Le whisky japonais débordé par son succès

Longtemps moquées en Occident, les productions japonaises connaissent un succès spectaculaire depuis une dizaine d’années. Les grandes distilleries, comme Suntory et Nikka, ne parviennent pas à répondre à la demande et de petites sociétés en profitent pour écouler de « faux » whisky japonais.

 

Bill Murray n’y est pour rien. Lorsqu’il interprète, en 2003, dans « Lost in Translation », un acteur américain désenchanté, invité à Tokyo à jouer dans une publicité pour le whisky Suntory, les producteurs de single malt japonais sont au plus mal. Ils n’exportent presque pas et leurs ventes dans le pays ne cessent de reculer. Les plus jeunes générations préférant les alcools blancs, les vins occidentaux et les canettes de chuhai (du shochu mélangé à de l’eau pétillante) bon marché.

Selon les autorités fiscales, le pays ne boit plus, au début des années 2000, que 150.000 litres de whisky par an, très loin du pic de consommation de 408.000 litres enregistré en 1983. Des distilleries ferment et les grands producteurs du pays replient leurs budgets marketing. La bouteille de Hibiki 17 ans d’âge se brade alors à 9.200 yens (73 euros) à Tokyo.

Flambée des prix

Fin 2020, quelques chanceux peuvent encore espérer trouver la même bouteille à 60.000 yens (475 euros) dans la capitale nippone. La plupart des bars spécialisés sont, eux, en rupture de stocks depuis que le groupe Suntory, submergé par la demande, a suspendu la vente de son alcool vedette pour pousser des mélanges plus jeunes.

En une décennie, le whisky japonais a orchestré une entrée fracassante sur la scène mondiale. « C’est une conjonction de facteurs », explique Liam McNulty, un expert basé à Tokyo, animateur de la plateforme Nomunication. « Il y a eu les récompenses remportées, à la fin des années 2000, par plusieurs whiskys japonais dans des concours internationaux mais aussi l’influence de Jim Murray », détaille le spécialiste. Dans l’édition 2015 de sa « Whisky Bible », le critique anglais donne à un single malt de Yamazaki vieilli en fût de cerisier le titre de meilleur whisky de l’année.

Cette « victoire » fait flamber le prix de la bouteille et convainc les aficionados en Europe et aux Etats-Unis de goûter enfin aux productions nippones, qu’ils avaient jusqu’alors moquées. Initié à la boisson en 1853 par le Commodore Matthew Perry, venu d’Amérique pour forcer l’Archipel, alors isolé, à ouvrir des relations diplomatiques et commerciales avec l’Occident, le Japon a allumé ses premières distilleries en 1923, suivant des techniques écossaises.

« Japanese Whisky »

Une poignée de grands acteurs comme Suntory et Nikka y produit des alcools de qualité mais essentiellement destinés aux « salarymen » cherchant une boisson bon marché à partager avec des collègues, à la sortie du bureau. « Ces sociétés ont donc été surprises par la soudaine envolée de la demande à l’international », souffle Liam McNulty. « Comme il faut entre 5 et 10 ans de vieillissement en fût pour un whisky premium, elles n’ont aujourd’hui pas assez de réserves et doivent maintenant investir massivement dans de nouvelles distilleries pour se mettre à niveau ».

Alléchés par cette nouvelle aura et ce déficit de production, plusieurs petites entreprises se sont lancées récemment sur le marché en profitant d’un cadre réglementaire très laxiste. Rien ne définissant clairement l’appellation whisky japonais, ces sociétés importent en masse des whisky bon marché du Canada ou des mélasses qu’elles remettent en bouteille dans l’archipel avant de l’écouler à l’étranger sous la prestigieuse étiquette « Japanese Whisky ».

Plus fort que le sake

Une pratique que dénoncent de plus en plus d’acteurs japonais. A la tête de ce mouvement de résistance, Mamoru Tsuchiya, l’un des meilleurs historiens du whisky japonais, vient de proposer au gouvernement de mettre en place des règles plus strictes qui obligeraient les fabricants à distiller au Japon ou à vieillir leurs produits localement.

« Cela pourrait éventuellement interpeller les autorités qui ont surtout été intéressées jusqu’ici par les impôts payés par les producteurs », suggère l’animateur de Nomunication. Il remarque que la valeur des exportations de whisky japonais va dépasser pour la première fois, sur 2020, la valeur des ventes de sake à l’étranger. Une performance qui pourrait convaincre Tokyo d’enfin protéger l’intégrité du whisky japonais.

Article de Yann Rousseau – A retrouver en cliquant sur source

Source : Le whisky japonais débordé par son succès | Les Echos