Guillaume Girard-Reydet, président de Pernod Ricard France : « Nous avons gagné le combat de la modération ! »
À l’occasion des 50 ans de l’entreprise, Guillaume Girard-Reydet, président de Pernod Ricard France, s’est confié à LSA. Au cœur de l’entretien, comment le leader français et numéro deux mondial des spiritueux s’adapte-t-il à un marché en baisse et où l’on boit moins ?
Guillaume Girard-Reydet, président de Pernod Ricard France : « 73 % du prix payé par un consommateur pour une bouteille de spiritueux sont des taxes, et ces taxes sont indexées sur l’inflation, donc elles augmentent mécaniquement chaque année. »
C’est derrière la gare Saint-Lazare à Paris (8e), dans le nouveau siège mondial du groupe Pernod Ricard baptisé The Island, que nous retrouvons Guillaume Girard-Reydet. Le président de Pernod Ricard France, qui pilote également l’Europe du Sud, soit une zone englobant la France, l’Espagne, les pays des Balkans, l’Italie, le Portugal et la Grèce, revient sur les 50 ans du groupe célébrés cette année. Un anniversaire marqué, au mois de juin, par l’annonce d’un plan de réorganisation.
Le numéro un français des spiritueux et le numéro deux mondial qui, en l’espace de vingt-cinq ans, a intégré près de 200 marques dans son portefeuille, n’échappe pas en effet à la crise du marché en France. Depuis deux ans, fait inédit, la baisse des volumes dans l’Hexagone n’est plus compensée par la valorisation du marché.
À l’international, malgré la signature d’accords avec les États-Unis et la Chine, l’incertitude demeure. Qu’importe pour l’entreprise, qui se pose en champion de l’apéritif et ne cesse de multiplier les investissements dans les lancements – celui réussi du rhum caribéen Bumbu – et la communication. Pur produit Pernod Ricard, Guillaume Girard-Reydet, qui est entré dans le groupe en 1993 comme contrôleur financier et n’a cessé de barouder à travers le monde, de l’Europe centrale (2010) à l’Inde (2015), se montre malgré tout confiant dans l’avenir. « Nous vendons des produits de partage. L’envie de convivialité reviendra », assure-t-il.
LSA – Quel regard portez-vous sur le marché français des spiritueux ?
Guillaume Girard-Reydet – Il n’est malheureusement pas très dynamique. Cela fait deux ans que nous enregistrons un recul à la fois en volume et en valeur. C’est inédit. Jusqu’à présent, les baisses en volume ont toujours été compensées par une valorisation de l’offre. Ce n’est plus le cas. Globalement, toute la consommation est en baisse et notre industrie, qui est un bon thermomètre, est également concernée.
Comment analysez-vous cette situation ?
G. G.-R. – Il n’y a plus d’effet post-Covid. Après la crise sanitaire, les Français ont eu envie de se retrouver et de rattraper le temps perdu. Tout cela est derrière nous et les inquiétudes sur le pouvoir d’achat ont pris le dessus. Il y a aussi, je pense, une forme de fatigue sociale avec des Français qui ont envie de rester chez eux, se retrouvent moins en famille ou entre amis. Il ne faut pas oublier que nous vendons des produits de partage. Si les occasions de se retrouver baissent, cela se ressent directement sur nos ventes.
Observez-vous tout de même quelques signaux encourageants ?
G. G.-R. – Selon la dernière étude réalisée pour le compte de la Fédération française des spiritueux, 82 % des Français sont attachés au moment de l’apéritif et le considèrent comme un élément du patrimoine national. Nous savons que cette envie de convivialité reviendra.
Quelle est la place de la France chez Pernod Ricard ?
G. G.-R. – Dans un marché européen en baisse, la France affiche plutôt une bonne résistance C’est aujourd’hui le quatrième marché mondial, derrière les États-Unis, l’Inde et la Chine. Nous comptons près de 3 000 collaborateurs en France, répartis entre plusieurs entités dont Pernod Ricard France que je préside, qui assure la distribution des marques du groupe dans l’Hexagone et la production des marques françaises comme Ricard, Pastis 51, Suze ou Lillet.
Pernod Ricard France joue un rôle particulier au sein du groupe. La France, c’est l’identité du groupe et son marché historique. Les produits d’apéritif structurent notre portefeuille. Il y a vingt ans, ce moment apéritif n’existait quasiment pas en dehors de la France et de l’Europe du Sud. Ce n’est plus le cas. Aujourd’hui, on prend l’apéritif dans de nombreux pays.
Quelles marques tirent-elles la croissance ?
G. G.-R. – Notre croissance est aujourd’hui tirée par Lillet, qui progresse fortement, et le rhum caribéen Bumbu, qui connaît également une montée en puissance remarquable. Nos whiskys (Ballantine’s, Chivas, Jameson, Aberlour) ont aussi bien performé, malgré un marché du whisky en repli. Sans oublier la bonne résistance de Ricard qui reste le numéro un des spiritueux en France.
Dans un marché en recul, comment travaillez-vous le développement de l’offre ?
