Partenariats avec des chefs, promos, abonnements… Les recettes du duel entre Uber Eats et Deliveroo pour livrer les repas
DÉCRYPTAGE – Les deux géants ont réussi à évincer leurs rivaux sur un marché aussi prometteur que compliqué. Ils multiplient les initiatives pour élargir leur offre, conquérir de nouveaux clients et les inciter à ne pas aller se nourrir chez leur concurrent.
À vélo ou à scooter, ils sillonnent les rues pour apporter leur repas aux salariés restant déjeuner au bureau et leurs dîners à ceux qui ont la flemme de cuisiner ou l’envie de se faire un petit plaisir. Avec un pic les soirs de match. Depuis la pandémie de Covid, les livreurs sont devenus un des métiers incontournables de la ville, et la livraison de repas s’est définitivement imposée dans les mœurs en France.
Mais la folle croissance du marché de la livraison de repas, entamée il y a dix ans, s’est aussi accompagnée d’une transformation et d’une consolidation du secteur. Le marché, évalué à 7,5 milliards d’euros en 2024, est désormais dominé par le duopole Uber Eats – Deliveroo. Le premier, filiale du géant californien des VTC, a débarqué en France en 2016 ; d’origine britannique, le second a été racheté par l’américain DoorDash cette année et fête ses dix ans dans l’Hexagone.
Faire du volume
Deliveroo et Uber Eats, qui ont démarré très fort dans le pays, ont fini par avoir raison des pionniers et n’ont jamais été inquiétés par les challengers. Take Eat Easy, Tok Tok Tok et Foodora ont jeté l’éponge avant le Covid. Just Eat (ex-Allo Resto, le plus ancien des acteurs en France), a rendu son tablier l’an dernier. Le géant espagnol Glovo n’a pas percé et a renoncé au marché français. Ces deux grands acteurs (Just Eat TakeAway est parmi les leaders mondiaux) ont fait des arbitrages géographiques.
Cet écrémage illustre les difficiles conditions du métier, et pas seulement pour les livreurs. «Pour durer, il faut être capable de proposer la meilleure expérience à tous les acteurs, établissements partenaires, clients et livreurs partenaires, détaille Melvina Sarfati El Grably, directrice générale de Deliveroo France. Un restaurateur fait appel à une plateforme à condition qu’elle lui apporte un chiffre d’affaires additionnel significatif et une excellence dans le service : respect du temps d’attente annoncé, produits livrés dans de bonnes conditions. »
Deliveroo a su s’ancrer dans les très grandes villes et Uber Eats a choisi une stratégie plus extensive en visant aussi les moyennes villes
Florence Berger, directrice associée au cabinet Food Service Vision
Comme les clients rechignent à payer plus de quelques euros pour être livrés, les plateformes doivent faire du volume pour gagner de l’argent. Elles doivent se faire connaître à coups de dépenses de communication : les deux survivants ont su investir massivement, en particulier dans le foot, un sport culte pour beaucoup de leurs clients. «Deliveroo et Uber Eats sont les deux agrégateurs qui ont le plus vite compris les spécificités du marché français, en sachant convaincre les indépendants et séduire les grandes chaînes de restauration, rappelle Florence Berger, directrice associée au cabinet Food Service Vision. Deliveroo a su s’ancrer dans les très grandes villes et Uber Eats a choisi une stratégie plus extensive en visant aussi les moyennes villes.»
«Nous avons la chance de marcher sur deux jambes»
La filiale d’Uber Eats s’arroge ainsi 75% du marché français. Référençant 55.000 restaurants et commerces, son application couvre plus de 85% de la population et fait travailler 55.000 livreurs indépendants. «Nous avons la chance de marcher sur deux jambes : Uber Eats et Uber, ce qui nous a permis de nous lancer avec une base de clients nationale significative dès le début, et même internationale avec par exemple les touristes américains», précise Bastien Pahus, directeur d’Uber Eats France. L’Américain poursuit sa stratégie de maillage territorial : il vient de lancer son service à Mende, en Lozère, dernier département où il n’était pas encore présent.
