Fever-Tree, Capri-Sun… Big bang dans les marques de boissons

Dans l’univers des boissons, le panorama français est en plein changement, et le rythme est soutenu en cette fin d’année. Certaines marques historiquement distribuées par des tiers ont décidé de s’implanter en France et donc de créer leur propre structure de commercialisation. D’autres changent de distributeur en espérant de meilleures ventes. LSA fait le point.

Le contexte 

  • La France reste un marché clé et valorisé pour les acteurs internationaux.
  • Certains groupes ont atteint des tailles suffisantes en France pour reprendre en main la distribution de leurs marques.
  • Quelques marques émergentes ont besoin d’un distributeur pour développer leurs ventes, notamment sur le circuit de la GMS.

Ainsi  

  • À l’instar de Fever-Tree, Eagle Rare, Pol Roger ou Miraval : 31 marques changent de distributeur
  • Hysope et Pastis 12/12 ont trouvé leur distributeur
  • Capri-Sun, Jim Beam, Toki… Ces marques ont créé leur structure en France

Historiquement, les acteurs des vins et spiritueux avaient besoin d’un portefeuille complet pour aborder le CHR et les cavistes. Inutile, par exemple, de se présenter au Café de la Paix (Paris 1er), en face de l’Opéra de Paris, ou chez le plus gros caviste de Lyon, sans un champagne ou un whisky. C’est pourquoi les sociétés qui ne disposaient pas de marques pour ces alcools distribuaient celles de confrères qui, eux, n’avaient pas les forces commerciales suffisantes pour aborder tous les circuits. Une situation assez unique dans l’univers des PGC-FLS due à l’importance commerciale des bars, restaurants et hôtels, estimée à un tiers des ventes pour les acteurs des boissons. Une conjoncture qui est en train de changer tant dans le domaine des vins et spiritueux que dans ceux des autres boissons. De nombreux contrats de distribution ont en effet été rompus ces derniers mois. « On ne s’y retrouve plus. On ne sait plus qui distribue qui… », déplorait récemment un acheteur d’une enseigne indépendante.

La rupture de contrat la plus retentissante ? Sans nul doute celle de deux géants, le britannique Diageo et le français LVMH. Réunis depuis 1998 dans une joint-venture – MHD France – pour distribuer leurs marques sur le territoire, ils ont annoncé leur divorce en septembre, quelques jours seulement avant le début des négociations avec la GMS. « Dans le contexte de l’évolution de sa stratégie de distribution européenne, la société Diageo a décidé de faire évoluer le portefeuille de marques commercialisées par MHD en France. À compter du mois de mars 2024, Diageo reprendra progressivement en direct la gestion d’une partie de ce portefeuille. Moët Hennessy et Diageo restent néanmoins engagés dans un partenariat à long terme au sein de MHD, qui continuera de distribuer le portefeuille de Moët Hennessy ainsi que certaines parmi les marques les plus emblématiques de Diageo sur le marché français », a annoncé Laure Baume, PDG de MHD France, via un communiqué de presse. Un divorce avec garde partagée, donc, d’autant que, selon nos informations, trois marques – les whiskys J&B, Johnnie Walker ainsi que le gin Gordon’s – continueront l’an prochain d’être distribuées par MHD. À ce stade, la vodka Smirnoff, autre marque de Diageo, ne fait pas partie des signatures qui resteront distribuées par MHD, ni les malts – comme le whisky écossais Talisker -, un segment pourtant en plein développement.

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Reprendre son destin en main

« C’était un mariage de raison plus que d’amour, observe un fin connaisseur du marché. On dit souvent que les mariages de raison ont plus de chances de durer. Ce n’est pas le cas de celui-ci. » Les aspirations des deux parties divergeaient fortement. Ainsi, le portefeuille de Diageo (rhum Captain Morgan, gin Tanqueray, vodka Smirnoff, whiskys Johnny Walker, J&B, etc.) est plutôt orienté vers une stratégie de volumes et le circuit de la grande distribution, tandis que celui de Moët Hennessy, constitué de champagnes prestigieux et de spiritueux premium, privilégie la valeur et les circuits du CHR et des cavistes. Et puis, selon nos sources, Diageo réalise en France environ 250 millions d’euros de chiffre d’affaires, une taille suffisante pour prendre en main les rênes de la commercialisation de ses marques. L’enjeu est important, selon Martin Cubertafond, consultant en vins et spiritueux : « Ces groupes généralement cotés en Bourse consolident ainsi nettement plus de chiffre d’affaires et de résultat dans leurs comptes que lorsqu’ils externalisaient la distribution de leurs marques. »

Idem pour Beam Suntory (bourbons Jim Beam et Maker’s Mark, whiskys écossais Laphroaig, Bowmore, whisky japonais Toki, gin japonais Roku, etc. ) qui a rompu son contrat de distribution avec Campari France. « Le lancement de notre filiale Beam Suntory France prouve notre confiance dans le marché français », explique Yuri Grebenkin, président international de Beam Suntory. Cette nouvelle filiale, dirigée par Anne Miller, ex-Hermès, Danone et Orangina Schweppes, comptera 40 salariés.