G. G.-R. – La consommation d’alcool a été divisée par plus de deux en France en cinquante ans. Nous avons gagné le combat de la modération, et nous nous en félicitons. Désormais, la bataille n’est plus celle du volume mais de la valeur. Les consommateurs veulent boire moins, mais mieux. Ils recherchent des produits plus techniques, avec plus de goût, plus d’histoire. C’est tout le sens de notre stratégie de montée en gamme.
Cette année, nous avons rencontré de beaux succès, notamment la « petite bouteille jaune » de Ricard prêt à boire, sortie en édition limitée et vendue à 200 000 exemplaires. Proposer un pastis prêt à boire est une véritable innovation dans les usages de consommation. Sur la catégorie du whisky, nous avons lancé Ballantine’s Sweet Blend, qui présente des notes de caramel et de vanille et qui titre à 30 %. Il s’agit de s’adresser à des consommateurs qui ne sont pas forcément amateurs de whisky et qui cherchent un produit plus accessible.
Nous misons aussi sur notre rhum caribéen premium Bumbu et sur Lillet, qui a changé de bouteille et propose une nouvelle version du Spritz à la française avec Lillet Spritz rosé. La marque Absolut a toujours été très innovante et prépare de nouvelles propositions pour élargir les usages de la vodka. Enfin, nous explorons le sans-alcool, même si cela reste un marché modeste. Nous lançons Beefeater 0.0 %, qui tire son inspiration du Beefeater London Dry Gin. Notre centre de R & D de Thuir, près de Perpignan, travaille notamment à reproduire l’expérience gustative sur d’autres catégories.
Le groupe a annoncé en juin un projet de réorganisation, quel en est l’objectif ?
G. G.-R. – Ce projet ne relève pas directement de mon périmètre. Mais je peux en expliquer les enjeux. En vingt-cinq ans, le groupe a intégré plus de 200 marques. C’est bien sûr une richesse, mais cela conduit à une complexité croissante. L’objectif de cette réorganisation est de simplifier le fonctionnement du groupe. L’idée est d’aboutir à une organisation simplifiée en deux grandes catégories : d’un côté les marques nécessitant du vieillissement (whisky, cognac…) et de l’autre, les spiritueux non vieillis (vodka, gin, apéritifs…).
Pernod Ricard France en chiffres
5 % : le poids de Pernod-Ricard France dans le CA du groupe (10,9 Mrds €, exercice fiscal 2025), soit environ 545 M €
80 % : le poids en volume de la GMS dans l’activité de Pernod Ricard France
3 000 salariés
Source : entreprise
Comment travaillez-vous avec les enseignes de la grande distribution ?
G. G.-R. – La GMS représente plus de 80 % de nos volumes. Nous avons la chance, en France, et je pense qu’on ne le dit pas assez, d’avoir des centrales d’achats et des enseignes d’une très grande exigence. C’est stimulant et nous oblige à être irréprochables. Ce qui fait la différence, au-delà des négociations annuelles, évidemment décisives, c’est l’excellence de l’exécution. Nous devons être parfaits dans la disponibilité produit, la qualité des linéaires, l’animation commerciale et la mise en œuvre des plans promotionnels. Cette exigence est au cœur de notre culture et est reconnue par nos clients.
La remise en cause du modèle de l’hypermarché pourrait-elle avoir un impact sur le marché des spiritueux ?
G. G.-R. – Les modes de consommation évoluent. La population vieillit, les foyers sont plus petits, ce qui n’est pas sans impact sur la façon de faire les courses. Les hypermarchés sont un peu moins fréquentés qu’autrefois, mais les Français ont retrouvé un vrai goût pour le commerce de proximité.
Les centrales d’achat européennes se développent, est-ce un sujet d’inquiétude ?
G. G.-R. – Les habitudes de consommation d’alcool sont très nationales. Si nous devions être caricaturaux : les Espagnols boivent du gin, les Français du pastis, les Allemands plutôt de la bière… Donc les achats restent très localisés. Ce qui compte, c’est la performance en magasin, le moment où la bouteille passe en caisse.
Vous présidez la Fédération française des spiritueux, quels sujets défendez-vous?
G. G.-R. – À la Fédération, nous portons trois grands sujets. Il y a d’abord celui de la fiscalité. Il faut bien avoir à l’esprit que 73 % du prix payé par un consommateur pour une bouteille de spiritueux sont des taxes, et ces taxes sont indexées sur l’inflation, donc elles augmentent mécaniquement chaque année. Nous sommes ensuite très attentifs à la situation internationale. En Chine, malgré un accord obtenu cet été pour éviter la surtaxation du cognac et de l’armagnac, la conjoncture reste très dégradée.
Aux États-Unis, nous avons évité le pire après l’accord conclu cet été avec l’Europe, mais nos produits subissent encore des droits d’entrée compris entre 4 et 15 %, quand nos concurrents américains n’en ont pas. La compétition est déséquilibrée. Pour nos clients distributeurs américains, l’incertitude n’est jamais une bonne nouvelle. Enfin, nous appelons de nos vœux une simplification des réglementations. Notre secteur est très encadré, parfois au point d’en devenir illisible.
Par Marie Cadoux – A retrouver en cliquant sur Source