La Tour d’Argent domine toujours

Ce n’est pas sans appréhension que l’on (re)découvre un restaurant qui affiche fièrement 1582 comme année de fondation dans son logo. Depuis cet hiver, il y a une bonne raison de le faire: le nouveau chef Yannick Franques.

En franchissant le seuil de la Tour d’Argent, sise depuis plus de 400 ans quai de la Tournelle à Paris, c’est l’histoire de la gastronomie française qui nous accueille. La vénérable maison a appris l’usage de la fourchette à Henri IV, servi des chocolats chauds à Mme de Sévigné et travaillé avec le chef personnel de Napoléon. Reste à savoir si l’institution connue dans le monde entier a su s’adapter aux attentes des épicuriens du XXIe siècle.

La salle à manger, perchée depuis 1936 au sixième étage de l’immeuble construit par le restaurant en 1830, distille un charme délicieusement suranné. La vue de carte postale sur la Seine et Notre-Dame, la moquette au motif Grand Siècle, les gobelets en argent et le canard en cristal posés sur les tables promettent un dîner mémorable. Le ballet du service peut commencer.

L’échange avec le sommelier est un enchantement. Après avoir présenté une carte des vins plus épaisse qu’un bottin, il nous raconte l’histoire de la cave de la Tour d’Argent, une des plus riches au monde. Avec pas moins de 15 000 références déclinées en 320 000 bouteilles aux millésimes remontant au milieu du XIXe siècle, la lecture des noms des vignobles et des flacons est une véritable épopée. Pour les moins oenologues d’entre nous, un accord mets et vins au verre est heureusement proposé.

André Terrail, troisième représentant de la famille propriétaire de la Tour d’Argent depuis 1911, a confié à Yannick Franques une mission: reconquérir une deuxième étoile au Michelin. Le nouveau chef, Meilleur ouvrier de France en 2004 et ancien chef de la Réserve de Beaulieu, a fait ses classes dans les cuisines d’Eric Frechon au Bristol, Christian Constant au Crillon et Alain Ducasse au Louis XV. Autrement dit, il semble bien armé pour réargenter le blason de la Tour. Sa carte est un judicieux mélange entre classiques de la maison maîtrisés avec panache (caneton rôti sauce au sang, quenelle de brochet ou foie gras) et créations à l’audace bien dosée (l’oeuf «mystère» à la truffe pourrait à lui seul décrocher les étoiles).

Pendant la préparation des crêpes Mademoiselle (caramélisées et flambées dans les règles de l’art devant les convives), le sentiment de vivre une expérience gastronomique unique s’impose. Tout en respectant son histoire, la Tour d’Argent réussit sa mue et assure, pour sans doute quelques décennies encore, son statut de fleuron de notre patrimoine. C’est précieux.

Source : La Tour d’Argent domine toujours – La table