
Dossier Filières alimentaires : les enjeux pour 2030
Les habitudes des consommateurs évoluent avec une demande plus marquée pour des alternatives végétales, des produits bio ou respectant des engagements sociétaux et environnementaux.
Au cours des dix prochaines années, l’alimentation va vivre une véritable révolution. Les consommateurs sont en train de changer. « Depuis deux à trois ans, ils cherchent à se reconnecter à leur alimentation en consommant autrement », résume Emily Mayer, directrice business insight d’IRI France. Les attentes en matière d’alimentation saine et de préservation de l’environnement s’affirment. Et ce mouvement de fond est irréversible. Les industriels, au même titre que les distributeurs et que les agriculteurs, n’ont pas d’autre choix que de s’adapter.
La traduction la plus immédiate de cette nouvelle donne est la modification des apports de protéines dans les assiettes. En France, on assiste déjà à un recul de la consommation de viandes au profit d’alternatives végétales. « En six ans, la consommation de viandes a reculé de 500 millions d’euros dans les grandes surfaces, alors que les ventes de céréales d’accompagnement, légumes secs et traiteur végétal gagnaient 170 M€ », comptabilise ainsi Emily Mayer. Toutefois, selon le Fonds français pour l’alimentation et la santé, les viandes, le lait, les œufs et le poisson représentent encore 60 à 70 % des apports protéiques. Mais la tendance tendrait vers un équilibre à 50/50 entre consommation de protéines animales et végétales. D’autres indicateurs sont également à suivre, comme le développement des aliments issus de l’agriculture biologique. « En 2018, le cap symbolique des 2 millions d’hectares cultivés en bio a été franchi, soit 7,5 % de la surface agricole française. La production bio a doublé en cinq ans, c’est la plus forte progression jamais réalisée », constate l’Agence Bio. Avec un chiffre d’affaires qui devrait dépasser les 11 milliards d’euros en 2019 (9,7 Mds en 2018), tous circuits de commercialisation confondus, le bio représente désormais 5,4 % de la consommation alimentaire. « Même si le bio n’est pas accessible à toutes les bourses, nous n’observons aucune saturation et les ventes continuent de croître dans des catégories pourtant déjà bien installées. Il pourrait encore se développer dans l’univers des alcools et des aliments pour animaux de compagnie », analyse la directrice business insight d’IRI France. En grande distribution, l’essor du bio est porté par les achats des classes moyennes, les plus gros revenus fréquentant les réseaux spécialisés. Autre tendance : l’émergence d’une « troisième voie » plus accessible, conciliant engagements environnementaux et sociétaux, sans pour autant relever des exigences strictes du bio. Les laits de consommation « responsables », offrant une juste rémunération des éleveurs en échange d’un engagement environnemental et sociétal, ont ainsi vu leurs ventes passer de 18 000 à 121 000 hectolitres entre 2016 et 2019. Selon IRI France, ils représenteraient déjà 6,5 % des volumes de lait de consommation, apportant un bol d’air bienvenu à un segment en perte de vitesse. Légumes « zéro résidus de pesticide », blés « haute valeur environnementale », jambon « issu d’animaux élevés sans antibiotiques », « lait de pâturage », œufs « plein air » sont appelés à devenir les standards de demain. À l’inverse, des catégories moins vertueuses sont boudées. « En cinq ans, la confiserie a perdu 10 000 tonnes, les biscuits 15 000 t ou les sodas, 300 000 l », révèle Emily Mayer.
Autre signe de ce changement d’habitude, le vrac poursuit sa percée, répondant ainsi à deux attentes fortes : la lutte contre le gaspillage et la réduction des emballages. Entre 2013 et 2019, son chiffre d’affaires serait passé de 100 M€ à 1,2 Md€ selon Réseau Vrac, cité par Le Monde. Illustration de cette évolution qui tend vers « du moins, mais mieux », les ventes de produits alimentaires se valorisent en grande distribution. Elles ont gagné + 1,4 % en valeur au cours des dix premiers mois de 2019, autant qu’en 2018. « Cela correspond à une inflation générale des prix, ébauchant une sortie de la guerre des prix entre distributeurs, et surtout une montée en gamme des acheteurs », reconnaît Emily Mayer.
Ce miracle de la valeur ne doit cependant pas occulter une baisse des volumes vendus en grande distribution. « L’inflexion s’est opérée en 2016. Auparavant, les ventes de produits alimentaires progressaient bon an mal an de 1 %, au rythme de l’accroissement de la population. Après une stabilisation en 2017, les volumes ont plongé », détaille-t-on chez IRI. Après une année 2018 à – 0,3 %, les dix premiers mois de 2019 s’affichent à – 0,8 %. « Entre 2016 et 2019, la consommation a reculé en volume de – 0,3 % quand la population progressait de + 0,6 % ». Un comble !
Volumes en baisse
Cette déconsommation s’explique par plusieurs raisons difficiles à hiérarchiser. Un effet démographique, déjà. La natalité baisse et la population vieillit, ce qui entraîne une réduction des besoins alimentaires individuels. Le développement d’une consommation plus responsable, avec moins de gaspillage, joue aussi en défaveur des volumes. La fragmentation des achats pour trouver des produits de qualité entraîne une désaffection des GMS classiques, tout comme la croissance exponentielle de la restauration livrée à domicile à Paris. D’autres facteurs aggravants sont venus s’ajouter en 2019 : mouvements sociaux, réforme des retraites. La loi EGalim est aussi venue réduire les promotions, renforçant encore les tensions sur les volumes. « Je suis convaincue que les volumes ne vont pas repartir à la hausse de sitôt. Il va falloir s’habituer à vivre avec cette nouvelle frugalité », conclut Emily Mayer.