En guerre contre Nestlé et JAB, le groupe familial veut grossir très vite afin de survivre à la consolidation du marché du café. Mais comment relever le défi de l’international, sans perdre l’identité italienne de la marque ?

« Lavazza, le café que les Italiens préfèrent ». Dans la Péninsule, le slogan a du vrai. Chaque matin, c’est avec ce café que les Italiens commencent leur journée, achèvent un repas ou font une pause. Le breuvage noir de la marque emplit les tasses avalées sur le zinc comme les gobelets en plastique des distributeurs.

Lavazza a soif de nouvelles conquêtes

Toujours aux mains de la famille du fondateur, Luigi Lavazza, l’entreprise détient 45 % du marché de la péninsule. Elle y est synonyme de café, tant elle a contribué à l’explosion de sa consommation après-guerre, avec des campagnes publicitaires qui sont entrées dans l’imaginaire collectif et des boîtes qu’on trouve dans presque toutes les maisons d’Italie.

Une guerre entre petits et gros producteurs

Mais c’est désormais hors de ses frontières que le groupe fondé en 1895 réalise 63 % de son chiffre d’affaires. Il a dépassé les 2 milliards d’euros l’an dernier (+6,3 %). Et l’ambition du plan stratégique est d’atteindre les 2,5 milliards à l’horizon 2021. Un seuil que son vice-président,  Giuseppe Lavazza, estime « idéal pour être moins attaquables sur le marché ».

Un marché global qui  représente 50 milliards d’euros et dont tous les segments, des capsules au café soluble, sont en croissance, suscitant une guerre entre les producteurs de taille moyenne, d’un côté, et les géants de l’agroalimentaire, de l’autre. Depuis cinq ans, le holding JAB (Keurig, JDE…) de la richissime famille Reimann a investi plus de 40 milliards de dollars dans le café. Les rachats et les partenariats se sont multipliés, que ce soit Nestlé avec Starbucks, JAB avec Panera ou Coca-Cola avec Costa.

Lavazza n’est pas en reste. C’est en France, son deuxième marché, qu’a débuté son internationalisation en 1982 et c’est dans l’Hexagone que le groupe de 3.000 salariés l’a confortée avec l’acquisition de Carte Noire en 2016. La marque a rejoint la danoise Merrild, et la chaîne canadienne de café bio et équitable Kicking Horse Coffee, auxquelles s’est ajoutée en juillet l’australienne Blue Pod Coffe. Cela lui a permis de monter sur la troisième marche du podium mondial des industriels du café, avec, si l’on se base sur les volumes de café vendus en détail, 2,8 % de part de marché, loin derrière Nestlé (22,4 %) et JAB (12,1 %), mais tout juste devant Starbucks (2,5 %).

Conserver son identité

Mattew Barry, analyste d’Euromonitor, qui a établi ce classement, s’interroge sur les conséquences d’une telle stratégie : « Créer une société capable d’exercer le même pouvoir de séduction chez les Australiens, les Américains ou les Estoniens que sur les Italiens a obligé Lavazza à changer son propre modus operandi. La question principale est : réussira-t-elle à maintenir son identité intacte ? »

Pour Antonio Baravalle, son administrateur délégué depuis 2011, un ex-« Marchionne boy » et directeur général d’Alfa Romeo, l’important est de conserver son indépendance dans un marché qui, ne cesse-t-il de répéter, « connaît une phase de consolidation comme l’ont vécue avant lui ceux du vin et de la bière, par exemple. Il faut atteindre une masse critique pour ne pas être racheté. Grandir veut dire avoir les épaules larges. Nous étudions avec attention les opportunités qui se présentent. » L’Asie est, par exemple, dans la ligne de mire. Un marché en expansion, dont les clients boivent essentiellement du café soluble, comme 80 % des consommateurs dans le monde.

Le rôle décisif de la R&D

Rompant avec la tradition, Lavazza s’est donc adapté. La marque a lancé en 2016 son premier café soluble pour la distribution automatique. Mais cela sera-t-il suffisant face à Nestlé, Starbucks ou JAB ? « La stratégie de croissance du groupe repose surtout sur ses importants investissements en R&D », explique Maria-Isabella Leone, une spécialiste de l’innovation à l’université Luiss Guido Carli, de Rome. C’est l’ADN d’une société qui a révolutionné au début du XXsiècle son secteur, en inventant les mélanges des crus et n’a pas cessé depuis d’innover et de se renouveler. »

En 2017, la marque a par exemple mis le paquet sur les machines à expresso, dont elle est le premier fabricant mondial pour les collectivités, avec plus de 2 milliards de dosettes, ce qui représente 20 % son activité. Des dosettes 100 % biodégradables ont été développées. « Lavazza a également  anticipé l’arrivée de Starbucks à Milan , en y ouvrant avant la chaîne américaine un flagship similaire », ajoute Maria-Isabella Leone. Aujourd’hui, c’est l’une des entreprises italiennes les plus connues à l’étranger, avec Ferrari et Ferrero.

Mais la pression de la concurrence et cette course à l’internationalisation coûtent cher. Lever de l’argent en Bourse pourrait s’avérer bientôt nécessaire. Giuseppe Lavazza, son vice-président, n’y voit « aucune opposition de principe ». Une façon là encore de s’adapter à un environnement en plein bouleversement.

L’inventeur du café moderne

En 1910, Luigi Lavazza a l’idée d’adopter pour son produit ce qui se pratiquait déjà pour le thé : le mélange de grains d’origines différentes. La raison invoquée est celle d’une meilleure qualité gustative mais ses motivations sont purement économiques. Lavazza se prémunit ainsi des oscillations de prix et de quantité d’une récolte sur l’autre qui s’avéraient coûteuses pour les entreprises du secteur.

Après la guerre, il est le premier à lancer sur grande échelle la vente de café sous vide alors que les Italiens qui l’achetaient en grains ou moulu dans des brûleries.

Grâce à de vastes campagnes publicitaires innovantes à la télévision, il fait passer la consommation de 1,1 kg par habitant en 1951 à 3,3 kg vingt ans plus tard.