La réussite en restauration rapide est une alchimie extrêmement complexe

Le secteur de la restauration rapide est aujourd’hui en pleine expansion (+10,8% en 2021) et devrait maintenir dans les années à venir une croissance à deux chiffres, selon Bernard Boutboul, Président de Gira¹. L’occasion de revenir avec cet expert du secteur sur des idées reçues associées à la restauration rapide.

La restauration rapide et le bio sont compatibles.

VRAI et FAUX

Tout dépend du type de restauration rapide visé. Si l’on considère, les « fast food » d’origine américaine, terme qui, au passage, tend à disparaître du paysage, le bio n’est effectivement pas proposé et ce n’est pas l’attente des consommateurs. À l’inverse, la restauration rapide haut de gamme a intégré le bio dans ses menus. Ce que l’on constate dans le secteur, c’est l’amélioration continue de la qualité de l’offre. Pour preuve, puisque l’on évoque les « fast food », il existe une chaîne française, « Bioburger », qui, comme son nom l’indique, sert des burgers 100 % bio. Cependant, en observant l’ensemble du secteur, la diffusion du bio est limitée car les clients de la restauration rapide ne sont pas prêts à payer plus cher pour un repas bio.

Restauration rapide et écologie font bon ménage.

FAUX

Il faut bien reconnaître que la plupart des entreprises de restauration rapide n’ont pas encore fait de l’écologie une priorité. Très peu d’entre elles, sauf quelques belles réalisations comme la franchise belge EXKI installée en France, appliquent des démarches de développement durable ou de responsabilité sociale d’entreprise. L’environnement dans le secteur, on en parle beaucoup mais on le voit peu ! Ainsi, à titre d’exemple, les emballages ne sont toujours pas systématiquement recyclables. Mais un changement d’importance se profile. Au 1er janvier 2023, la loi va obliger les entreprises qui proposent de la restauration à consommer sur place de mettre à disposition de sa clientèle de la vaisselle dure. Les premières expérimentations font apparaître un coût associé en termes d’investissement, de stockage ou de lavage non négligeable. Le secteur n’est clairement pas prêt pour appliquer la mesure. Il y a sur ces questions environnementales de grandes différences d’attente parmi la clientèle.  Les plus de 40 ans y sont globalement assez peu sensibles quand les moins de 40 ans, eux, sont très demandeurs. Cette génération Z qui constituera l’essentiel de la clientèle de demain est très exigeante en la matière et sensible aux questions du bien-être animal, aux pratiques sociales et environnementales. C’est un tsunami qui se prépare sur ces questions !

L’étiquette de la « mal bouffe » qui collait à la peau des établissements du secteur s’est progressivement effacée au profit d’une restauration plus saine, plus qualitative et plus diététique.

Manger sain et mangez vite c’est possible.

VRAI

Le consommateur entend se faire du bien en mangeant. C’est un virage qu’ont pris certains restaurateurs visionnaires comme Alain Cojean qui a proposé une forme de restauration de qualité, saine et en libre-service dès 2001. On peut considérer qu’il y a eu, depuis le début du siècle, un revirement des pratiques des entreprises de restauration rapide. L’étiquette de la « mal bouffe » qui collait à la peau des établissements du secteur s’est progressivement effacée au profit d’une restauration plus saine, plus qualitative et plus diététique.

La restauration rapide est un modèle économiquement fragile.

VRAI

Je qualifie le modèle économique du secteur de fragile et complexe. Sachant que les marges sont faibles par nature, les entreprises sont contraintes de faire du volume pour s’en sortir. Les fermetures de restaurants ne sont, le plus souvent, pas dues à la qualité de l’offre mais aux quantités vendues. Pour réussir dans le secteur, il faut d’abord répondre à la demande de la clientèle en termes d’offre mais d’être aussi en capacité grâce notamment à un bon emplacement, de vendre en nombre. C’est parce qu’il est complexe que le modèle économique est fragile.

Ce n’est pas difficile de faire un bon sandwich, mais c’est plus difficile de gagner de l’argent en vendant des sandwichs, ce qui est un peu différent…

Le succès dans la restauration rapide c’est d’avoir toujours un coup d’avance ?

VRAI

Pour prendre une image, je dis souvent que dans la restauration rapide il faut jouer avec les blancs. Ce sont les blancs qui débutent la partie aux échecs et qui ont donc ce fameux coup d’avance. Celui qui, par exemple, voudrait se lancer aujourd’hui dans la vente de burgers a dix ans de retard et aura en face de lui des enseignes solides et bien installées. Il faut rechercher une offre innovante susceptible de capter la clientèle et dont la rentabilité est bonne. Les porteurs de projet doivent aussi composer avec les perceptions des consommateurs. Ainsi, certains ont imaginé un concept de vente de croque-monsieur de qualité ou d’autres, des bars à pâtes. Même si les produits étaient bons, cela n’a pas marché car les consommateurs n’imaginent pas payer pour quelque chose qu’ils peuvent aisément faire chez eux… C’est la raison pour laquelle le taux de défaillance d’entreprises dans le secteur est important : une entreprise sur trois ne dépasse pas les deux ans. De l’extérieur, on peut penser qu’ouvrir un restaurant est facile. Alors qu’en fait, la réussite dans ce secteur est une alchimie extrêmement complexe à maîtriser dans un secteur qui est de plus en plus concurrentiel. Ce n’est pas difficile de faire un bon sandwich, mais c’est plus difficile de gagner de l’argent en vendant des sandwichs, ce qui est un peu différent… Pour réussir la recette d’un concept en restauration rapide, il faut mixer les ingrédients suivants : les bons produits, le prix adapté, un ton de communication qui traduit bien votre promesse, et, bien sûr, un bon emplacement.

salade

Pas de succès en restauration rapide sans une présence numérique forte.

