Le café flambe et le monde regarde ailleurs
Le prix du café robusta a atteint son plus haut niveau depuis 1979. Les producteurs militent pour la mise en oeuvre d’un « fonds vert » public-privé de 10 milliards d’euros sur dix ans pour parer à l’effet du changement climatique sur les plantations.
La scène s’est déroulée au 101ᵉ étage du 30 Hudson Yards, un des gratte-ciel les plus mythiques de Manhattan. C’est là que le Brésil s’est vu remettre le trophée du meilleur café par Andrea Illy, le petit-fils du fondateur d’IllyCaffè, sous l’oeil bienveillant du « padrino », le cinéaste Francis Ford Coppola, ami de longue date de la famille.
Pour la deuxième année consécutive, le torréfacteur italien – fondé en 1933 à Trieste – a remis son prix du développement durable à un producteur brésilien, à l’issue d’une conférence sur l’avenir du café organisée au siège des Nations Unies, en présence du chef, triplement étoilé, Massimo Bottura.
Mais, derrière les effusions rituelles, l’effervescence était palpable dans les rangs des finalistes venus des principaux pays producteurs d’Amérique centrale, d’Inde et d’Afrique. Car, avec la récente envolée des prix du café arabica (+40 % depuis janvier) à la Bourse de New York, et du robusta (au plus haut depuis 45 ans) à Londres, c’est toute la filière qui doit s’adapter à la volatilité.
« Nous n’avons jamais été autant confrontés que cette année à l’effet concret du changement climatique sur la culture du café, lance Andrea Illy, président du groupe Illy Caffè, leader du café haut de gamme en Italie qui vise une introduction en Bourse en 2026. Si rien n’est fait, on estime que la moitié des terres cultivées ne seront plus utilisables en 2050, alors que la demande ne cesse d’augmenter. »
Des cours du café de plus en plus volatils
Certes, le cours du café n’a pas encore atteint le pic historique de 1977, mais les envolées sont plus fréquentes et le rythme de ces emballements augmente. Pour le torréfacteur, grand promoteur d’un nouveau modèle d’« agriculture régénératrice », la priorité est de préparer le renouvellement progressif des plantations.
Dans les pays producteurs les plus compétitifs comme le Brésil, l’usage est de substituer les plantes de café tous les 12-15 ans, mais certains pays gardent les mêmes plantes pendant quatre-vingts ans. Elles perdent alors toute résistance au changement climatique. C’est pourquoi Illy incite les producteurs à passer d’un modèle conventionnel à un modèle durable d’agriculture régénératrice, axée sur la restauration et la préservation de la fertilité des sols. Un enjeu crucial pour assurer l’avenir des plantations.
« Ce que l’on voit dans le café est assez comparable à ce qui se passe dans le cacao. Il faut se préparer à une forte croissance de la demande, avec plus d’incertitude sur la partie production », confie un expert. Paradoxalement, si la flambée des cours profite plutôt aux producteurs à court terme, elle est aussi le reflet d’un changement climatique déstabilisant pour la filière.
Le Vietnam, désormais deuxième producteur mondial
Jusqu’ici, les deux espèces cultivées, le caféier arabica (de qualité supérieure) et le caféier robusta représentent respectivement 60 % et 40 % de la production mondiale. La demande de robusta (42 % de l’offre mondiale) augmente à mesure que les torréfacteurs abandonnent l’arabica (de qualité supérieure) au profit de ce grain moins cher. Mais le différentiel de prix se réduit fortement (4.700 pour 5.220 euros la tonne pour l’arabica) en septembre 2024.
« Le changement climatique est en train de modifier profondément la carte caféière mondiale depuis cinquante ans, avec l’apparition du Vietnam qui est devenu le deuxième producteur mondial du café », souligne l’économiste Philippe Chalmin, fondateur du Cercle Cyclope et spécialiste des matières premières.
