Le vin face à une mutation profonde de sa consommation
Depuis une quinzaine d’années, des signaux montraient une mutation profonde de la consommation de vin en France et les derniers chiffres renforcent cette évolution à laquelle sont confrontées les régions viticoles.
Les chiffres tombent et malheureusement se ressemblent. Tous indiquent une même baisse des ventes de vins en 2022, et donc, une baisse de la consommation de vin en France. Le dernier en date est issu des données de l’IRI World Wide, la société spécialisée dans l’analyse de données de marchés relevées le 4 décembre dernier et qui confirme une baisse de 6% des volumes de vins tranquilles, toutes catégories confondues, en grande distribution et une baisse de 4,91% du chiffre d’affaires. Les vins rouges sont les plus pénalisés (-9,7% en volume et -3,2% en valeur), et les rosés s’en sortent le mieux (-1%, en volume et 3,6% en valeur). Dans le détail, les vins d’AOP sont particulièrement touchés, avec une baisse de 7,2% en volume et de -4,7% en valeur.
Une « premiumisation » de la production viticole au détriment du renouvellement de l’offre ?
Certes, l’inflation, le coût de l’énergie et la crise actuelle renforcent ces mauvais résultats. « Nous retrouvons les volumes de vente de 2019, soit la plus mauvaise année, avant la crise sanitaire. Les deux années qui ont suivi, 2020 et 2021, ont vu les ventes progresser à la faveur des confinements, mais nous retrouvons le rythme de baisse passé », analyse Eric Marzec, directeur de clientèle de l’IRI. Si bien que sur le temps long, la baisse de la consommation se poursuit inexorablement. Car, au-delà de ces chiffres conjoncturels de l’année 2022, ils nous donnent aussi à voir une véritable mutation en cours des modes de consommation de vin en France qui a commencé à émerger il y a une trentaine d’années en réalité. Même si cela ne se manifestait pas de manière aussi visible dans les ventes. Et aujourd’hui, ils illustrent parfaitement cette mutation.
Pendant vingt ans, la filière a pensé que cette baisse de la consommation s’accompagnait d’une meilleure perception qualitative des vins par les consommateurs. Le fameux adage « buvons moins, mais buvons mieux ». Certes, cette vision a permis une « premiumisation » de la production viticole hexagonale, basée sur le tout AOC et sur une meilleure valorisation des terroirs de production. Et de mieux armer la viticulture Française face à la concurrence internationale en se positionnant d’emblée avec une offre qualitative et diversifiée, sur le marché mondial. Mais sur le marché intérieur, une partie de la production est restée braquée sur une frange de la population, celle des consommateurs réguliers qui représentent l’essentiel des volumes de vins, notamment d’entrée de gamme, sans pour autant renouveler son offre auprès des jeunes consommateurs et en se positionnant comme un marché à part, à l’écart de la concurrence des autres alcools, notamment de la bière.
La déconsommation du vin, un phénomène qui n’est pas nouveau
Or, grâce à certaines études, notamment celle de FranceAgriMer et de l’Inrae, réalisée depuis 1980, tous les 5 ans, sur un très large panel de consommateurs, les mutations de consommation sont visibles. Cette enquête est menée en face à face à domicile auprès de 4030 personnes représentatives de la population française âgée de 15 ans et plus. Ce remarquable travail sur le long terme illustre comment les modes de consommation de vins ont évolué en une quarantaine d’années, selon les âges, les revenus, les sexes et les milieux socioprofessionnels. Une véritable étude sociologique qui préfigurait déjà parfaitement, dans les éditions de 1995, 2000, 2005, 2010 et 2015 (la dernière en date), ce qui se manifeste aujourd’hui. Et si l’on croise cette étude avec les statistiques de vente publiées régulièrement depuis quinze ans, on s’aperçoit que le phénomène n’est pas nouveau, contrairement à ce que laisse penser la filière qui semble tout à coup surprise par ce phénomène de déconsommation. En décembre dernier, la filière alertait les pouvoirs publics que la chute de consommation de vin menaçait plus de 100 000 emplois dans les dix prochaines années.