La filière vit une incroyable embellie. Ses revenus augmentent plus vite que sa production. Un succès lié aux grandes maisons et à une inventivité marketing inégalée dans les vins et spiritueux.

Jusqu’où ira le cognac ? Avec 198 millions de bouteilles vendues en 2017 (+10 %), la profession  enchaîne les records . Elle s’est imposée comme une filière modèle pour un secteur alimentaire et agricole français à la peine, à l’heure de la mondialisation.

A quoi tient ce succès ? En premier lieu, à une capacité à toujours mieux valoriser le produit. A fin février, les ventes ont encore bondi de 8 % en volume sur les douze derniers mois, pour un chiffre d’affaires, en hausse de 14 %, à 3,15 milliards d’euros. « Issue de la viticulture, la production est contingentée. Du coup, le marketing s’est depuis longtemps orienté sur la valeur, et non le volume. Avec une forte intelligence autour de la création du besoin », analyse Sylvain Dadé directeur associé de Sowine, une agence conseil de marketing.

A tel point que le cognac de qualité XO (10 ans d’âge au moins) vendue 20 euros la bouteille de 50 cl chez Lidl en février a suscité l’ire des producteurs. « On ne supporte pas que la grande distribution brade un cognac, derrière lequel il y a un savoir-faire et une histoire », tonne Christophe Veral, le président de l’Union Générale des Viticulteurs pour l’AOC Cognac. « La place du cognac doit rester dans les catégories premium, super-premium et iconique », insiste Jean-François Ley, fondateur du Wine & Spirits Institute.

La vogue du « craft »

Deuxième facteur de succès, le poids des quatre grandes maisons du secteur : Hennessy (LVMH, propriétaire des « Echos »), Martell (Pernod Ricard), Remy Martin (Cointreau) et Courvoisier (Suntory). Véritables locomotives, elles s’arrogent plus de 80 % du marché et entraînent toute la filière.  Très inventives sur le plan marketing , elles ont joué à fond sur le goût des Afro-Américains pour une boisson, perçue comme un symbole de richesse et de raffinement. Dans les années 2000, Hennessy s’est mis à utiliser dans ses publicités le visage de grands artistes afro-américains, comme Marvin Gaye ou Erykah Badu.  La marque a aussi creusé son sillon chez les rappeurs , où elle apparaît dans de nombreux titres à succès : Drake dans son tube « One Dance » : « That’s why I need a one dance, got a Hennesy in my hand », ou Kanye West : « Cry, who needs sorry when there’s Hennesy ? ‘.

Troisième clé du succès, l’inventivité. Dernière innovation en date, les cognac « craft », jouant sur une notion de terroir et d’artisanat. Le créneau a été défriché par Francis Abecassis, ancien viticulteur du Languedoc, à la tête de plus de 200 hectares. C’est lui qui lorgnant du côté du whisky a imposé le « single estate cognac » porté par ses marques, ABK6, Leyrat et Reviseur.

Inventivité ou règlement ?

Camus a aussi lancé un cognac XO « Family reserve » dont les eaux-de-vie proviennent exclusivement des 185 hectares du domaine familial. « Nous avons senti cette tendance émerger depuis la crise de 2008 avec le retour du consommateur vers de l’authenticité. C’est un mouvement particulièrement fort chez les Millenials », explique Cyril Camus.

Mais cette inventivité fait parfois tiquer. Ainsi Hennessy s’est vu pour l’instant refuser par l’administration sa mention « X.X.O. Cognac Hors d’Age ». « Cette mention n’est pas prévue par le décret du 16 décembre 2016 relatif à l’étiquetage des boissons spiritueuses. Elle pourrait entraîner une tromperie du consommateur », craint-on à la DGCCRF.

Les as du marketing

Jusqu’où les as du marketing iront-ils ? A la pointe de l’innovation la PME Bache Gabrielsen a lancé un cognac vieilli en fûts de chêne américain. Une idée qui a créé des remous au Bureau interprofessionnel qui envisage de modifier le règlement de l’appellation pour préciser que seul le chêne français est autorisé. Il y a un an chez Martell, on a même créé Blue Swift, une eau-de-vie de 6 ans d’âge dont le « finishing » s’est effectué dans des fûts ayant contenu du bourbon !

Une initiative qui a là aussi fait jaser. A l’arrivée, interdiction pour Martell d’utiliser l’appellation cognac mais la mention « drink spirit ». Peu importe pour Martell car le Blue Swift se vend bien aux Etats-Unis. Un marché sur lequel la marque est en retard par rapport à Hennessy. Attention jugent toutefois certains. « La législation distingue le cognac du simple brandy. Je ne suis pas sûr que jouer avec les limites de la législation soit la meilleure approche pour se distinguer », conclut Jean-François Ley.