Un des phénomènes les plus récents est aussi le retour en grâce du robusta. « Le Brésil plante beaucoup et deviendra probablement dans quelques années le pays le plus important en termes de production de robusta, plus important que le Vietnam », a récemment déclaré à Reuters Giuseppe Lavazza, président de la société de café Lavazza.
Face à la flambée des cours, les trois grands poids lourds mondiaux – Nestlé, Starbucks, JDE Peet’s – qui représentent 50 % du marché mondial, se réorganisent. En octobre, le groupe américain Mondelez (ex Kraft Foods) est sorti définitivement du café en cédant ses parts dans le néerlandais JDE Peet’s (L’Or, Maison du Café…), contrôlé par la famille allemande Reimann. Quant aux grands torréfacteurs italiens Illy et Lavazza, ils misent sur la mobilisation des pays du G7 sur le sujet.
Un fonds mondial de soutien
Réunis sous la présidence italienne du G7, à Pescara, les ministres du développement ont ainsi donné, le 23 octobre dernier, leur feu vert à la création d’un Fonds mondial de soutien à la filière café, un projet de l’Organisation internationale du café (OIC), qui sera initialement testé dans cinq pays africains (Ethiopie, Ouganda, Tanzanie, Kenya et Malawi) avant d’être dupliqué en Amérique centrale et en Asie.
Lancée sous la houlette du gouvernement de Giorgia Meloni en Italie, l’initiative vise à créer un fonds public-privé. Elle s’inscrit dans le cadre des ambitions du « plan Mattei pour l’Afrique », cher à Giorgia Meloni, qui cherche à promouvoir un modèle vertueux de collaboration et de croissance entre l’Union européenne (UE) et les nations africaines. Mais il y a aussi l’espoir de lever des fonds supplémentaires au niveau mondial. Fin novembre, l’Italie a alloué une première tranche de plus de 600 millions d’euros aux premiers projets du « plan Mattei ». La filière café fait partie des projets pilotes.
L’effet du changement climatique est très fort et le risque subsiste qu’une tasse de café puisse un jour coûter jusqu’à 100 dollars […]
Gerardo Patacconi Responsable des opérations de l’Organisation internationale du café
« Nous avions déjà lancé cette idée de fonds pour la transition avec l’économiste américain Jeffrey Sachs (ex-directeur du Earth Institute) en 2017. Pour la première fois dans l’histoire, le G7 a repris la balle au bond. C’est déjà un grand pas », se félicite Andrea Illy. « Désormais, il va falloir remplir les caisses dans les deux ou trois prochaines années. »
Le prix de la tasse de café pourrait flamber
Il s’agit de mobiliser des fonds de l’Union européenne, des Nations Unies, de la Banque mondiale, mais aussi des investisseurs privés et même des épargnants. Pour l’italien Gerardo Patacconi, responsable des opérations de l’OIC, c’est une initiative « totalement novatrice » urgente. « L’effet du changement climatique est très fort et le risque subsiste qu’une tasse de café puisse un jour coûter jusqu’à 100 dollars si aucune mesure n’est prise dans les plantations », ajoute-t-il.
« Le prix du ‘petit noir’ n’a pas vraiment augmenté, mais le café en grains oui », relativise Philippe Chalmin. Sur les 25 millions de producteurs et travailleurs du café dans le monde, 5 à 6 millions vivent aujourd’hui sous le seuil de pauvreté (3,65 dollars par jour). « Les deux tiers du café produit dans le monde sont cultivés par 12,5 millions petits producteurs avec moins d’un hectare par tête. C’est pourquoi il faut trouver les moyens de canaliser les financements à travers les aides à l’agriculture, les coopératives… L’instrument du partenariat public-privé est le plus idoine », poursuit Andrea Illy.
L’objectif du fonds est de mobiliser un milliard de dollars par an, soit 10 milliards d’euros sur dix ans, pour faciliter l’adaptation au changement climatique à travers le renouvellement des pratiques agronomiques et la rénovation des plantations. Mais il s’agit aussi de contribuer à éradiquer la pauvreté à travers l’éducation.