Reprendre son destin en main, de nombreuses sociétés étrangères s’y sont résolues cette année. Ainsi, la marque allemande Capri-Sun (Capri Sun Group Holding) était distribuée depuis plus d’une décennie par Coca-Cola EuroPacific Partners (CCEP) France. Une marque phare du rayon sans alcool, qui a également annoncé reprendreenmars2024lacommercialisation de ses boissons pour enfants. « La décision a été prise conjointement et soutient la stratégie de Capri-Sun de se rapprocher de ses clients et consommateurs, avec le souhait d ‘accélérer la croissance et la vision de l’entreprise consistant à devenir la boisson pour enfants la plus durable au monde », souligne le communiqué de presse. Capri Sun est en pleine création de sa structure hexagonale. Celle-ci est dirigée par Isabelle Bravard, chez Capri-Sun depuis 2016, où elle a occupé le poste de directrice marketing et commerciale pour l’est de l’Europe, la Turquie et l’Amérique latine. 70 salariés sont en cours d’embauche.

Un de perdu, dix de retrouvés

De son côté, CCEP France a, depuis quelques années, étoffé son portefeuille bien au-delà de Coca-Cola. Avec les boissons au thé Fuze Tea, celles aux fruits Tropico, l’energy drink Monster… Les marques partenaires lui sont moins indispensables. Et puis 2024 sera une année chargée pour CCEP qui mettra toutes ses forces dans la préparation des Jeux olympiques et paralympiques de Paris. Deux raisons qui rendent cette séparation moins douloureuse.

L’espagnol Familia Torres fait partie des dix premiers groupes mondiaux de vins. À la base, ses vins espagnols et chiliens étaient distribués par Rothschild France Distribution (RFD) devenu en 2020 Campari France, suite au rachat de RFD par ce groupe italien. Cet acteur familial vend environ 150 000 cols en France chaque année, ce qui en fait l’un des principaux acteurs des vins étrangers… lesquels représentent cependant moins de 3 % des ventes en GMS. Son contrat avec Campari n’a pas été renouvelé. De ce fait, il a confié la distribution de ses nectars à une petite structure, elle aussi familiale, Le Wine France. « Le Wine Belgique était déjà le distributeur historique des vins de cette famille espagnole dans le Benelux », explique Franck Thirion, directeur général de Le Wine France, filiale de Le Wine Belgique créée voici six ans et dédiée à la distribution de vins étrangers en France. La famille Torres quitte donc une machine de guerre, Campari, contre un acteur de taille bien plus modeste. Ses vins auront plus de poids chez Le Wine France, qui réalise 2,5 millions de chiffre d’affaires et a commercialisé 1,5 million de cols en 2022.

Un de perdu, dix de retrouvés. De son côté, Campari France a signé de nouveaux contrats avec Penfolds, star des vins australiens (auparavant distribués par le groupe Thiénot), Miraval, le rosé premium de l’acteur Brad Pitt et de la famille Perrin, réunis dans Miraval Provence (auparavant distribués par des a gents commerciaux) ainsi que les spiritueux du groupe américain Proximo (rhum épicé Kraken, whisky irlandais Bushmills, etc., auparavant commercialisés par Bardinet). « Toutes ses marques nourrissent notre portefeuille. Ce sont des pépites », soutient Géraud de la Noue, président de Campari France.

Compétences particulières pour la GMS

La bonne marque chez le bon distributeur… au bon moment. Exemple avec Hysope. Une marque de tonic pour cocktails qui fête ses quatre ans, imaginée par le multi-entrepreneur Meriadec Buchmuller : « Je suis un fan de mixologie. Chaque mois, j’allais avec une amie dans un bar de grand hôtel pour goûter des cocktails. Cela m’a donné l’idée de créer un tonic premium. J’aurai pu lancer un gin mais il y en a déjà pléthore. » Meriadec Buchmuller s’est donc rendu à Grasse pour élaborer quelques recettes avec un aromaticien, puis en Normandie où il a trouvé un embouteilleur.

