Les blocages des « gilets jaunes » cachent une tendance plus profonde. Procos, qui fédère 260 enseignes, note que la fréquentation des magasins baisse depuis 5 ans en continu.

« Nous craignons une forme de ‘suspension’ de la consommation, un changement d’état d’esprit des Français ». François Feijoo est le PDG des chaussures Eram. Il préside aussi Procos, une fédération de 260 enseignes qui ont pignon sur rue et dans les centres commerciaux. Il se demande si la France n’entre pas dans une ère de déconsommation.

Procos a publié vendredi son bilan annuel. Sans surprise, les sept samedis de blocage de la fin de l’année ont tiré les chiffres d’affaires vers le bas. Le baromètre des ventes affichait -6,8 % en novembre et -3,9 % en décembre. Le prêt-à-porter (-4,9 %), la chaussure (-4,5 %), la beauté et la santé (-7,3 %) ont particulièrement souffert.

Pas de report avec Internet

La fréquentation des magasins a chuté de 3,1 % en décembre, notamment dans les villes de 500.000 à 1 million d’habitants, ces zones d’activité d’où est parti le mouvement  des « gilets jaunes » , là où ceux qui se rendent à leur travail en voiture ont été pénalisés par la hausse du diesel. La perte de clientèle a même atteint 26 % en novembre à Avignon Le Pontet, 18 % à Caen Mondeville 2 ou à la mégapole commerciale de Plan-de-Campagne près de Marseille.

Les commerçants réclament le gel des loyers que leur demandent les propriétaires de centres commerciaux. - ERIC PIERMONT/AFP
Les commerçants réclament le gel des loyers que leur demandent les propriétaires de centres commerciaux. – ERIC PIERMONT/AFP

« Ce qui nous a surpris, explique François Feijoo, c’est la courbe des ventes des sites Internet de nos enseignes. Nous attendions une croissance de 14 %, conforme aux prévisions de la Fevad [la fédération du e-commerce, NDLR]. Les blocages auraient même dû gonfler ce chiffre. Or la hausse n’a été que de 8,9 % en décembre. Il n’y a pas eu de  report vers le Net  ». Selon nos informations, les données que la Fevad publiera bientôt confirmeront que les Amazon et consorts n’ont pas profité de la crise.

Les fermetures ne sont plus taboues

Les statistiques de Procos montrent autre chose. En décembre 2017 déjà, la fréquentation des magasins avait baissé de 1,4 %. Le mouvement est en réalité enclenché depuis 5 ans : -5,7 % en 2014, -5,4 % en 2015, -6,6 % en 2016. L’année 2017 a suscité l’espoir d’une reprise avec un score de -2,5 %. 2018 a douché cette espérance.

Les commerçants ont demandé aux propriétaires de centres commerciaux l’étalement du paiement des loyers de novembre et décembre. Leur représentant demande plus aux grandes foncières. « Le commerce doit se transformer pour garder ses clients. Cette transformation, qui implique par exemple la digitalisation des boutiques, est coûteuse. Les loyers ne peuvent continuer à augmenter comme si de rien n’était », affirme le président de Procos. Il est bien placé au sein du groupe Eram pour savoir que les fermetures de points de vente ne sont plus taboues.

La tendance à la déconsommation affecte-t-elle toutes les formes de commerce ? L’institut Nielsen note que le 31 décembre a été pour les grandes surfaces alimentaires l’un des meilleurs jours de vente des deux dernières années avec 487 millions de chiffre d’affaires cumulé. La société d’études IRI indique cependant que sur l’ensemble de décembre les ventes en volume des produits de grande consommation ont reculé de 2,3 %, avec des baisses encore plus forte pour le champagne et le saumon. L’année se termine à -0,8 % en nombre de produits vendus. Le chiffre d’affaires du secteur progresse de 1,1 %. Les Français achètent des produits de meilleure qualité dans les hypers et les supers. Les modes de consommation sont bien en train de changer.

La crise des gilets jaunes a rajouté des difficultés à un secteur déjà en crise.
La crise des gilets jaunes a rajouté des difficultés à un secteur déjà en crise.