Face à la crise, Danone se réorganise profondément et change ses équipes

Dans le contexte de crise du Covid 19 Danone voit son chiffre d’affaires se redresser. Pour faire face à un ensemble d’incertitudes inédites, le groupe se réorganise et change ses équipes de direction. Cécile Cabanis, directrice générale des finances, quitte l’entreprise fin février.

Dans un contexte de crise économique et sanitaire, Danone remonte la pente. Au cours du troisième trimestre, le champion français de l’eau, des produits laitiers et végétaux et de la nutrition spécialisée affiche un recul de son chiffre d’affaires de -2,5 % en données comparables (-9,3 % en données publiées) à 5, 8 milliards d’euros. Les volumes affichent une baisse moindre de -0,4 % au troisième trimestre (contre -2,6 % au deuxième trimestre).

Le groupe dirigé par Emmanuel Faber réitère son objectif de marge opérationnelle courante de 14 %. Pour revenir à un objectif moyen terme de croissance rentable entre +3 % et +5 % il se réorganise et engage une revue de portefeuille. Des actifs seront cédés et l’organisation sera désormais plus par zones géographiques que par métiers comme précédemment.

Au niveau du management, le groupe confirme le départ de la directrice financière. Cécile Cabanis quittera Danone en février 2021 après la finalisation et le lancement du plan d’adaptation de l’entreprise. Elle sera remplacée par Jürgen Esser, actuellement Directeur Financier des divisions Eaux et Afrique. « Cécile et moi avons travaillé ensemble de nombreuses années, elle a été au coeur de toutes les transformations majeures de l’entreprise […]. Sa décision d’ouvrir un nouveau chapitre de sa vie professionnelle est à la fois profonde et personnelle et je la respecte. Au nom de tous mes collègues au conseil d’administration et de tous nos collègues dans l’entreprise et en mon nom personnel, je veux lui exprimer tous mes remerciements pour son engagement et sa contribution et je lui souhaite tout le meilleur après son départ en février prochain » déclare Emmanuel Faber.

Le groupe crée deux postes de Directeurs Généraux à la tête de macro-régions. Véronique Penchienati-Bosetta et Shane Grant, respectivement en charge de Danone International et de Danone Amérique du Nord. Responsables du compte de résultat de ces zones, ils ont pour mission d’« optimiser la qualité d’exécution » et « de développer des stratégies locales ». L’objectif est de retrouver de la croissance et d’accroître les synergies entre les catégories de produits.

Le troisième trimestre de l’exercice vous a-t-il permis de redresser la barre ?

Le chiffre d’affaires est en ligne avec les attentes en baisse de -2,5 % en données comparables, -9,3 % en publiées. Il a été fortement affecté par les taux de change, notamment le dollar qui s’est déprécié de plus de 5 % et les monnaies de l’Amérique latine. Notre activité ultra-frais et végétale, qui représente plus de la moitié de notre chiffre d’affaires est en accélération notable à +3,7 % en comparables. Les volumes de vente ont bien progressé (+4 %) et montrent le rétablissement de la catégorie. La progression des ventes de produits végétaux, qui ressort au-dessus de 15 % valide nos ambitions d’atteindre des ventes de 5 milliards d’euros à horizon 2025. Les résultats du pôle eaux se sont améliorés mais sont toujours en négatif. Le recul de -30 % au deuxième trimestre s’est limité à une baisse de -13 % sur le troisième trimestre. L’activité eau s’est bien redressée en particulier en Europe ainsi qu’en Chine à -10 %.

Les difficultés du pôle eau pourraient-elles vous amener à céder cette activité ou certaines marques ?

Nous allons revoir l’ensemble de notre portefeuille dans le monde entier, ce qui va nous conduire à regarder de façon extrêmement détaillée l’ensemble de nos références. Les petites marques et références, qui avaient leur place jusqu’alors, ne sont plus aussi pertinentes dans le contexte de contraintes économiques actuel. Pour des raisons de logistique entre autres, nos grands clients distributeurs ne veulent plus d’une telle prolifération de références. Nous allons donc être amenés à les réduire de 15 à 30 % dans certains cas. L’eau est un cas symptomatique de la nouvelle donne.

Quelles autres activités souhaitez vous restructurer ?

Nous allons nous mettre en ordre de marche dès aujourd’hui et repenser toutes les activités qui ne garantissent pas une contribution rapide à la croissance. Nous nous sommes fixés pour objectif de retrouver une croissance de 3 à 5 % dès que possible. Pour la division ultra-frais et végétale, nous visons entre 3 et 4 %, un niveau que nous avons atteint ce trimestre. Sur les neuf premiers mois elle s’établit à 3,3 % (en données comparables). Les produits végétaux, les probiotiques, tout ce qui contribue à améliorer l’immunité sont des vecteurs extrêmement forts de croissance dans le monde hyper volatile où nous nous trouvons. Nous reprenons une guidance de marge opérationnelle à 14 % pour la marge opérationnelle courante sur l’ensemble de l’année. Notre agenda de retour à une croissance rentable nous amène à lancer une revue stratégique de nos activités en Argentine et de notre marque d’hyper protéinés VEGA destinée aux sportifs en Amérique du nord. Cela représente un chiffre d’affaires total de 500 millions d’euros. Un peu comme nous venons de céder le solde de notre participation dans Yakult tout en maintenant des liens avec ce groupe japonais, nous devons concentrer nos forces.

Danone pourrait quitter l’Argentine complètement ?

