
Palmarès de la restauration collective 2021 – L’heure de la convalescence
Alors que la restauration collective a fait preuve de réactivité et d’adaptation durant la crise, d’autres complications se profilent déjà. Inflation, hausse du coût des matières premières…, des difficultés qu’il va falloir digérer en filière pour ne pas ébranler un peu plus ce modèle à la française.
« La pandémie a provoqué une véritable onde de choc sur les sociétés de restauration collective dans l’Hexagone », décrypte Delphine David, experte chez Xerfi. « Rarement, pour ne pas dire jamais, un événement planétaire aura à ce point bouleversé nos existences et la restauration hors foyer, analyse Olivier Schram, directeur associé du cabinet de conseil PH Partners. À la différence de la restauration commerciale, les activités de restauration collective n’ont pas été frappées de l’interdiction de fonctionner. Même si, lorsque les collectivités concernées ont été elles-mêmes à l’arrêt ou en mode télétravail quasi exclusif, la situation des restaurants d’entreprise a été de facto alignée. » Avec forcément des conséquences pour les opérateurs du secteur. La plupart ont dévissé entre 2019 et 2020, commencé à redresser la barre entre 2020 et 2021, sans pour autant retrouver les niveaux d’avant-Covid. Avec des disparités selon les profils de SRC, certaines disposant de davantage d’atouts que d’autres. C’est le cas de celles qui ont diversifié leur activité, que ce soit sur plusieurs zones géographiques dans le monde, sur des services autres que la seule restauration, ou sur plusieurs segments et qui compensent ainsi les difficultés de l’un avec l’autre… C’est aussi le cas de celles qui, comme Restalliance, sont concentrées sur le segment quasi stable de la santé et du médico-social, quand celles qui sont spécialisées exclusivement sur la restauration d’entreprise sont très pénalisées.
En effet, Daniel Rocher, le président du Syndicat national des entreprises de restauration et services (Sners), évalue à « 30 % environ la baisse d’activité en entreprise, et ce, de façon durable. La mise en place du télétravail, destiné à devenir pérenne, laisse présager un fort impact sur notre activité et notre modèle économique, car il modifie les équilibres de nos exploitations. Nous avons d’ailleurs assisté à la fermeture définitive de restaurants d’entreprise et RIE, notamment dans le secteur administratif ».Les difficultés s’accumulent
Bref, on le voit, les beaux jours ne sont pas encore revenus pour tous les acteurs de la collective. « Les difficultés que nous rencontrons mettent en péril beaucoup d’entreprises, uniquement parce que les politiques et les conseils départementaux (pour les secteurs éducation et médico-social) n’entendent pas tenir compte de l’inflation galopante des matières premières et ne s’attachent qu’à respecter des indices qui ne correspondent en rien à la réalité du marché, commente Philippe Quinet, président des Agapes’Hôtes. Nos contrats ne sont plus équilibrés et nous attendons que nos interlocuteurs aient une attitude responsable. Franchement, après la période Covid et la pénurie de main-d’oeuvre en restauration, nous n’avions pas besoin d’une crise alimentaire qui, avec la guerre en Ukraine, ne fera que favoriser la spéculation et la hausse des produits alimentaires. Je me demande s’il y aura encore dans quelques années, des entreprises qui investissent en restauration collective ! Pour preuve, les majors se diversifient de plus en plus vers des services beaucoup plus rentables que la restauration sociale ».
Internationalisation, diversification, regroupements, les clés d’avenir
Il est vrai que les trois majors – Sodexo, Elior et Compass – sont présentes dans de nombreux pays, à la fois en restauration collective et dans les services généraux, depuis l’accueil jusqu’au nettoyage (facility management). Même si elles concentrent 70 % du chiffre d’affaires du secteur, leur hégémonie est en repli du fait de l’offensive de plus petits opérateurs, plus proches des clients, de l’écosystème local, plus souples et plus agiles aussi. Qui eux veulent grossir, et cherchent les rapprochements et les fusions avec d’autres SRC. Après 2020, où les deux entreprises familiales Convivio et Mille et Un Repas ont fait le choix de s’allier pour se renforcer, Api Restauration a pris une participation majoritaire en 2021 dans le capital de la société Languedoc Restauration – depuis 2006, cette entreprise montpelliéraine fournit principalement la restauration dans les établissements scolaires et la santé. Et Newrest a, pour sa part, étoffé son segment médico-social avec le rachat de Bioméga Restauration. De quoi consolider ses positions et prendre une nouvelle impulsion dans un contexte un peu plus favorable, comme le souligne Damien Debosque, président d’Api Restauration : « Durant l’exercice 2021, l’activité scolaire a été préservée, nous avons retrouvé le même niveau d’activité qu’en 2019, majoré de gains de plusieurs contrats : la mairie de Sèvres (92), le siège monde d’Orange à Issy-les-Moulineaux (92), Valeo à Créteil (94), le groupe Coallia en Bretagne, l’hôpital gérontologique Philippe Dugué à Chevreuse (78)… ». Antoine Massenet, président de Quadrature Restauration, qui fournit à la fois l’enseignement et l’entreprise, annonce lui aussi en 2021 un chiffre d’affaires en progression, avec notamment la signature de huit nouveaux contrats en région parisienne (Champs-sur-Marne, Deuil-la-Barre, Sceaux…).
