Oktoberfest : le succès de la fête de la bière de Munich ne masque pas le désamour pour la boisson houblonnée
Cette année, à l’Oktoberfest, le litre de bière se vend entre 14,5 et 15,80 euros, soit en moyenne 3,52 % de plus que l’année dernière.
REPORTAGE – Les brasseurs allemands comptent sur le sans alcool pour compenser la baisse de la consommation de bière, qui s’établit désormais à moins de 4 milliards de litres par semestre.
Dans la tente de l’Augustiner Bräu, la plus ancienne brasserie de Munich, fondée en 1832, la bière coule à flots. Il n’a beau être que midi, en pleine semaine, la 190e édition de l’Oktoberfest bat son plein. Des tablées entières de Bavarois en tenue traditionnelle, lederhosen pour les hommes, dirndl pour les femmes, et de touristes venus du reste de l’Allemagne ou de l’étranger ingurgitent des litres et des litres de bière, souvent accompagnés d’un demi-poulet, dans un vacarme assourdissant. Lorsque l’orchestre – la « Kapelle » – entonne le chant traditionnel Ein Prosit der Gemütlichkeit (« Un toast à la convivialité », NDLR), tous se lèvent et entrechoquent leurs verres en clamant « Prost ! ». Inutile de chercher à commander autre chose qu’un litre, une « Mass » en allemand : ici, il n’existe pas plus petit. Sitôt vidées, les chopes disparaissent entre les mains expertes des serveurs, qui reviennent promptement les bras chargés, portant parfois jusqu’à dix verres en un seul voyage.
L’Oktoberfest, ou plutôt la « Wiesn » comme l’appellent les locaux, attire chaque année à Munich entre fin septembre et début octobre entre 6 et 7 millions de visiteurs, dont une grande majorité de Bavarois. En moyenne, plus de 6 millions de litres de bière provenant des six grandes brasseries de Munich (Augustiner, Hacker-Pschorr, Hofbräu, Löwenbräu, Paulaner et Spaten) sont consommés pendant la quinzaine de jours que dure cette fête connue dans le monde entier. Oktoberfest et bière sont inextricablement liées. « La Wiesn, c’est la convivialité, la musique, la bière ! », résume Stefan, 32 ans, né dans la capitale bavaroise et aujourd’hui salarié de BMW.
L’événement n’est d’ailleurs décrété officiellement ouvert que lorsque le maire de Munich perce le premier tonneau en déclarant « O’zapft is ! » – « La bière est tirée ! » en bavarois. « En dehors de cet événement, je dirais que je sors une fois par semaine boire une bière avec mes amis. Quand je viens ici, je ne bois pas tant que ça, peut-être trois à quatre verres par jour », confie Luna, souriante infirmière munichoise de 24 ans, un iPhone dans une main, une cigarette dans l’autre. « Je consomme normalement, estime de son côté Andreas, 59 ans, qui travaille dans une brasserie. Enfin, normalement… Si l’on regarde ça sous l’angle de la prévention des addictions, je suis bien sûr alcoolique, comme tous les Bavarois ! »
L’Oktoberfest, avec ses gros consommateurs de bière, n’est pourtant plus que l’arbre qui cache la forêt. Les chiffres sont formels : les Allemands boudent désormais leur boisson préférée. Selon l’office fédéral de statistiques Destatis, au premier semestre 2025, ils n’ont consommé que 3,9 milliards de litres de bière, ce qui représente 6,3 % de moins que l’année précédente. Il faut remonter à 1993, soit 32 ans en arrière, pour retrouver un volume si bas. « 2025 est une année difficile », a concédé le patron de la fédération des brasseurs allemands, Holger Eichele, dans un communiqué publié après la sortie des chiffres de Destatis. Les raisons de ce désamour sont multiples, soulignent les experts, qui évoquent pêle-mêle le vieillissement de la population, la moindre appétence des jeunes générations pour l’alcool, la baisse générale de la consommation des ménages, le contexte géopolitique tendu…
« Bientôt une bière sur dix sera sans alcool »
Les brasseurs ont bien pris la mesure de ce fléchissement et n’ont pas attendu les « catastrophiques » chiffres d’août 2025 pour chercher une parade. Leur potion magique ? Les bières non alcoolisées et panachées. « On remarque vraiment que les bières sans alcool sont en vogue. Nous enregistrons une forte hausse des ventes de ces produits », affirme Andreas Maisberger, le directeur général de l’association des brasseries munichoises. « Bientôt, une bière sur dix brassées en Allemagne sera sans alcool, confirme la fédération des brasseurs allemands. Ces derniers temps, aucun autre segment n’a connu une croissance aussi forte que les bières sans alcool : leur volume de production a plus que doublé au cours des vingt dernières années, passant de 329 millions de litres en 2004 à environ 700 millions de litres en 2024. » La consommation de panachés a quant à elle connu une hausse de 8 % au premier semestre 2025, s’établissant désormais à 221 millions de litres, soit 6 % des ventes totales de bière.
