ?

S’ils s’installent souvent en périphérie, les enseignes de restaurants virtuels conservent généralement un pied en centre-ville pour approvisionner toute leur clientèle. « Les dark kitchens donnent des opportunités monstrueuses : il n’y a pas besoin de servir les clients, le problème des tables vides est résolue et c’est moins de charges pour les restaurateurs. Ils peuvent proposer de la pizza, de la cuisine française et d’autres types de cuisine sur le même site. Mais ce modèle prône la désertification des centres-villes, alarme Jessica Nguyen, porte-parole de l’application FlipNpik, valorisant les commerces indépendants et les grandes enseignes agissant dans une démarche responsable. L’État doit réguler ce phénomène sinon les centres-villes vont mourir. Et cela est problématique car les petits commerces seront pénalisés. Les géants du commerce ont eux une agilité et des fonds suffisants pour passer en dark kitchen . »

« Nous sommes là pour faire de bons produits. » – Antonin Corot, associé d’Avec amour – le burger

Dans le quartier des Chalets à Toulouse, la société Popafood ouvrira prochainement une grande dark kitchen regroupant 12 restaurants. Si les tensions se sont apaisées, des riverains avaient alerté l’opinion et les élus sur « les problèmes de nuisance sonores dus au passage des livreurs ainsi que des problèmes de sécurité routière » (Actu Toulouse), engendrés par cette installation.

Mais ces dark kitchens ne sont pas toujours la caricature que l’on présente. « Je suis très fier de montrer ce que l’on fait, très fier de nos employés et de notre process. Nous sommes là pour faire de bons produits, des burgers qui sortent de l’ordinaire et dont la qualité est très haute à mon sens. Je vis une belle expérience professionnelle et je suis chagriné de la mauvaise image de la dark kitchen . Mon laboratoire est tout sauf sombre », affirme Antonin Corot, associé-gérant d’Avec Amour. Cette échoppe de la rue de Belleville (Paris 20e), dont la petite salle n’était pas suffisamment exploitable, s’est tournée vers la livraison à la fin de 2019 et en a fait son modèle avec la vente à emporter. Le succès des burgers Avec Amour a conduit l’enseigne, fondée avec un ancien cuisinier du Ruisseau (Paris 18e ), à ouvrir une autre cuisine à Montreuil. Dans ses dark kitchens, Avec amour sort chaque jour entre 800 et 1 000 burgers faits maison avec des buns préparés et cuits sur place et des fromages selectionnés. « J’avoue que nous avons transformé la rue, mais les gens de la copropriété nous apprécient plutôt bien », confie Antonin Corot. À Belleville, les livreurs se pressent davantage devant son restaurant que sur le trottoir d’en face, où est implanté un McDonald’s. Alors, les dark kitchens sont-elles vraiment le côté obscur de la restauration ?

Source : Des enseignes fantômes trop visibles !

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