La santé et le médico-social tirent mieux leur épingle du jeu
De son côté, Restalliance affiche un bilan annuel honorable, avec un chiffre d’affaires passé de 240 millions d’euros en 2020 à 260 millions en 2021 pour 60 millions de couverts. Il faut dire qu’elle est spécialisée dans la santé et le médico-social, un segment qui a traversé « sereinement » la pandémie. Rien d’étonnant, ses convives constituent une clientèle captive. Ce qui signifie pour les sociétés de restauration, qu’elles étaient tenues d’assurer toutes les prestations, du lever au coucher. Donc « l’activité dans le secteur s’est poursuivie, nous pouvons même parler de stabilité », analyse Esther Kalonji, secrétaire générale du Syndicat national de la restauration collective (SNRC). Chez Elior, on abonde dans ce sens : « Ce marché a été le plus résilient tout au long de la crise sanitaire. Les taux de vaccination désormais élevés parmi les populations senior et la moindre tension sur le milieu hospitalier – sous réserve qu’elle perdure – pourraient laisser envisager un contexte opérationnel de plus en plus favorable. » De son côté, API Restauration estime que sur l’exercice 2021, « l’activité a oscillé entre 90 et 95%, car certains Ésat [établissements et services d’aide par le travail, NDLR] ont fermé ponctuellement. Il nous a fallu repenser la distribution, notamment en chambre, revoir l’organisation… Je félicite nos équipes pour leur capacité d’adaptation ! », se réjouit Damien Debosque.
Egalim plus avancé dans le scolaire que dans le médico-social ?
Une capacité d’adaptation importante, car la crise a été un accélérateur de nouveaux fonctionnements à adopter, comme de nouvelles offres de restauration, de proximité avec les clients et les convives. Pour Medirest, « la restauration du personnel soignant est plus que jamais une préoccupation pour les dirigeants du secteur de la santé. Compte tenu du flux tendu de leur activité, le besoin de diversifier les espaces, les horaires et modes de consommation a accéléré le développement de nouvelles offres. Le digital nous a permis d’y répondre avec des solutions telles que le click et collect, les frigos et casiers connectés, ou encore la livraison de repas avec Popote ». Quid d’Egalim sur ce segment ? « C’est étonnant, la moitié des établissements de la santé ignore qu’ils y sont assujettis », s’exclame Catherine Bournizien, consultante en restauration collective et fondatrice de Phinéa Conseil. Pourtant, ils sont tenus comme les autres de proposer au moins 50 % de produits de qualité et durables, dont au moins 20 % de produits bio depuis le 1er janvier 2022. Et de rappeler qu’« Egalim n’est pas une recommandation, c’est une loi… Mais pour laquelle il n’y a ni système de sanction, ni contrôle ». En revanche, la mise en oeuvre d’Egalim a mieux avancé dans le scolaire, un segment moins touché que l’entreprise, mais soumis aux fermetures, réouvertures des écoles… ainsi qu’aux mêmes contraintes de sécurité, avec un impact direct sur la fréquentation des restaurants et donc sur le chiffre d’affaires des opérateurs du secteur, à la baisse. Pour Olivier Poulenc, fondateur et PDG de Vitalrest, « 2021 se résume en une année marquée par une activité « en stop and go » du fait des trois vagues de la Covid et une reprise de l’inflation à l’automne touchant les coûts d’achats alimentaires et les salaires ». En tous cas, la période a été l’occasion pour les SRC de montrer qu’elles étaient capables de réactivité et d’adaptabilité pour continuer d’accueillir les élèves dans les cantines.