Ainsi est né Hysope, du nom d’un arbrisseau aromatique qui pousse essentiellement autour de la Méditerranée. «Il y avait de l’hysope dans nos premiers tests. Nous l’avions sélectionnée pour son amertume mentholée. J’ai retenu le nom de cette plante comme marque pour le H, qui me semble chic », poursuit ce Bordelais. H comme Hermès… L’avenir dira si Hysope suit le même chemin que la prestigieuse marque de maroquinerie. Pour tenter d’y parvenir, Meriadec Buchmuller a confié la distribution de ses cinq recettes – quatre tonics et une ginger beer, tous bio – à La Maison du Whisky (LMDW), pour trois circuits: le réseau cavistes, l’e-commerce et la GMS.

Le jeune patron conserve la distribution dans les bars, là où l’on crée de l’appétence pour les marques. « Nous n’aurions pas eu les compétences nécessaires pour aborder la GMS. LMDW connaît très bien la catégorie des tonics pour avoir commercialisé pendant dix ans Fever-Tree (récemment parti chez Solinest pour certains circuits, dont la GMS, NDLR ). LMDW a contribué à son succès en France. Et puis, ils ont un portefeuille de grande qualité., avec par exemple le gin Citadelle de la Maison Ferrand. Un gin qui enregistre la plus grosse croissance dans le segment des gins premium », développe Meriadec Buchmuller. Rappelons que le gin a toujours besoin d’un tonic pour une consommation en long drink. Une bonne complémentarité, comme celle qui existe quand une marque a trouvé le bon distributeur.

 

Elles créent leur structure en France

  • Les boissons pour enfants Capri-Sun (qui appartiennent à l’allemand Capri Sun Group Holding), auparavant distribuées par Coca-Cola EuroPacific Partners.
  • Les bourbons Jim Beam et Maker’s Mark, les whiskys écossais Laphroaig et Bowmore, le whisky japonais Toki et le gin japonais Roku, commercialisés jusqu’à fin 2023 par Campari France, appartiennent au japonais Suntory qui crée une filiale française, Suntory Beam France.
  • Depuis 1998, Diageo (vodka Smirnoff, whisky Talisker, gin Tanqueray, rhum Captain Morgan, etc.) était investi en France dans la joint-venture MHD, également détenue par Moët Hennessy (LVMH). Le britannique va créer sa filiale hexagonale. Selon nos informations, les whiskys Johnnie Walker et J&B et le gin Gordon’s vont pour le moment continuer d’être distribués par MHD.
  • Clan Campbell sera la signature majeure de Stock Spirits, acteur de l’Europe de l’Est qui arrive en France après l’acquisition de cette marque (qui appartenait à Pernod Ricard) et du distributeur Dugas.

Elles changent de distributeur

Auparavant distribués par La Maison du Whisky (LMDW)

  • Le tonic Fever-Tree passe chez Solinest (pour le circuit de la GMS).
  • Les marques de l’Américain Sazerac -bourbons Buffalo Trace et Eagle Rare, cognac Sazerac de Forge, etc. – chez MBWS (Marie Brizard Wines and Spirits) qui distribue le whisky irlandais Paddy (Sazerac) depuis 2020.

Auparavant distribués par Campari France

  • Le champagne Pol Roger rejoint le négociant bordelais Joanne.
  • Les vins espagnols et chiliens signés Torres étoffent le portefeuille de Le Wine France, société spécialisée dans la distribution de vins étrangers.

Désormais distribués par Campari France

  • Les vins australiens Penfolds (avant chez Thiénot).
  • Les rosés de Provence Miraval et l’IGP méditerranée Studio de Miraval (Miraval Provence, société détenue par la famille Perrin et l’acteur américain Brad Pitt).
  • Le rhum épicé Kraken, la tequila José Cuervo, le whisky irlandais Bushmills, etc. appartiennent au groupe américain Proximo. Ils étaient distribués par Bardinet (La Martiniquaise).

Et aussi…

  • Le rhum vénézuélien Diplomatico (distribué par Dugas) a été racheté par l’américain Brown Forman qui a repris sa commercialisation via ses filiales nationales.
  • Idem pour le rhum philippin Don Papa (distribué par Dugas), racheté en début d’année par le britannique Diageo.

Elles ont trouvé leur distributeur

  • Le tonic Hysope confie sa commercialisation à LMDW.
  • Pastis 12/12 devient le premier anisé distribué par Whiskies du Monde (WDM) chez les cavistes.
  • Les bières lyonnaises Ninkasi vont être vendues par IBB.

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Source : Fever-Tree, Capri-Sun… Big bang dans les marques de boissons – LSA conso