Le directeur général de Danone revient sur le rachat du spécialiste du bio américain WhiteWave et sur la stratégie du géant de l’agroalimentaire.

En achetant le spécialiste du bio WhiteWave, Danone s’est résolument tourné vers les Etats-Unis. La Chine est-elle moins une priorité qu’elle n’a pu l’être ?

C’est parce que la Chine reste une priorité, et qu’il est difficile de ­contrebalancer son poids quand on réussit à s’y développer, qu’il importait de faire une acquisition importante sur le marché américain. Le rachat de WhiteWave est un rééquilibrage nécessaire à la pérennité de Danone sur une zone démographique forte, les Etats-Unis, où notre mission est de grandir.

Les autorités américaines de la concurrence vous ont obligés à céder Stonyfield, une très belle marque. N’est-ce pas dommage ?

Stonyfield est incontestablement une très belle marque. Nous avions deux mois pour la vendre et nous l’avons fait pour un montant très élevé équivalent à vingt fois l’Ebitda. Cela va nous permettre de construire notre stratégie dans de très bonnes conditions.

Vous avez vendu à Lactalis, un poids lourd de l’industrie laitière mondiale. N’avez-vous pas ainsi aidé le loup à grandir dans la bergerie ?

Lactalis est déjà un acteur du lait bio. Ils aideront à structurer cette filière aux Etats-Unis. C’est une très bonne chose. Et leur concurrence va nous pousser à être meilleurs.

Vous comptez beaucoup sur le marché américain pour améliorer la marge de Danone. Comment se porte ce marché ?

Le marché alimentaire américain s’est fortement dégradé pendant neuf mois. La croissance des ventes au détail est à zéro. Dans cet environnement, nos catégories de produits ont peu bougé, de +1 % à -1 %. Les ventes de yaourts sont en négatif, tirées vers le bas par l’américain General Mills, propriétaire de Yoplait, qui est en situation difficile. Et par Chobani, le spécialiste du yaourt grec, qui multiplie les promotions. Le lait organique est resté négatif. Mais les choses vont évoluer.

La vocation de WhiteWave sera-t-elle d’agréger d’autres marques locales ?

C’est une plate-forme qui est faite pour accueillir des offres de produits et de services qui contribuent à soutenir la révolution alimentaire en attente de produits plus sains, plus sûrs, de meilleure qualité. Pour nous, cela se matérialisera par de nouvelles hybridations, de nouvelles fermentations de yaourts, la fermentation d’autres laits, comme le lait de coco. A partir du probiotique, on peut aller beaucoup plus loin dans l’élaboration des boissons. On a créé Danone Manifesto Ventures pour que d’autres marques aient envie de s’agréger avec nous. Ce qui nous intéresse, c’est de confronter les expériences. Aux Etats-Unis, Danone a vocation à être une autre forme d’entreprise. Beaucoup plus durable. Cela intéresse au plus haut point Walmart. Les distributeurs aussi ont besoin de se réinventer pour relancer leur activité.

La profusion de marques locales est mondiale. Oblige-t-elle les grands groupes tels que Danone à revoir leurs stratégies ?

C’est vrai, on voit se multiplier les marques locales, partout y compris en Chine. Et cela nous amène à repenser la gestion de notre portefeuille de marques et à les réinventer. On ne peut plus s’adresser aux consommateurs comme il y a dix ans. Le changement d’attitude est profond : partout dans le monde, quand un consommateur achète un produit, la première chose qu’il fait est de le retourner pour lire ce qu’il y a dedans. Ce geste traduit une forme de défiance et aucun PDG du secteur ne peut l’ignorer. Les marques doivent intégrer un message, montrer ce qu’il y a derrière, engager de nouvelles formes de dialogue avec les consommateurs. Une grande marque doit aussi exprimer un point de vue sur le monde. L’identité culturelle et sociale des marques dans le secteur alimentaire est devenue un facteur clef de leur succès. Surtout auprès des jeunes. Danone a décidé de devenir une « B Corp » [NDLR : un label international qui engage les entreprises sur des objectifs sociétaux]. Nous sommes la première entreprise de cette taille à prendre cet engagement, qui est une manière de répondre aux nouvelles attentes de la société à l’égard des entreprises et des marques. Or ces attentes sont extrêmement fortes dans le domaine alimentaire.

Les grandes marques ­mondiales vont-elles décliner ?

Je ne le pense pas. Sans doute vont-elles atteindre un plateau, mais elles auront toujours leur place si elles savent se réinventer en embarquant des éléments sociétaux dans leur ADN. Le besoin de réassurance du consommateur sur la qualité de l’alimentation est une tendance de fond, partout dans le monde, de même que l’exigence de transparence et de vérité sur ce que nous faisons.

Que faudrait-il faire pour améliorer la situation de l’agriculture française ?

Les Français doivent avoir conscience qu’ils ne paient pas leur alimentation à son vrai prix. La déflation des produits alimentaires est une impasse qui se répercute sur l’amont de la filière. Il faut y remédier en développant la contractualisation avec les exploitants, pour leur permettre de mieux vivre de leur travail. C’est ce que nous avons fait avec nos producteurs de lait, qui ont pu ainsi augmenter leurs revenus de 3.000 euros par an en moyenne.