La Guadeloupe peut dire merci à Donald Trump

La Guadeloupe se prépare à recevoir un nombre important de touristes canadiens pour la haute saison, à la fin de l’année 2025. Une rampe de lancement pour un archipel qui souhaite monter en gamme sur le plan touristique.

Dans les bureaux encore flambant neuf du Comité de tourisme des Iles de Guadeloupe (CTIG), aux Abymes, on est presque gêné par la situation. Alors que le monde frémit à la moindre prise de parole de Donald Trump, ici, l’arrivée du nouveau président et son envie furieuse de faire du Canada le « 51e Etat » des Etats-Unis fait les affaires du tourisme guadeloupéen.

« Nous attirions déjà beaucoup la clientèle canadienne. Entre 2019 et 2024, la part des touristes canadiens sur l’archipel a progressé de 54,4 %. Mais c’était sans compter l »effet Trump’ auquel on ne s’attendait pas du tout », s’étonne Rodrigue Solitude, actuel directeur général par intérim du CTIG.

Car mois après mois, les voyageurs canadiens se détournent des Etats-Unis en quête de nouvelles destinations, face à l’agressivité du président américain envers leur pays.

Un axe prioritaire de croissance

Or, pour la Guadeloupe, l’Amérique du Nord est le levier prioritaire de croissance. Près du dépose-minute de l’aéroport Guadeloupe Maryse Condé, les accents québécois sont plus fréquents qu’avant. Entre 2022 et 2024, le nombre de passagers canadiens se rendant en Guadeloupe a doublé, passant de 44.798 à 90.267. Un chiffre amené à croître dès la fin de l’année 2025. Une nouvelle desserte de Toronto à Pointe-à-Pitre va ouvrir avec un vol saisonnier hebdomadaire.

« Cette nouvelle liaison permettra à Air Canada d’augmenter son offre de sièges de 15 %. La compagnie Air Transat, qui opère actuellement trois rotations hebdomadaires saisonnières au départ de Montréal, va en ajouter une quatrième, toujours au départ de Montréal, en 2026 », indique Sandra Vénite, cheffe du service marketing et communication pour l’aéroport Guadeloupe-Maryse-Condé.

Ces touristes constituent une part de plus en plus importante des 757.129 voyageurs qui se sont rendus en Guadeloupe en 2024, selon les données de l’Institut d’émission des départements d’outre-mer (Iedom). Un chiffre que le CTIG souhaite voir doubler à l’horizon 2030 : « 1,5 million de touristes, répartis sur toute l’année, c’est près de 2,2 milliards de chiffre d’affaires généré », précise Rodrigue Solitude.

La clientèle canadienne est particulièrement recherchée : cette dernière dépenserait 10 % à 15 % de plus en moyenne que les métropolitains en vacances. Pour accueillir tous ces nouveaux visiteurs espérés, c’est le branle-bas de combat dans les hôtels qui préparent déjà le terrain pour cet hiver.

« Nous allons mettre en place un budget dédié pour de la communication digitale. Le moment est d’autant plus propice qu’avec la future ligne de Toronto, nous allons attirer les anglophones, et s’il faut accélérer sur la formation en anglais des salariés du groupe, nous le ferons », affirme Carole Adam, directrice des ventes et du marketing du groupe Des Hôtels & Des Iles qui possède le seul cinq-étoiles de l’archipel (La Toubana) ou encore la Créole Beach.

Cette arrivée potentielle d’un plus grand nombre de voyageurs canadiens concorde avec un réarmement du département sur le plan touristique, à travers de nouvelles infrastructures et une stratégie davantage tournée vers le haut de gamme. « Il faut être réaliste. Le coût de la vie en Guadeloupe augmente. Les prix des billets sont chers. La clientèle qui peut se permettre de venir ici n’est plus la même qu’avant », souligne Rodrigue Solitude.

« Premiumiser » la destination

Pour mener à bien sa mission, le CTIG dispose d’un budget de 7 millions d’euros. Communication à travers des influenceurs, spots de pub télévisé au Canada, présence sur les Salons du tourisme canadien : tous les moyens sont bons pour promouvoir le territoire qui dispose de solides atouts, notamment contre son grand rival dans les Caraïbes – la République dominicaine et ses quelque 6 millions de touristes annuels.

« En République dominicaine, vous faites principalement du tourisme de plage avec des hôtels qui proposent des formules all inclusive. L’avantage de la Guadeloupe, c’est que nous sommes un archipel. Vous allez avoir de la nature en Basse-Terre, de la plage en Grande-Terre ainsi qu’une multitude de spécificités culturelles propres à chacune des îles, qu’il s’agisse de Marie-Galante, de La Désirade, ou des Saintes », ajoute Rodrigue Solitude.

Signe de cette volonté de « premiumiser » la destination Guadeloupe, les chantiers immobiliers se multiplient. A Saint-François, c’est la SEM patrimoniale de la région et la société hôtelière Karukera qui veulent faire sortir de terre le deuxième hôtel cinq-étoiles du territoire en 2028. Un palace composé de 79 suites, dont 3 villas, en bordure de l’Anse Champagne.

