« Le grossiste doit vraiment devenir un outil zéro souci, zéro défaut »

Quel est votre bilan de l’exercice écoulé ?
Philippe Barbier : Nous avons clôturé 2016, à fin septembre, à 3,6 Md€. C’est une forte progression : 13,6 % exactement, due notamment à de la croissance externe : une affaire en Suisse, à Zurich et, naturellement, le réseau Relais d’Or qui compte pour 310 M€ en 2016, contre seulement 20 M€ en 2015. Sur l’exercice 2016-2017, nous tablons sur 3,750 Md€.
Notre portefeuille s’est encore rééquilibré dans la partie RHF, avec environ 1,8 Md€ en restauration collective et 1 Md€ en restauration commerciale. Pour la 3e  année consécutive, toutes nos branches se sont développées en restauration commerciale indépendante.
Éric Dumont : Oui et c’est une satisfaction, car c’est une impulsion que nous avons donnée il y a quelques années et qui a mis quelque temps à se réaliser. Nous avons fait évoluer notre image : celle d’un grand groupe majoritairement positionné sur la restauration collective. Aujourd’hui, nous en récoltons les fruits, nous maîtrisons mieux les gammes et enregistrons des succès. Nous travaillons avec 25 % des restaurants étoilés.
P.B. : Nous sommes également satisfaits de nos développements dans le commerce spécialisé de proximité – qui est porté essentiellement par les activités de Délice & Création, Saveurs d’Antoine et un peu TerreAzur – puisque nous y avons progressé de 16 % pour atteindre presque 300 M€. C’est l’équivalent de ce que nous réalisons encore en GMS.
La répartition par branche est aujourd’hui la suivante : 1,5 Md€ pour PassionFroid, 900 M€ pour TerreAzur, 520 M€ pour ÉpiSaveurs, 90 M€ pour Délice & Création, 125 M€ pour Saveurs d’Antoine et 310 M€ pour Relais d’Or. À cela s’ajoutent 140 M€ de nos activités à l’étranger, Suisse et Espagne, et encore 50 M€ de la branche Alliomer que nous avons cédée.

Éric Dumont
Quels ont été les événements marquants de 2016 ?
P.B. : Nous avons renforcé notre présence sur le marché des grossistes confiseurs, avec le rachat de deux fonds de commerce. Ce sont deux affaires que nous agglomérons à celle que nous avions déjà et que nous intégrons à EpiSaveurs qui se charge de cette partie depuis deux ans. L’idée étant que ces gammes nous apportent de l’activité en snacking, sandwicherie, street food, et que certains de ces clients puissent acheter quelques produits de la gamme EpiSaveurs tels que des produits d’hygiène ou d’épicerie traditionnelle.
Nous avons fait une segmentation entre les points de vente de type « snackings revendeurs » ou kiosques, et les « snackings assembleurs » qui font un peu de préparation.
Cette cible des assembleurs, vous souhaitiez également la toucher avec Relais d’Or…
P.B. : Il faut en effet attribuer une autre mission à Relais d’Or. La restauration assise à table, sous toutes ses formes, est son métier d’origine. Et nous pensons que ce réseau peut également être pertinent auprès d’une partie de la restauration nomade assembleur, en tri-température éventuellement.

E.D. : Nous pensons cependant que tout le monde ne peut pas tout vendre. Les vendeurs ne peuvent pas avoir tous les produits en tête et les entrepôts ne peuvent pas porter tous les produits. Étant donné qu’en fonction des clients nous avons des demandes de plus en plus précises – bio, local, sans gluten, etc. –, les gammes explosent. Aujourd’hui, grâce à notre organisation multiréseau, les clients de Pomona qui se font livrer par TerreAzur, PassionFroid et EpiSaveurs ont accès à 10 000 références.

Y a-t-il des opérations de croissance externe à l’international sur l’exercice en cours ?

E.D. : Pas pour l’instant. Cela fait partie des champs d’investigation, mais la France nous occupe bien. Il y a de gros enjeux.