Une absence de revalorisation des prix dangereuse
« Reste que les problèmes de coûts ne sont pas pris en compte dans la revalorisation des prix. Dans un tel contexte, certains adhérents ont fait le choix de diminuer leur marge tandis que d’autres sont en marge négative tous les mois, car l’augmentation des prix n’a pas eu lieu en septembre 2021 », souligne Daniel Rocher, le président du Sners. Rappelons que les prix des matières premières n’ont jamais été aussi élevés depuis plus de dix ans. L’indice des prix de l’ensemble des matières premières en euros a augmenté de plus de 35 % sur la période 2010-2021. Observation valable également pour les matières premières alimentaires qui ont augmenté de plus de 40 % entre 2010 et 2021 selon l’Ania.
Un phénomène d’autant plus dommageable qu’il faut proposer une montée en gamme avec les 50 % de produits durables ou sous signes de qualité dont 20 % de bio des Egalim. « Depuis quelque temps, nous assistons à une vraie pression de la part des parents d’élèves sur les collectivités à la fois pour connaître ce qu’il y a dans l’assiette, et poser des exigences sans que cela se traduise par le prix qu’ils consentent à payer », constate Catherine Bournizien, fondatrice de Phinéa Conseil. Des initiatives individuelles existent à travers le pays. Souvent dans de petites communes. Mais peut-on passer à une échelle supérieure ? Le cas de la ville de Mouans-Sartoux (Alpes-Maritimes) se révèle exemplaire, mais quid de la reproductibilité du modèle ? Comment passer de 100 repas à 30 000 par jour ?
Cette transformation des formats et du nombre de repas, la restauration d’entreprise la vit plutôt à l’inverse… des gros volumes d’hier versus les plus faibles d’aujourd’hui. Puisqu’elle est le segment de la restauration collective le plus touché par la crise sanitaire. Elle a vécu au rythme des fermetures, réouvertures, protocoles sanitaires, chômage partiel des salariés… Pour traverser ces ondes de choc, elle a dû faire preuve d’adaptabilité et de réactivité. Cela étant, malgré les efforts fournis par les opérateurs « la sortie de crise semble encore loin. La pandémie a en effet laissé des traces profondes. Le segment de l’entreprise ne reviendra pas à la normale à court ou moyen terme », prédit Xerfi. Logique… Avec le développement du télétravail devenu un nouveau mode d’organisation fondamental, il semble difficile d’imaginer des restaurants d’entreprise ou des RIE comme avant ! « Je pense que nous sommes dans une évolution du même acabit que celle que nous avons vécue il y a maintenant vingt ans avec la mise en place des 35 heures, il s’agit d’un même type de changement structurel », commente Frédéric Galliath, directeur général d’Elior Entreprises.Séduire les plus jeunes
Avant l’arrivée de la pandémie, les acteurs de la restauration collective planchaient déjà sur de futures alternatives. S’interrogeant sur les offres à élaborer pour coller aux attentes et exigences des convives. Notamment des plus jeunes, qui veulent pouvoir consommer ce qu’ils veulent, où et quand ils le veulent. Lors de la 8e convention de Cantina qui s’est tenue le 22 mars, Alain Roy, directeur associé de PH Partners, insistait sur l’importance de prendre en compte l’arrivée de ces jeunes sur le marché du travail. Et plus généralement de répondre aux tendances qui participent à la transformation du secteur, déjà bien ancrées avant la Covid et qui n’ont fait que s’intensifier : des offres alimentaires pleinement sécurisées (la pandémie est venu réaffirmer le besoin de sécurisation sanitaire), une restauration influencée par le rythme et les envies du « moment », et des produits et repas « bon pour moi et bon pour la planète », la digitalisation en sus. Des tendances que les start-up ont largement impulsée, qui se caractérisent par une formidable capacité à entreprendre et à remettre en cause les schémas de fonctionnement classiques. « Alors que le rituel de la pause-déjeuner a été profondément bouleversé depuis deux ans, les acteurs de la livraison de repas en entreprise rivalisent d’efforts pour se démarquer », ajoute Xerfi. Des prestataires d’un nouveau genre, comme les cantines digitales et les dark kitchen, ont su séduire une clientèle nomade avec des prestations hybrides, combinant livraison au bureau et à domicile pour les télétravailleurs. Sous pression, les acteurs traditionnels (restauration collective, plateaux-repas, traiteurs, etc.) tentent de réinventer leurs offres, de leur injecter plus de flexibilité et d’omnicanalité, que ce soit par le biais d’acquisitions (Nestor pour Elior, Foodchéri pour Sodexo…) ou de concepts ad hoc comme Popote de Compass et Re-Set d’Elior.
