
La recette de Nicolas Feuillatte pour séduire les jeunes et face à la concurrence des cocktails
Le groupe Terroirs & Vignerons de Champagne, qui commercialise Nicolas Feuillatte, a vu sa rentabilité reculer, en raison de stocks importants. Le champagne fait face au vieillissement de sa clientèle et à la concurrence des cocktails auprès des moins de 40 ans.
Le champagne ne souffre pas seulement des tensions commerciales avec les Etats-Unis. Baisse de la consommation, vieillissement de la clientèle, concurrence d’autres alcools, prosecco ou cocktails : le secteur affronte beaucoup de vents contraires depuis plus de deux ans. Et l’horizon a du mal à se dégager.
« En 2024, l’amont et l’aval ont été sous pression. Il y a eu à la fois des rendements parcimonieux, avec des raisins rares et donc chers, et des difficultés de distribution avec la fermeture de nombreux cavistes », résume Christophe Juarez, Directeur Général de Terroirs & Vignerons de Champagne (TVC).
Cette union de coopératives réunissant 6.000 vignerons est propriétaire de Nicolas Feuillatte, la première marque de champagne en France, mais aussi de Castelnau, Abelé 1757, et plus récemment de la maison Henriot. Ce qui en fait le plus grand groupe de champagne, après LVMH (propriétaire des « Echos ») en termes de ventes.
Des stocks plus lourds
L’an dernier, si son chiffre d’affaires a progressé de 4 % à 282,3 millions d’euros, c’est grâce à la hausse des prix. Depuis trois ans, ils ont grimpé de 10 % par an. Les volumes eux sont en légère baisse. Ce qui a pesé l’an dernier sur la rentabilité du groupe, avec des stocks de bouteilles plus importants. Le résultat net accuse ainsi un recul de 16 % à 7,8 millions d’euros.
Pour le dirigeant, le champagne souffre de plusieurs handicaps. Sa clientèle vieillit et il a du mal à séduire les plus les jeunes. Parmi les amateurs de petites bulles, 25 % seulement ont moins de 40 ans. « Le message des maisons est perçu comme intimidant. Les jeunes se sentent perdus dans un monde de connaisseurs, et se disent ce n’est pas pour moi », souligne Christophe Juarez.
Les maisons interdites de cocktails
De plus, la montée en puissance de cocktails, très en vogue auprès des nouvelles générations, favorise d’autres alcools. « Une mode, dont on ne parlait pas il y a dix ans », poursuit le directeur général. Or, les maisons de champagne ne sont pas autorisées à aller sur ce terrain. Le comité Champagne, l’organisme interprofessionnel du secteur, y veille.
La communication autour de l’appellation doit se faire autour du vin et lui seul. Pas question pour un chef de cave de proposer des recettes mélangeant un champagne maison avec d’autres breuvages. Pourtant, aux Etats-Unis, un des principaux débouchés du secteur, plus de 50 % de la population ne le consomme pas pur, soit en Mimosa (avec du jus d’orange frais), ou dans d’autres cocktails, comme le French 75, un mélange incluant du gin, du jus de citron, et du sirop de sucre.
Montée en gamme
« Depuis deux ans, le champagne a perdu 17 millions d’acheteurs sur environ sur 300 millions dans les pays développés. Cela reste peu, mais c’est très coûteux et énergivore de reconquérir une clientèle », estime Christophe Juarez. D’autant que la distribution est en pleine mutation. A côté du circuit traditionnel (les grandes surfaces représentent 80 % des ventes de TVC), de nouveaux circuits se développent, réseaux sociaux ou clubs d’amateurs. Tandis que dans les restaurants, le champagne, autrefois incontournable, n’est plus une priorité dans les commandes.
Avec sa cuvée Grande Réserve Nicolas Feuillate en grande distribution, Terroirs & Vignerons de Champagne a décroché plus de 15 % de part de marché en 2024.
Pour Terroirs & Vignerons de Champagne, il s’agit avant tout « de tenir ses positions ». Et d’investir dans ses marques pour justifier ses prix. Pour relancer son activité, le groupe joue sur la montée en gamme. Avec sa cuvée Grande Réserve Nicolas Feuillate en grande distribution, le prix pour l’entrée de gamme est passé de 15-19 euros à 20-24 euros. Ce qui lui a permis de décrocher plus de 15 % de part de marché en 2024.
Les exportations américaines menacées
La France pèse encore 55 % de ses débouchés. A l’exportation, les Etats-Unis sont son premier marché, devant la Grande-Bretagne. La menace des taxes Trump est tombée au mauvais moment. « Nous avons changé d’importateur depuis le 1er janvier 2025. Nous avons donc freiné les expéditions en 2024, à la différence de nos concurrents, le temps de reconstituer toute la logistique », précise le dirigeant.
La consommation de champagne Outre-Atlantique est en net recul, autour de 10 %. « Les importateurs ne savent pas que faire. Une hausse de 10 % des taxes peut être digérée, estime Christophe Juarez. Au-delà, le risque est de réduire la place du champagne dans leur portefeuille ». Le prix d’une bouteille de Nicolas Feuillate a franchi la barre des 40 dollars dans les magasins américains. « Au-delà, des 50 dollars, les Américains risquent de ne pas suivre », redoute le patron.
Dominique Chapuis