Chez nous, par exemple, cela fait longtemps que les bières sans alcool existent. Mais ça a vraiment explosé il y a quelques années
Jörg Biebernick, PDG de Paulaner Brauerei Gruppe
Sur la carte de toutes les grandes tentes de l’Oktoberfest figurent des options sans alcool ou panachées, d’ailleurs au même prix que la bière classique, soit autour de 15 euros. Plus personne ne s’étonne ou ne se moque de voir son voisin se tourner vers ce type de boissons. Sous le grand chapiteau de l’Oide Wiesn, zone la plus traditionnelle de l’Oktoberfest créée en 2010, les chopes indiquant « Alkoholfrei » côtoient sans difficulté celles de bière traditionnelle, comme sur la table de ce groupe d’Autrichiens venus de Salzbourg. « C’est une bonne chose que tout le monde ait le choix, et qu’une autre option que la bière classique existe », considère Stefan, qui, lui, sirote sans état d’âme sa « Mass » de Hacker-Pschorr à dix heures du matin. « C’est totalement rentré dans les mœurs, commente de son côté Jörg Biebernick, le PDG de Paulaner Brauerei Gruppe, qui affiche 1 milliard d’euros de chiffre d’affaires. Chez nous, par exemple, cela fait longtemps que les bières sans alcool existent. Mais ça a vraiment explosé il y a quelques années. »
Certains visiteurs viennent désormais à Munich sans boire une goutte de bière traditionnelle, et l’assument sans complexes. « Je n’ai pas besoin d’alcool pour faire la fête », glisse Julia, 35 ans, venue avec son entreprise. Mère d’une petite fille qu’elle allaite encore, l’habitante de Bamberg, ville du nord de la Bavière, a bu des « Radler » – panachés – tout le long de son séjour et a passé un « excellent moment ». Ultime signe des temps : l’Augustiner Bräu a sorti l’année dernière sa première bière sans alcool. Elle était la dernière des six grandes brasseries de Munich à encore résister à cette tendance de fond. « Oktoberfest restera toujours la fête de la bière !, assure Andreas Maisberger. Et aujourd’hui, la bière sans alcool de nos brasseries est aussi qualitative que celle avec alcool ! »
De nombreux observateurs estiment cependant que cet essor des bières sans alcool ne suffira pas à relancer le secteur. Ce qui pousse certains grands groupes à parier sur des boissons complètement différentes. Ainsi de Paulaner, qui se félicite du succès de sa « Spezi », une boisson pétillante mêlant cola et orange très populaire en Allemagne, et de ses nouvelles limonades au citron et à l’orange. « La réalité, c’est que le segment de la bière avec alcool ne va plus grandir. Nous, nous avons des objectifs de croissance de 10 % chaque année, et ça ne viendra pas de là. Il faut qu’on trouve d’autres options, conclut Jörg Biebernick. Il y a un dicton en anglais qui dit : “Si la vie vous donne des citrons, faites de la limonade”. Dans notre cas, c’est presque littéral : nous faisons de la bière, mais aussi de la limonade, et ça marche extrêmement bien ! »