Le groupe Accor, pourtant parti avec fracas des Antilles en 2002, signe son grand come-back. Dans la commune du Moule, sur le littoral atlantique, le groupe va inaugurer en 2026 le Pullman Royal Key Wellness Resort-Guadeloupe, un établissement quatre-étoiles doté de 102 chambres. A la fin de la même année, c’est l’île de Saint-Martin qui verra l’ouverture d’un MGallery au Marigot. Un projet de 165 chambres dont 40 suites.

Autant d’infrastructures censées muscler l’offre d’hébergement haut de gamme. Sur les 56 établissements hôteliers de l’archipel, seuls 25,6 % sont aujourd’hui classés quatre-étoiles.

Mais cette montée en gamme n’est-elle pas susceptible d’exclure davantage de voyageurs, que d’en attirer ? La question se pose lorsque l’on discute avec Lise, une sexagénaire canadienne, venue en Guadeloupe pour la première fois à l’hiver 2024. Si elle a pour projet de revenir pour l’hiver 2025, la retraitée et son mari peinent à convaincre leurs amis d’en faire de même.

Une stratégie à double tranchant

« Le département est magnifique mais le problème ici, c’est le prix. Mes amis préfèrent nettement passer leurs vacances au Mexique plutôt qu’en Guadeloupe, car c’est moins cher. Le coût des locations saisonnières est démentiel et aucune réduction n’est faite pour des personnes qui resteraient plusieurs mois », raconte la Canadienne.

Sans compter le taux de change, qui ne joue pas en faveur des Canadiens (100 dollars canadiens vallent  62 euros) et vient affecter leur pouvoir d’achat dans un archipel où la vie chère se ressent partout, notamment dans l’alimentation.

L’idée même d’une population touristique estimée à 1,5 million à l’année pour un territoire qui, en temps normal compte 380.000 habitants, questionne jusqu’au sein du Conseil départemental de la Guadeloupe.

« Nous avons déjà des problèmes de surtourisme à Terre-de-Haut, où la population n’en peut plus de voir des voiturettes électriques partout dans les rues. Avoir des touristes en dehors de la saison haute est une chose, mais il faut aussi revoir l’offre afin que tout le monde ne se rende pas en même temps aux chutes du Carbet, par exemple », nous indique une source départementale qui préfère conserver l’anonymat.

De son côté, l’Iedom rappelle que « la Guadeloupe est confrontée à des freins majeurs au développement du secteur touristique », à commencer par la crise de l’eau. Les coupures sont fréquentes, notamment dans les communes ultratouristiques de Sainte-Anne et du Gosier.

Pour répondre à ce problème, un programme pluriannuel d’investissement, doté de 370 millions d’euros, a été lancé. Au Moule, où doit s’élever le futur Pullman d’Accor, la population est frappée depuis 3 mois par des coupures d’électricité pouvant durer plusieurs heures.

Des freins à lever

La question de l’insécurité se pose, elle aussi, notamment dans la capitale administrative de Pointe-à-Pitre. Selon les chiffres de la gendarmerie et de la police, la Guadeloupe a enregistré en 2024 un meurtre tous les 11 jours et près de 496 vols à main armée.

Des données qu’il faut nuancer, selon Rodrigue Solitude : « Si ces faits sont intolérables, il s’agit la plupart du temps de règlement de comptes entre Guadeloupéens, sans que les touristes soient pris à partie. Qui plus est, dans l’arc caribéen, il n’y a pas plus de violence en Guadeloupe que dans les autres îles francophones ou anglophones. »

Parmi les réponses apportées par les pouvoirs publics, plus de 400 caméras vont être installées dans tout le département sur cinq ans, pour un coût total de 5 millions d’euros.

Par ailleurs, si la Guadeloupe souhaite atteindre son objectif de devenir une destination phare du tourisme durable, beaucoup reste à faire sur la question. Aujourd’hui, moins d’une quinzaine d’infrastructures hôtelières disposent d’un label vert.

Le territoire est confronté de plein fouet à la question de la congestion du réseau routier ainsi qu’à la gestion des déchets. Il n’est pas rare d’assister sur l’île à des dépôts sauvages d’appareils électroménagers en pleine nature ou sur le bord des routes.

Sans oublier les sargasses, ces algues brunes qui envahissent les plages de la façade atlantique, et qui, lorsqu’elles entrent en décomposition, produisent de l’ammoniac et du sulfure d’hydrogène. Une odeur d’oeuf pourri s’installe alors sur les plages. Si un nouveau plan sargasse est à l’étude du côté du gouvernement, ce phénomène lié au réchauffement climatique est amené à s’intensifier dans les années à venir.

Autant de défis que la Guadeloupe va devoir affronter si elle souhaite asseoir une position de leader en matière de tourisme dans les Caraïbes.

Par Ludovic Clerima – A retrouver en cliquant sur Source

Source : https://www.lesechos.fr/industrie-services/tourisme-transport/la-guadeloupe-peut-dire-merci-a-donald-trump-2174933