Uber Eats cultive aussi sa différence en multipliant les partenariats exclusifs, comme ceux avec le pâtissier Cédric Grolet et le chef étoilé Philippe Etchebest. Le leader bénéficie d’effets d’échelles pour investir davantage dans la technologie et amortir plus vite les coûts de développement.
Désormais, 60.000 restaurants proposent des plats à livrer en France. Quand on se dit qu’il y en a 160.000 sur tout le territoire, le potentiel est énorme
Melvina Sarfati El Grably, directrice générale de Deliveroo France
En face, Deliveroo référence 44.500 restaurants et commerces, des petits indépendants comme des grandes chaînes : McDo, Burger King, Carrefour, Franprix… Il fait travailler plus de 15.000 livreurs indépendants. «La France a toujours été un pays stratégique pour Deliveroo», déclare Melvina Sarfati El Grably, directrice générale de Deliveroo France. Qui croit en sa croissance : « Désormais, 60.000 restaurants proposent des plats à livrer en France. Quand on se dit qu’il y en a 160.000 sur tout le territoire, le potentiel est énorme.»
Les Français sont plus économes
Pourtant, la partie se complique. S’il y a des marchés à conquérir dans les agglomérations de tailles moyennes, les grandes villes sont à saturation. «Depuis deux ans, le marché semble avoir atteint un plateau, reconnaît Bertrand Peyrat, PDG du restaurateur Taster, qui développe des marques (Pepe Chicken, Out Fry) dédiées à la vente la livraison. Si on le compare au marché britannique, où le taux de commande par habitant est beaucoup plus élevé, on peut penser qu’il y a encore un fort potentiel de croissance. Mais cela suppose de continuer à faire évoluer les habitudes des Français . Ce qui prendra du temps.»
La forte croissance du marché, qui s’est poursuivie après la pandémie, n’est plus qu’un souvenir. «C’est fini, prévient Florence Berger, directrice associée chez Food Service Vision. Il a connu un premier tassement en 2023, qui s’est poursuivi en 2024. On constate une légère progression de l’activité cette année.» Dans un contexte de pouvoir d’achat tendu, les Français sortent moins au restaurant et freinent sur la livraison, les plats étant souvent plus chers sur Internet. Pour soutenir la demande, Uber Eats et Deliveroo ont multiplié les promos sur les plats, ont mis en place des programmes de fidélité avec des frais de livraison offerts.
Cela ne suffit plus. Pour continuer à grossir, les plateformes de livraison de repas se diversifient, en s’attaquant aux courses des Français. La disparition de spécialistes comme Flink et Gorillas ont laissé une place vide. Uber Eats et Deliveroo sont décidés à la prendre, aux côtés des distributeurs eux-mêmes (Monoprix, Carrefour…). «Nous passons d’une plateforme de livraison de repas en ligne à une plateforme donnant accès à l’ensemble du commerce local, résume Andrew Macdonald, président et directeur de l’exploitation chez Uber. Chaque commerçant, chaque supermarché, chaque boutique peut être disponible sur Uber Eats.»
Nouvelle concurrence des restaurateurs
Si les opportunités de développement sont réelles, des menaces planent sur le duopole. «On ne peut exclure l’arrivée d’une nouvelle plateforme en France. Mais ce serait plutôt une bonne nouvelle, car elle participerait à élargir le marché de la livraison en France», assure Bastien Pahus.
Autre nuage : Burger King et McDo incitent leurs clients à commander sur leurs propres sites. S’ils passent toujours par Deliveroo et Uber Eats pour la livraison, ils veulent reprendre en direct la relation avec leur client via leur appli. «Les grandes chaînes de restauration contrôlent le poids de leurs ventes en livraison, et en développent leur canal en propre quand leur marque est assez forte», résume Florence Berger. Ce ne serait pas la première fois que des partenaires deviennent concurrents…
– A retrouver en cliquant sur Source