Besoin de créer des lieux hybrides et flexibles
Plus globalement, en matière d’agencement, tout porte à croire que l’espace de demain ressemblera à un coin repos pour les pauses repas avec des distributeurs, micros frigos… car de plus en plus les employés auront recours au télétravail et passeront moins de temps au bureau et dans les cantines et selfs. Il est possible d’imaginer que la livraison de repas en entreprise devienne de plus en plus courante, d’où des cantines connectées où l’on pourra commander son repas via son smartphone. Et le développement de frigos connectés pour offrir une solution pratique, rapide et personnalisable. Après réflexion et intégration des nouvelles donnes, Elior a conçu le concept Re-Set. Ce dernier mise notamment sur les lieux de vie hybrides et flexibles, pouvant accueillir les collaborateurs lorsqu’ils le souhaitent, bien au-delà des heures de repas. Les nouveaux selfs sont adaptés aux offres digitales que le Groupe développe depuis quelques années. « Les convives peuvent choisir et récupérer leur menu via une solution de click et collect intégrée à l’application Timechef, pour déjeuner sur place ou ailleurs, précise Frédéric Galliath. L’information des convives est au coeur de cette nouvelle offre avec la lecture détaillée de chaque recette sur l’application. »
Des offres individualisables et multimodales
Dans le contexte actuel, où il est impossible de se projeter dans un futur proche, « les SRC n’ont pas d’autres choix que de réinventer leurs offres, voire leurs business models. Avec l’essor du télétravail, il va falloir repenser les cantines d’entreprises alors que le présentiel reste la norme et offrir des alternatives aux salariés, déployer des offres individualisables et multimodales (déjeuner au restaurant d’entreprise, commande en ligne pour un repas pris au bureau, livraison à domicile les jours de télétravail…). C’est d’autant plus vrai que les convives sont peu captifs et les substituts nombreux, comme la restauration rapide, le snacking des supérettes, le fait-maison… », argue Delphine David, experte chez Xerfi. « Aux côtés de l’offre traditionnelle, une offre B to C, destinée aux salariés, a émergé, renchérit Diane Michaud, chargée d’études senior chez Xerfi. En réalité, les opérateurs n’ont pas eu le choix. Avec la crise sanitaire, le recours massif au télétravail les a contraints à adapter leur offre pour amortir l’effondrement des commandes sur site. L’offre est de plus en plus hybride, les frontières entre le B to B et le B to C s’estompant peu à peu. »
Mais ces nouveaux modes de consommation suscitent de nouvelles interrogations, prévient Catherine Bournizien, de Phinéa. « Par exemple, si je vais déjeuner au RIE et que je prends un repas pour le lendemain, car je serai en télétravail, comment l’employeur peut-il participer ? Ce qui est certain, c’est qu’il n’est pas possible de bénéficier du repas à la cantine et de titre-restaurant. Juridiquement, c’est l’un ou l’autre. Il s’agit d’un avantage en nature. Ou bien il faut faire évoluer la loi. » Certains ont clairement fait le choix. « Plusieurs sociétés commencent à préférer prendre des titres-restaurant pour leurs salariés plutôt que de conserver leur restaurant d’entreprise, c’est un phénomène inquiétant », estime Daniel Rocher (Sners). Alors, comme le pressent Olivier Schram (PH Partners), « les signaux faibles de remise en question enregistrés en restauration d’entreprise au cours de la décennie écoulée vont sans doute laisser la place à des mutations du métier beaucoup plus profondes. Elles sont à prendre en considération et au sérieux dès à présent. Les urgences à traiter ne manquent pas et le menu de la période à venir s’avère copieux ! »
Les majors l’entendent bien de cette oreille, eux qui ont changé de tête pour mieux envisager demain. Chez Sodexo, c’est Sophie Bellon elle-même qui a pris définitivement la direction générale, après le départ de Denis Machuel ; chez Elior, c’est Bernard Gault qui assure l’intérim en attendant de trouver un successeur à Philippe Guillemot, démissionnaire. Comme un prélude à une nouvelle page de l’histoire de la restauration collective…Par ENCARNA BRAVO – A retrouver en cliquant source
Source : Palmarès de la restauration collective 2021 – L’heure de la convalescence