Les chefs ont l’habitude d’être créatifs en cuisine. Le Covid-19 a poussé les restaurateurs à se montrer tout aussi inventifs dans leur manière de mener leur activité. Et a donné un grand coup d’accélérateur aux mouvements déjà en cours

Les établissements sont amenés à diversifier de plus en plus leurs activités. Avec une fréquentation souvent moindre et moins de couverts possibles à l’intérieur pour beaucoup, se limiter au service à table devient plus difficile.

Des frontières plus floues

Déjà en développement, la livraison et la vente à emporter passent à la vitesse supérieure. Dans son dernier baromètre trimestriel de la restauration à table, CHD Expert estime à 14 % le nombre d’établissements s’étant mis à la vente à emporter depuis le confinement, 8 % en proposant depuis la réouverture et 7 % n’en ayant pas encore mais prévoyant de l’ajouter, tous venant grossir les rangs de ceux qui mitonnaient de longue date des petits plats à déguster chez soi. Sur les 15.000 restaurants désormais référencés sur la plateforme, Deliveroo en dénombre, pour sa part, 12.000 faisant du « click & collect » au lieu de 1.000.

« Les frontières entre restauration rapide et restauration à table devraient se brouiller encore davantage dans les prochains mois », estime le président fondateur de Food Service Vision, François Blouin. Même les fondateurs du groupe Big Mamma, réfractaires à la livraison dont ils craignaient qu’elle ne soit pas à la hauteur de leurs mets italiens, ont changé d’avis. Ils viennent de lancer le service en créant une autre structure baptisée Napoli Gang.

« Les établissements vont se montrer de plus en plus hybrides, devenant par exemple traiteurs, transformant leurs recettes en produits d’épicerie. D’autant qu’à côté du midi et du soir, d’autres moments de consommation émergent comme le besoin d’une pause à 16 heures ou un verre à 18 heures. Le marché de la restauration prend des airs plus anglo-saxons », analyse Nicolas Nouchi, directeur des études du cabinet CHD Expert.

Les nouveaux restaurants commencent à prévoir un espace vente à emporter dès leur conception. Les offres s’étendent. Dans son restaurant L’Ami Jean dans le septième arrondissement parisien, Stéphane Jégo a ainsi poursuivi en juin et juillet, avant sa fermeture estivale, la commercialisation le samedi des fruits et légumes de deux producteurs entamée à l’occasion du confinement.

Menu digitalisé entré dans les moeurs

L’utilisation du numérique s’est également singulièrement immiscée dans les pratiques, au-delà de la présence sur Internet et de l’usage intensifié des réseaux sociaux. La rapidité avec laquelle les établissements ont rouvert en proposant leur carte sur smartphone via des QR Code montre leur réactivité.

« Il y a huit mois, lorsque vous évoquiez un menu digitalisé, beaucoup de restaurateurs s’y refusaient parce qu’ils craignaient la rupture de l’expérience. Or ils se sont rendu compte que leurs clients s’étaient habitués au numérique et que cela n’induisait pas de déshumanisation », constate Nicolas Nouchi.

Pour les professionnels, les outils se démocratisent. Le mouvement est facilité par la multiplication des start-up se consacrant à l’univers de la restauration. Le fabricant de mobilier Fermob, grand fournisseur de tables et de chaises au sein du secteur, s’est aussi mis au digital. Son offre de produits post-confinement va ainsi du distributeur de gel hydroalcoolique ludique à actionner avec une pédale à une solution pour dématérialiser le menu et la carte des vins.

Offre complètement revisitée

La conjoncture accélère en outre les nouvelles stratégies mises en oeuvre par les chefs étoilés ou les grands hôtels. A Honfleur, Alexandre Bourdas va transformer en septembre le SaQuaNa, qui sera plus une table gastronomique mais une offre de restauration plus accessible. Une démarche qui aurait attendu quelques années de plus sans la pandémie.

A la rentrée, à sa réouverture, le Shangri-La à Paris fermera L’Abeille, qui a deux étoiles, pour se consacrer au Shang Palace, seul chinois étoilé parisien, mais aussi miser sur une restauration moins formelle et faire de la vente à emporter. Il rejoindra ainsi le Prince de Galles qui avaient renoncé à sa table gastronomique en 2019.

Autant d’indices forts de la manière dont, partout, les cartes tendent à se raccourcir et le contenu des assiettes à évoluer. Tandis que montent les envies de restauration plus décontractée qui s’illustre, en particulier, dans la vogue des « food courts ».

Article de Clotilde Briard – A retrouver en cliquant sur Source