À ce propos, qu’en est-il de Pégase ?
E.D. : Pégase est une centrale de négociation commune entre Relais d’Or Centrale, dirigée par Christophe Loison, et PassionFroid, qui a vocation à conduire des négociations, soit auprès de grands industriels communs, soit auprès de fournisseurs du grand import. Pégase est opérationnelle depuis le début de cette année et est dirigée par Benoît Gueneley, un professionnel des achats qui a notamment travaillé chez EpiSaveurs et TerreAzur. Les industriels ont en face d’eux un interlocuteur sérieux, porte-parole à la fois de Relais d’Or et de PassionFroid. Mais ce n’est pas la pierre angulaire du projet Relais d’Or, il y a des choses beaucoup plus structurantes que cela.
P.B. : En ce qui concerne Relais d’Or, nous avons hérité de 10 entreprises hétérogènes. Nous avons à gérer mieux, à faire des progrès, à réfléchir à l’organisation logistique, aux coûts, à l’animation des commerciaux, etc. Nous voulons ramener tout le monde à un niveau de bonnes pratiques, de process, de façons de faire.
Nous renforçons les équipes avec des collaborateurs de Pomona et des embauches externes, ce qui produit un melting-pot intéressant. Le chiffre d’affaires est reparti à la hausse ce dont nous nous réjouissons pour cette première année.

Grâce à ses 1 250 producteurs régionaux partenaires, TerreAzur propose à ses clients une offre variée de fruits et légumes de saison disponibles dans leur région.
Quels ont été vos investissements en 2016 ?
P.B. : Nous avons beaucoup investi dans la logistique. Nous investissons au minimum 50 M€ chaque année dans les entrepôts, auxquels s’ajoutent les gros travaux d’entretien.
Quels sont les grands enjeux de l’année en cours ?
P.B. : C’est de répondre aux attentes de nos clients et en particulier à la demande croissante de conjuguer à la fois des gammes et des emplois régionaux, et en même temps de la sécurité alimentaire, de la traçabilité, une responsabilité de plus en plus forte. Le grossiste doit vraiment devenir un outil zéro souci, zéro défaut, et doit pouvoir fournir en permanence à ses clients les preuves – si besoin était – que tout est bien fait.
Il nous faut par ailleurs poursuivre ce qui a été commencé : la structuration de notre branche Relais d’Or, la fusion des activités Européenne Food dans EpiSaveurs, l’intégration de notre nouvelle entreprise en Suisse, et le développement en Espagne.
D’autre part, en tant qu’acteur majeur du secteur, nous sommes convaincus qu’il faut que la profession progresse encore dans la normalisation des échanges, comme les GMS ont pu le faire il y a quinze ans déjà. Nous comptons bien y prendre part et faire bouger les lignes. Le digital va s’introduire dans la fluidification des échanges entre l’industriel et le grossiste, et entre le grossiste et ses grands clients.

E.D. : C’est pourquoi, nous pensons également que la concentration va continuer car, pour normaliser, il faut des entreprises structurées, il faut investir dans les systèmes d’informations, dans les ERP… À un moment donné, les « petits » grossistes indépendants auront du mal à suivre.

Où en êtes-vous dans votre stratégie digitale ?
E.D. : Nous avons lancé en 2016 nos sites marchands PassionFroid et EpiSaveurs, sur une seule région, le Centre, afin de bien nous roder, et avec une stratégie omnicanale : c’est-à-dire que le client retrouve 100 % de son offre, de ses gammes régionales, et de ses prix. Cela génère une complexité de back office absolument extraordinaire mais il est essentiel que l’expérience client soit la même sur le digital. Le démarrage se passe techniquement et qualitativement très bien. La montée en charge est parfaite et l’expérience client est excellente. Nous sommes donc en train de déployer cela dans les autres régions. Nous sommes au début de l’histoire !

