
La stratégie des marques à l’heure du confinement
Continuer à exister aux yeux des consommateurs sans passer pour opportunistes ? Les entreprises ont dû réinventer leur stratégie marketing, fondée davantage sur l’engagement, pour s’adresser à des Français confrontés à une situation inédite. Et préparent la suite, qui sera un subtil équilibre entre commerce et valeurs.
« Le Whopper de la quarantaine ». Cette opération associant Burger King, Carrefour et Uber Eats résume bien la nouvelle dextérité que doivent afficher les marques. Si l’enseigne de restauration rapide garde portes closes y compris pour la livraison, autorisée, elle cherche à rester bien ancrée dans l’esprit des consommateurs à travers une campagne placée sous l’égide de l’agence Buzzman. Tous les ingrédients pour réaliser à la maison son burger emblématique peuvent désormais être apportés à domicile par Uber Eats, qui s’approvisionne chez Carrefour.
L’agilité marketing est revenue. Une fois passé le premier temps de sidération. Au tout début du confinement, les messages des entreprises étaient très factuels . L’urgence était d’abord de stopper les campagnes n’ayant plus de raison d’être. Avec plus ou moins de succès comme ce loueur de voitures continuant à envoyer par e-mail des offres pour partir en week-end…
Un enjeu de responsabilité
Face à une situation inédite, les entreprises ont été nombreuses à demander des études aux cabinets de conseil, instituts et agences de communication pour les aider à asseoir une stratégie. Si les services commerciaux ont dû nettement réduire la voilure, le monde du marketing a plutôt eu tendance à mettre les bouchées doubles.
Car, en temps de crise, sanitaire comme économique, les consommateurs sont particulièrement attentifs au discours des marques. Et ils attendent d’elles, encore plus que d’ordinaire, qu’elles se montrent responsables . Selon le baromètre Covid-19 de Kantar, 80 % des Français réclament des preuves qu’elles se préoccupent de la santé de leurs salariés et 38 %, qu’elles soutiennent les hôpitaux.
Rassurer et accompagner
La communication corporate joue d’ailleurs un rôle important. Pour donner des preuves d’engagement en faisant savoir que l’on s’est mis à la fabrication de masques ou de gel hydroalcoolique ou que l’on prend soin des soignants et des personnes vulnérables, en leur donnant, par exemple, la priorité dans les magasins. Il s’agit, en outre, de rassurer, comme le fait Monoprix avec l’agence DDB en informant sur la fréquence de nettoyage des tapis de caisse et des terminaux de paiement ou en répondant à des questions comme « puis-je venir faire les courses avec mes enfants ».
Les entreprises redoublent aussi d’imagination pour montrer aux Français qu’elles sont à leurs côtés. « Les marques ont dû mener un travail actif de construction de contenu pour aider à mieux supporter le confinement, pour rendre des services », remarque Pierre Santamaria, associé France EY Consulting, qui souligne la capacité des entreprises à réagir très vite.
Ibis , qui a fait de la musique un axe de son identité, a ainsi transformé depuis début avril les concerts intimistes faits à travers le monde dans ses hôtels autour de talents émergents en rendez-vous sur Instagram une fois par semaine pour suivre des performances. « A l’heure où les gens ont l’oeil rivé sur leur téléphone et sur les réseaux sociaux, cela permet d’asseoir l’enseigne sur la proximité, la simplicité », estime Marie-Charlotte Belmonte, directrice adjointe de l’agence MRM Paris, qui a accompagné la marque d’Accor.
Démontrer son utilité
Le mouvement, déjà bien lancé quand personne ne se doutait de ce qui allait arriver, monte encore en puissance. « Une nouvelle relation émerge. Mais les angles d’attaque proposés doivent être perçus comme intéressants et non intéressés. L’important pour une marque est de démontrer son utilité en se centrant sur son positionnement », analyse Ava Eschwege, fondatrice d’AdC-L’Agence de Contenu . Un acteur comme Atlantic, qui s’adresse à la fois aux professionnels et aux particuliers pour ses radiateurs, chauffe-eau et autres équipements de chauffage, a bien compris l’enjeu en lui demandant d’adopter un rythme plus soutenu de publication de sujets sur la manière de maîtriser sa consommation d’énergie à l’heure du confinement et du télétravail ou sur la qualité de l’air intérieur.
Encore plus que d’ordinaire, chaque mot, chaque image comptent. « En période de confinement, de télétravail, certaines entreprises ont des produits et services adaptés à vendre. Mais elles doivent être très attentives à leur manière de s’adresser au consommateur. Le danger est d’être pris pour un opportuniste », avertit Pierre Santamaria. Radios et télévisions continuent d’ailleurs à rappeler régulièrement avant la diffusion de spots que la publicité est importante pour permettre de continuer à informer et à divertir.
Entre pudeur et efficacité
La suite s’annonce tout aussi active pour les marques. « Un nouvel équilibre entre commerce et valeurs émerge. Après la fin du confinement, il existera une période plus ou moins longue de transition avant que les gens se sentent libérés et cherchent à en profiter. Il va falloir faire preuve de beaucoup de délicatesse et de pudeur tout en cherchant l’efficacité », avertit Sébastien Genty, directeur général et directeur du planning stratégique de l’agence DDB Paris .
« Il y aura un avant et un après. Il reste à voir quels seront les leviers de consommation concernés par les changements et à mesurer ce qui pourra se poursuivre comme autrefois, souligne, pour sa part, Pierre Santamaria. Ce qui est acquis, c’est que le processus lié à l’affirmation de la raison d’être de l’entreprise va s’accélérer. Tout comme la digitalisation des points de contact. ». Le déconfinement sera un accélérateur tout aussi puissant que l’a été le confinement.
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