Cap sur l’agriculture régénératrice
« Aujourd’hui, les deux tiers du café arabica sont produits en Amérique latine. Mais l’Afrique est aussi très pertinente. » La montée en puissance du Vietnam a déjà changé la donne. Mais il reste encore une capacité de production latente de l’Afrique soit pour le café arabica sur les pays de la Corne de l’Afrique, soit pour le café robusta sur la côte orientale.
Sur ces zones, l’Italie s’est engagée à investir dans cinq pays prioritaires dans le cadre du « plan Mattei ». « Nous avons déjà lancé avec l’UNIDO (l’Organisation des Nations unies pour le développement industriel) , l’agence spécialisée des Nations Unies pour le développement, un projet pilote important de développement d’une filière de développement durable en Ethiopie », précise Andrea Illy, en rappelant que Lavazza et Illy sont co-chefs de file de ce projet. « La Commission européenne nous a demandé de piloter ce projet, au vu du leadership italien dans ce secteur », confirme Stefano Gatti, directeur général de la coopération au ministère des Affaires étrangères italien.
Une nouvelle géographie du café
Toute la difficulté reste de s’adapter à une cartographie mouvante. « Nous étions déjà confrontés à une augmentation des prix du café robusta plus que proportionnelle à celle de l’arabica du fait d’une grande sécheresse au Vietnam, deuxième pays producteur au monde », observe Andrea Illy dont le groupe commercialise uniquement du café 100 % arabica.
Depuis, de graves épisodes de sécheresse sont arrivés au Brésil. A ce stade, la Colombie reste le pays qui a été le plus sévèrement touché par la sécheresse en subissant l’impact du phénomène climatique El Nino. Quelque 300.000 producteurs de café ont renouvelé leurs plantations sur une période de cinq à six ans pour s’adapter aux nouvelles conditions climatiques. Mais dans l’intervalle, les conditions se sont encore aggravées.
« Ce qu’on a encore du mal à comprendre c’est que la température n’augmente pas de manière linéaire, mais exponentielle, à travers des phénomènes d’accumulation de chaleur dans les océans », note Andrea Illy. « La fréquence de l’alternance avec El Nina (appelée ‘cycle ENSO’, ndlr) fait que les effets d’El Nino sont de plus en plus désastreux. »
Bientôt du café « made in Floride » ?
Face aux aléas du réchauffement, les producteurs cherchent à s’adapter. Premier producteur mondial avec 40 % de la production annuelle (environ 170 millions de sacs de café au total, ndlr), le Brésil a encore la qualité plus adaptée pour le café expresso. Champion du robusta, le Vietnam devrait investir davantage sur la qualité de sa production. Pourrait-on voir fleurir de nouveaux pays producteurs inattendus dans des zones plus tempérées à la faveur du réchauffement ? On parle déjà de la Floride, de la Californie, et même de la Sicile.
Mais le président d’Illy mise plutôt sur l’Ethiopie et les pays de la Corne d’Afrique. En attendant, il se félicite de la toute récente proposition de la Commission européenne de retarder d’un an l’entrée en vigueur du nouveau règlement européen sur la déforestation visant à bannir de nos rayons une série de produits (cacao, café, soja, huile de palme, viande bovine…) issus de terres déboisées.
« C’est un nouveau facteur pénalisant pour les petits producteurs des tropiques qui ne prend pas suffisamment en compte les aspects sociaux. Il faut leur donner plus de temps pour s’adapter et revoir ces règles de manière plus systémique », estime-t-il. La nouvelle géographie du café n’a pas fini de fluctuer.
Par Pierre de Gasquet (A New York) – A retrouver en cliquant sur Source
Source : https://www.lesechos.fr/industrie-services/conso-distribution/le-cafe-flambe-et-le-monde-regarde-ailleurs-2133561