P.B. : Nous devons maintenant aller voir comment les internautes naviguent entre le site marchand et le site non marchand, combien de temps ils y restent, à quelles heures ils y vont, etc. La bonne nouvelle, c’est que ce n’est pas destructeur de valeur dans l’organisation logistique, ce qui était notre grande crainte. Étant donné que nous travaillons avec des clients déjà existants, nous calons leurs livraisons sur les tournées existantes.

Comment évolue votre fonds d’investissement dans les start-up ?
P.B. : D’une part, nous sommes membres de Smart Food Paris. Cela nous permet de rencontrer des jeunes pousses et éventuellement d’orienter nos clients vers telle ou telle start-up ou application que nous trouvons pertinentes parce qu’elles leur font gagner du temps ou de l’argent. Nous pouvons en être le promoteur ou le partenaire commercial. Nous faisons par exemple un test à travers Saveurs d’Antoine pour promouvoir, auprès des bouchers-charcutiers-traiteurs, l’application de traçabilité alimentaire Traq’Food… dans laquelle nous n’avons pas mis d’argent. C’est de l’image, du marketing conjoint.

D’autre part, nous avons monté une structure qui s’appelle Pomona Innovation Investissement qui nous permet d’aller un peu plus loin. Si nous rencontrons des start-up brillantes et avec un bon modèle économique, alors nous sommes prêts à prendre une part significative du capital et à contribuer à leur développement.

Que pensez-vous de la proposition du programme d’Emmanuel Macron : « D’ici 2022, 50 % des produits proposés par les cantines scolaires et les restaurants d’entreprise devront être bio, écologiques ou issus de circuits courts » ?
P.B. : Tout dépend des mots que l’on met derrière ces sujets. Nous travaillons beaucoup avec la CGI là-dessus. La proposition de loi de Brigitte Allain qui a occupé la profession depuis un an, parlait, elle, de 40 % mais avait une définition encore plus large, car on ciblait des produits bio, durables et avec labels. Jusqu’à présent, les engagements, y compris ceux du Grenelle de l’environnement, ne portaient que sur une partie maîtrisable du secteur public. Ici on parle aussi de restaurant d’entreprise, or on ne peut pas faire dire par la loi aux entreprises ce que les gens doivent manger…
E.D. : Sachant que l’on ne sait pas si c’est un pourcentage en nombre de produits, en poids, en euros…
P.B. : Ce qui nous semble le plus important en ce moment, c’est la demande de plus en plus forte de nos clients, de la restauration collective essentiellement, en approvisionnement régional. Il faut d’ailleurs distinguer celui-ci du circuit court. En effet, toutes nos branches restauration ont développé depuis plusieurs années des gammes régionales. Par exemple, TerreAzur a 37  partenaires cultivateurs en Ile-de-France.
En outre, nous constatons que nos clients nous demandent aussi de plus en plus de réassurance sécuritaire et de traçabilité sanitaire. Nous sentons que la responsabilité sociétale des entreprises est davantage prégnante. Le grossiste est capable d’assumer cette mission, ce qui n’est pas toujours le cas des collectivités qui travaillent en direct avec des petits producteurs.
Il faut sécuriser et massifier les circuits courts et organiser l’approvisionnement régional, pour qu’il soit sécuritaire, traçable, qu’il réponde aux problématiques de transport, de budget, et enfin qu’au niveau écologique cela ne soit pas l’inverse du but recherché, ce qui peut devenir le cas si chaque producteur de chaque produit va livrer lui-même avec sa camionnette.
Il faut que les grossistes s’engagent dans ce sens. Nous l’avons fait, nos collègues le font ou commencent à le faire. Pris comme cela, c’est un bel objectif pour la profession.
E.D. : Cela permet aussi de faire comprendre que nous sommes une partie de la solution. Face à la grande distribution qui fait des référencements nationaux, les députés et les conseillers régionaux cherchent des débouchés régionaux légitimes pour leurs entreprises. Ils peuvent donner des ordres aux cantines de leurs villes mais pas aux hypermarchés locaux !

Source : [Top 100] P. Barbier : « Le grossiste doit vraiment devenir un outil zéro souci, zéro défaut » – Tokster