Cela n’est pas exclu mais nous allons examiner toutes les options. Nous y avons de très belles marques comme l’eau Villa Vicencio et la Serinissima mais il y a en Argentine vraiment peu de scénarios qui permettraient de recréer de la valeur suffisamment vite. Nous devons concentrer nos moyens financiers et suivre une politique d’allocation du capital disciplinée.

Pourquoi une nouvelle organisation maintenant ?

La révolution de l’alimentation n’est pas un long fleuve tranquille. Nous sommes allés chercher des relais de croissance dans le domaine du végétal et dans les probiotiques. Ce travail considérable a nécessité beaucoup de transformations et il a fallu acquérir de nouveaux et nombreux savoir-faire. Dans le contexte de cette pandémie, qui induit de très fortes contraintes sur le pouvoir d’achat de la population, nous avons d’abord décidé de prendre le temps d’observer et d’analyser les réactions des consommateurs, de notre environnement, des distributeurs, de nos concurrents. Pour nos salariés, la tension est forte. Un accord a été conclu permettant de garantir un parcours de formation de deux ans pour les profils à risque. Nous allons leur garantir de rester au sein de l’entreprise.

Pour les équipes de direction la tension est encore plus forte ! Et nous ne sommes pas les seuls. Chez nos concurrents, parmi le top 10 des groupes de l’agro-alimentaire, le taux de rotation des équipes au sein des états-majors et de 35 à 40 %. Après cette phase de réflexion nous avons décidé de transformer en profondeur les périmètres et les rôles de chacun pour constituer une entreprise puissante dans un monde avec le Covid. Nous nommons donc deux directeurs généraux qui seront responsables de deux macro-régions. D’un côté l’Amérique du Nord, sur laquelle nous avons réalisé avec Whitewave une acquisition majeure il y a trois ans. De l’autre de reste du monde y compris l’Europe et la France.

Pourquoi passer d’une organisation du Comex par métiers à une structure géographique ?

Ce changement va nous permettre de travailler les synergies entre les marques, de bénéficier d’un effet d’échelle, et aussi d’avoir un meilleur accès aux grands distributeurs. Aux Etats-Unis, par exemple, Evian et Happy Family, numéro un de l’alimentation bio pour enfants bénéficieront du poids de Whitewave, ce que nous n’étions pas en mesure de faire auparavant. La deuxième transformation visée est de mieux travailler la chaîne entre l’innovation, la recherche, les relations avec les fournisseurs, le travail en usine jusqu’à la relation client. Ce que les spécialistes appellent des solutions de « bout en bout » (end to end). En Italie, nous avons pu de cette manière combiner la logistique et les ventes entre les produits frais et l’alimentation infantile.

Est-ce une source d’économie ?

Bien sûr ! Dans ce nouveau monde Covid il faut raccourcir les échelles de décision et la plus pertinente sera celle du pays afin de s’adapter aux contextes locaux. Les grandes entreprises se sont construites au XXe siècle sur un système pyramidal mais la pyramide n’est plus adaptée pour gérer la complexité du monde qui vient. Il faut la réinventer en faisant en sorte que le siège soit là pour venir en appui de décisions prises au plus proche du terrain.

Certains critiquent vos méthodes de management. Que répondez-vous ?

Je ne suis pas le mieux placé pour répondre. Je vais laisser les commentateurs commenter. Le monde traverse une incroyable période de turbulences et une conjoncture économique qui complique tout. Dans ce monde, il faut s’adapter et le rôle d’un dirigeant c’est de s’assurer que l’organisation de l’entreprise permettra de surmonter les défis. Je suis exigeant pour moi-même comme envers mes équipes, j’en suis conscient. Les équipes de Danone font un incroyable travail et j’essaye de diriger cette entreprise en faisant preuve d’une forme d’équité et de justesse.

Cécile Cabanis directrice financière

« Il faut savoir passer le relais »

Pourquoi avez-vous décidé de quitter Danone en février prochain ?

C’est un moment chargé d’émotion pour moi. J’ai rejoint Danone il y a 16 ans, en août 2004. J’y ai vécu une aventure personnelle et collective passionnante aux côtés de Franck Riboud puis d’Emmanuel Faber. Il y a cinq ans Emmanuel m’a accordé sa confiance et j’ai pu accompagner un cycle de transformation et de recherche de la performance. Je suis très fière du chemin parcouru et j’ai le sentiment de laisser des équipes bien préparées pour le nouveau cycle qui s’ouvre.

Alors pourquoi partir ?

Danone doit franchir une nouvelle étape. Un nouveau cycle long s’ouvre. S’engager à nouveau, c’est s’engager pour au moins cinq ans. Sur un plan personnel, je me suis posé des questions cet été et j’ai eu envie aujourd’hui de reprendre ma liberté et d’engager pour moi aussi un nouveau cycle dont je ne sais pas encore de quoi il sera fait.

Vous ne partez pas fâchée ou parce qu’il n’y avait de place pour vous dans la nouvelle organisation ?

J’ai passé 16 années géniales chez Danone. Je vais partir avec plein de souvenirs en gardant ici plein d’amis et d’affection pour cette entreprise qui impacte au quotidien la vie de tant de gens. J’adhère au plan qui va être mis en oeuvre et je vais l’accompagner jusqu’en février mais il arrive un moment où il faut aussi savoir passer le relais. A nouvelle ambition, nouvelle organisation, nouvelle équipe… C’est un bon triptyque. La période qui s’ouvre est pleine d’enjeux mais Danone est bien armé pour faire face et ma loyauté est totale envers cette entreprise que je continuerai à suivre et à accompagner.

Article de Marie José Cougard, David Barroux et Julie Chauveau

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