VRAI

Le digital dans la restauration rapide c’est quasiment vital. Le numérique est impératif car il permet d’accélérer les processus tant pour les activités de précommandes, de commandes, de paiement que pour la livraison des repas. Et c’est bien sûr indispensable pour être visible, notamment aux yeux de la génération Z qui n’imagine pas que les restaurants n’existent pas en ligne. Les restaurateurs l’ont d’ailleurs bien compris en ayant mis en œuvre des solutions tout à fait satisfaisantes pour les clients au regard de leurs attentes. Il n’est qu’à regarder le succès des pré-commandes avec retrait en restaurant ou livraison. La jeune génération adore ça ! Elle commande en ligne et se fait livrer au bureau, et ce, même si l’établissement est proche. C’est pour cette clientèle non seulement une facilité mais un gain de temps réel. Parfois ces solutions ont des atouts insoupçonnés. Les bornes automatisées de commande dans les enseignes de « fast food » censées accélérer les flux de commandes mais qui ont eu un effet inverse. La contrepartie non négligeable : un accroissement du volume d’achat de l’ordre de 15% ! Les clients ne sont pas pressés et commandent plus.

Le marché n’est pas porteur, il est extrêmement porteur !

La restauration mono-produit est une formule qui marche.

FAUX

C’est un piège dans lequel il ne faut surtout pas tomber ! Malgré toutes les tentatives, la formule n’a jamais marché sur la durée. Et cela est vrai quelle que soit la qualité du produit : même des enseignes de grands chefs reconnus n’ont pas pu tenir ! Il faut proposer des offres complémentaires. Pour preuve, les grandes enseignes de « fast food » qui étaient mono-produit ont diversifié leur offre proposant d’autres plats que le classique burger. Pour rester sur cet exemple du burger, quand on retrouve dans toutes les cartes de restaurants traditionnels et à tous les coins de rue ce type de plat, il est difficile de faire la différence et d’attirer la clientèle. Il est de toute façon plus difficile de fidéliser sa clientèle quand on a un seul plat à la carte.

La planche de salut de la restauration rapide c’est de produire et de préparer « local ».

FAUX

C’est un choix trop réducteur et contraignant. Il est impossible de remplir une carte qu’avec des produits issus de sa région tant du point de vue de la diversité que de la quantité de l’offre disponible. En revanche, valoriser sur sa carte ce qui est issu du terroir dans la préparation des plats est, bien sûr, à encourager.

Pas besoin de savoir cuisiner pour ouvrir un restaurant rapide.

VRAI

Ce n’est effectivement pas indispensable pour réussir. Pour ouvrir un établissement de restauration rapide, il faut surtout avoir beaucoup de bon sens ne serait-ce que pour bien analyser le marché et la concurrence avant de se lancer. Il faut du bon sens et un regard objectif sur l’état de l’offre dans la zone de chalandise visée et sur les aspirations de la clientèle. Se lancer en pensant par exemple « je vais ouvrir un restaurant proposant tel type de nourriture car cela n’existe pas encore dans le quartier » c’est un non-sens dangereux. Il faut plutôt s’interroger sur la raison de cette absence d’offre.

Dans la restauration, il est extrêmement rare de créer la demande. La réinvention d’un produit oui, la création d’une demande de toute pièce, non. D’ailleurs, il suffit pour s’en convaincre de regarder l’histoire des plats qui ont réussi en restauration rapide : le burger, la pizza ou le poke bowl ne sont pas des inventions culinaires ! Mais la préparation de plats comme le burger ou la pizza, haut de gamme ou bio, sont des exemples de réinvention à succès. On améliore le produit existant et, ce faisant, on attire la clientèle.

J’invite d’ailleurs les porteurs de projet à porter un regard attentif sur l’histoire de la restauration. Les expériences des entreprises précédentes, heureuses ou malheureuses, sont riches d’enseignements et permettent d’éviter de faire les mauvais choix.

La restauration rapide est une activité avec des belles perspectives de croissance.

VRAI

Le marché n’est pas porteur ; il est extrêmement porteur ! Les perspectives de croissance dans les années à venir sont à deux chiffres. Depuis dix ans, la hausse du chiffre d’affaires oscille ainsi entre 8 % et 12 % par an. Le marché français est très en retard par rapport à ce que l’on constate en Espagne, en Italie, au Royaume-Uni ou aux États-Unis en termes de consommation de repas hors domicile. Chiffres à l’appui : les Français prennent un repas sur sept à l’extérieur de chez eux, les Espagnols un sur six, les Italiens un sur cinq, les Britanniques un sur trois et les Américains un sur deux. Je m’amuse souvent à dire que quand une mère de famille américaine dit « à table ! » tout le monde saute dans la voiture… Cette tendance à la restauration hors domicile va d’autant plus se développer que la transmission culinaire intergénérationnelle dans les familles recule. Autrement dit, les enfants n’apprennent plus de leurs parents la cuisine ! D’ailleurs, le nombre de micro-ondes dans les foyers français est supérieur au nombre de téléviseurs ; c’est un indice du type de restauration pratiquée… Et pour changer du réchauffé, la jeune génération ira au restaurant plus souvent ou se fera livrer…


Bernard Boutboul

Bernard Boutboul, Président de Gira

(¹) Gira est un cabinet spécialisé dans la consommation alimentaire hors domicile qui accompagne les porteurs de projet dans leur création d’entreprise et conseille en marketing, stratégie et développement les restaurateurs en France comme à l’international. Son président anime régulièrement des conférences et réalise des sessions de coaching de restaurateurs en partenariat avec des CCI.

Source : https://www.cci.fr/actualites/restauration-rapide-une-reussite-dependante-dune-alchimie-extremement-complexe