En France, les burgers se fritent

Implanté à Paris début février, le restaurant américain de poulet Popeyes devrait peiner à s’imposer dans un Hexagone monopolisé par McDo et autres burgers revisités.

Le 1er février, le géant états-unien du sandwich au poulet frit Popeyes ouvrait en grande pompe un fast-food à la gare du Nord, à Paris. Quelques jours plus tard, le Figaro croyait savoir que Wendy’s, autre ponte du secteur, envisageait de débarquer dans l’Hexagone – l’enseigne n’a pas fourni de date d’arrivée. Pour les amateurs français de fast-food américain, que les séries ont contribué à familiariser avec ces marques, c’était un peu Noël en février. Pour autant, passé l’effet de nouveauté, y a-t-il de la place sur un marché déjà largement occupé par McDonald’s, KFC, Burger King, Five Guys et autres Steak’n Shake, mais aussi les Français Big Fernand ou le Camion qui fume ?

«Francisation» du produit

Pour Rémy Lucas, directeur de Cate Marketing, spécialisé dans les marchés de la restauration et notamment du snacking, «il y a une vraie curiosité sur le burger, en même temps qu’une réelle paupérisation en France donc il y a une opportunité pour les produits abondants [Popeyes met ainsi en avant la taille de son sandwich, dont le poulet déborde du pain, ndlr]. A part chez KFC, le poulet frit n’existe pas en France, il y a des parts de marché à prendre.» «Il faudra voir dans un an combien de points de vente Popeyes a ouvert pour avoir une idée du succès de son implémentation, mais il y a une attente, on garde encore cet engouement pour les produits qui “viennent des States”, et KFC n’avait jusqu’ici pas de concurrent, estime de son côté Constance Ergand, responsable marque et communication de Five Guys. Le burger est d’ailleurs le produit le plus livré : il représente 30 à 40 % de ce que distribuent les plateformes.» Selon l’Agence nationale de sécurité alimentaire (Anses), 35 % des Français en consomment.

«Les Français ont digéré le burger, ils l’ont apprivoisé après l’avoir considéré comme de la malbouffe, explique encore Rémy Lucas. Le démontage du McDo par José Bové, ce n’est pas si vieux, c’était en 1999, mais depuis, les consommateurs ont adopté le produit.» Deux mouvements sont allés de pair : celui de «francisation» du burger, qui consiste à remplacer des ingrédients par des produits du terroir, par exemple du saint-nectaire ou de la raclette, et celui de «premiumisation», par lequel on rend le produit plus qualitatif, en utilisant de la viande de race ou du foie gras. Le burger est ainsi sorti du seul secteur de la fast-food : presque toutes les brasseries en ont à leur carte et même des chefs étoilés en proposent désormais – le 7 mars, la triple-étoilée Hélène Darroze lancera ainsi son échoppe à burgers, le Joia Bun, non loin de l’Opéra Garnier, après Alain Ducasse qui a ouvert au printemps à Bastille un kiosque à burgers végétariens.

«Chefs de rang»

De fait, si McDo résiste si bien en France avec ses 1 500 points de vente, c’est grâce à ce double mouvement, enclenché au mitan des années 2000, pointe Bernard Boutboul, président de Gira, cabinet de conseil spécialisé dans la restauration : «En 2005, ils allaient dans le mur et le retournement a été de se désaméricaniser, de sortir de l’image de graillon et de mauvaise qualité, de mettre en avant le bœuf français, etc. Aujourd’hui, Mcdo France est le seul restaurateur à exposer au Salon de l’agriculture ! Et son restaurant-école, rue de Rivoli, ne ressemble pas à un McDo, avec ses tasses de café en porcelaine et ses tartes au citron en vitrine.»

C’est la deuxième tentative de Popeyes de pénétrer le marché français, après un échec en 2018 à Montpellier et Toulouse. «Les conditions n’étaient pas réunies pour que ça fonctionne, analyse Xavier Expilly, directeur des opérations de Popeyes. Les prix étaient déconnectés du marché et le temps de service trop long.» Depuis, l’Américain, qui s’appuie pour son retour en France sur le groupe Napaqaro (qui gère aussi Buffalo Grill), semble avoir tiré les leçons de ses erreurs… et des réussites de ses concurrents. Le poulet est breton, la farine francilienne, le cantal remplace le cheddar, la cuisine est ouverte pour donner un aspect «vrai restaurant» et le service se fait à table après une commande sur borne ou, à terme, via un QR code. D’ailleurs, Xavier Expilly parle de «chefs», «chefs de rang» et «commis» comme dans la restauration traditionnelle, davantage que d’équipiers : «Les chefs de rang sont allés se former en restauration à table pour en comprendre les codes et proposer une cuisine qui ne souffre d’aucun manque de savoir-faire.»

Dark kitchens

Reste une difficulté majeure, pointe Bernard Boutboul : les emplacements. D’après Xavier Expilly, Popeyes entend se déployer de façon «assez intense : on aura 15 à 20 points de vente d’ici fin 2023 et ensuite on ouvrira un resto par semaine pour atteindre 350 en 2030». Boutboul est sceptique : «Les Américains font une grande erreur en analysant la France. Les bons points de vente y sont déjà pris : comment voulez-vous qu’avec un restaurant à Paris, Popeyes s’attaque à l’acteur majoritaire [KFC, ndlr] qui en a 300 ? C’est trop tard : pour atteindre ces objectifs, il faut ouvrir deux Popeyes par mois pendant six ans, personne n’a jamais fait ça ! A son retour en France [en 2013, ndlr] Burger King avait dû faire l’acquisition de Quick et ses emplacements pour exister.» Pour pallier ce problème mathématique, Popeyes mise sur une stratégie «multi-canaux» : il y aura certes des restaurants physiques, parfois avec drive, où s’attabler ou acheter à emporter, mais aussi des dark kitchens, ces cuisines qui n’accueillent pas de clients et écoulent leurs produits à la chaîne via Deliveroo et autre Uber Eats. «[McDo] est devenu un resto de proximité, avec tous ses emplacements. Les dark kitchens nous permettront de nous faire connaître, veut croire Xavier Expilly, et d’acquérir de nouveaux clients rapidement.» En particulier là où il n’y aurait pas encore d’emplacement libre, ou pour évaluer l’appétence des consommateurs avant de se risquer à y ouvrir un établissement.

Par Kim Hullot-Guiot  – A retrouver en cliquant sur Source

Source : En France, les burgers se fritent

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