Etats-Unis : le match bière contre spiritueux relancé par les cocktails en canette

Avec la pandémie, le marché a explosé. Mais, derrière le changement d’habitudes des consommateurs, se cache une stratégie marketing élaborée par les marques de vin et de spiritueux, qui ont ainsi repris la main face à leurs concurrents de la bière. Deux mondes qui se livrent une guerre sans merci.

Les puristes s’étranglent, dans un pays qui a inventé la culture du cocktail. Mais c’est bien la nouvelle tendance aux Etats-Unis : la mixologie s’invite désormais dans des canettes. L’an dernier, les ventes en supermarché de ces boissons ont doublé outre-Atlantique, à 741 millions de dollars, selon les chiffres de Nielsen et de Bump Williams Consulting.

A l’origine du phénomène : l’explosion des ventes de « hard seltzer » ces dernières années. Ces eaux gazeuses légèrement alcoolisées ont connu un succès foudroyant. Leurs ventes avaient dépassé les 4 milliards de dollars en 2020. Ces boissons avaient été lancées, essentiellement, par les marques de bière qui souhaitaient se diversifier et faire face à la baisse de leurs ventes. Les marques de vins et de spiritueux étaient restées à l’écart du phénomène. Ces dernières ont alors décidé de contre-attaquer.

Toucher les minorités

« La consommation de bière chutait ces dernières années, aux dépens du vin et des spiritueux. Avec les ‘hard seltzer’, c’est la première fois que les marques de bière reprenaient la main », raconte Laurent Grandet, analyste et directeur consommation et distribution chez Guggenheim Partners.

Les Américains Gallo et Constellation ou encore le Britannique Diageo trouvent alors la parade, en parvenant à toucher des populations différentes. « Ils ont repris ce qui marche dans le ‘hard seltzer’, comme la découverte de nouvelles saveurs, mais en s’adaptant pour viser notamment les Afro-Américains et les Hispaniques, qui n’allaient pas vers ces catégories et veulent des goûts plus prononcés », explique Laurent Grandet.

Gallo, le premier distributeur de vin aux Etats-Unis, rencontre un succès immédiat avec High Noon, une marque de cocktail à base de vodka et de jus de fruit. En 2019, pour sa première année, il en vend 600.000 caisses. Le groupe californien passe des partenariats avec des équipes de sport universitaire et à l’été 2021, les ventes explosent : +316 % par rapport à l’année précédente.

D’autres se sont engouffrés dans la brèche, bien aidés par la pandémie. En 2020, dans plusieurs grandes métropoles, les Américains n’ont pu se rendre dans les bars à cocktail. Certaines villes ont bien adapté leur législation et autorisé la vente à emporter pour ces établissements, mais les consommateurs se sont aussi tournés vers ces produits tout prêts, en supermarché. Alors que le vin ou la bière étaient facilement consommables à domicile, les cocktails souffraient en effet d’un manque d’offre pour la maison. La stratégie est efficace : la croissance des « hard seltzer » s’est ralentie l’an dernier, autour de 15 % quand on s’arrachait ces cocktails en canette.

Une bataille fiscale

Les géants du soda ne veulent pas rester à l’écart du phénomène. Le groupe Coca-Cola vient d’annoncer le lancement de son propre cocktail, pour Fresca, l’une de ses marques qui connaît un fort engouement. Le roi du soft-drink a passé pour l’occasion un partenariat avec Constellation. PepsiCo avait montré la voie en lançant une version alcoolisée de son soda Mountain Dew , déclinée en trois saveurs. « Pour ces groupes, il s’agit d’aller chercher de la croissance supplémentaire, sans risque de cannibaliser leurs propres produits », souligne Laurent Grandet.

Les marques de vin et de spiritueux préparent déjà leur prochain combat : l’alignement des taxations. La bière est en effet nettement moins taxée que les alcools forts (20 fois, en moyenne, au niveau fédéral et plus dans certains Etats). Or ces nouveaux produits présentent un degré d’alcool similaire. Les marges y sont donc moins élevées. Deux Etats ont déjà cédé, le Michigan et le Nebraska, qui ont déjà réduit les taxes sur les cocktails en canette.

Guerre de lobbying

Leurs opposants leur rétorquent que leur stratégie est d’habituer le consommateur aux alcools forts et de les emmener, par la suite, sur la bouteille de vodka, de whisky ou de tequila, au degré d’alcool bien supérieur. Les fabricants de bière, qui ont continuellement perdu des parts de marché ces dernières années, s’opposent donc à tout changement de la législation.

« S’ils réussissent à changer la réglementation, l’industrie de la bière, brasseurs et grossistes, sera confrontée à des baisses permanentes de volumes, de revenus et de bénéfices, tandis que ceux des spiritueux grimperont en flèche », prévenait récemment Jim Koch, le fondateur de Boston Beer, dans une lettre à ses confrères. La bataille ne fait que commencer.

Article de Nicolas Rauline (Bureau de New York) – A retrouver en cliquant sur Source

Source : Etats-Unis : le match bière contre spiritueux relancé par les cocktails en canette