Pourquoi Sébastien Bazin prépare une troisième scission du géant français de l’hôtellerie Accor
Sébastien Bazin est PDG d’Accor depuis 2013. Auparavant, il était à la tête de Colony Capital, qui a possédé jusqu’à 30 % d’Accor avec Eurazeo. Accor
DÉCRYPTAGE – Après avoir imposé un spin-off de la branche services et la vente des murs et fonds de commerce de ses hôtels, le PDG du groupe envisage la cotation en Bourse de son pôle life-style.
Rien de tel qu’un spin-off pour redonner du tonus à son cours de Bourse. Afin de mieux valoriser les actifs du géant hôtelier Accor, Sébastien Bazin, son PDG depuis 2013, envisage de coter Ennismore. Cette division regroupe les hôtels, bars et restaurants « lifestyle » du groupe, connus pour leurs enseignes à la mode : Mama Shelter, Paris Society, The Hoxton, Delano, Rixos, Jo&Joe, Mondrian…
Si elle aboutissait, cette démarche serait la troisième du genre en une quinzaine d’années pour le géant hôtelier. En 2010, lorsqu’il était à la tête du fonds d’investissement Colony, alors l’actionnaire le plus important du groupe, Sébastien Bazin avait imposé à ses dirigeants de l’époque d’organiser la scission d’Accor Services. La division spécialisée dans les titres-restaurant et chèques cadeaux était à l’époque la « cash machine » d’Accor. Le spin-off a permis de créer de la valeur pour les actionnaires et donné naissance à une entreprise très florissante. Devenu Edenred, l’ex-Accor Services vaut plus de 6 milliards d’euros en Bourse et a même rejoint le club fermé du CAC 40.
Au passage, Accor avait clarifié son positionnement auprès des investisseurs, et s’était recentré sur son cœur de métier : l’hôtellerie. Dans la même logique de simplification, Sébastien Bazin, devenu PDG du groupe, a transformé Accor en gestionnaire d’enseignes hôtelières. S’inspirant des géants anglo-saxons du secteur, il a d’abord isolé les murs et fonds de commerces des hôtels dans une foncière. D’abord actionnaire majoritaire d’AccorInvest, le groupe dirigé par Sébastien Bazin en cède le contrôle en 2018, pour environ 4,4 milliards d’euros. Il en possède encore 30 %, mais plus pour longtemps. En mars, le PDG d’Accor a annoncé vouloir céder toutes les parts dans les dix-huit mois. Sans attendre, AccorInvest a pris du large et s’est rebaptisée Essendi…
Délestée de son immobilier, Accor se concentre désormais sur son métier de franchiseur, propriétaire de marques (Ibis, Mercure, Sofitel, Raffles…). Ce virage stratégique a révolutionné l’entreprise, en lui permettant d’investir de nouveaux segments : le luxe et le lifestyle, aujourd’hui les plus dynamiques. Las. Cela n’a pas provoqué l’électrochoc boursier espéré. « Accor souffre d’un désamour vis-à-vis des investisseurs américains, qui lui préfèrent toujours ses grands concurrents américains, reconnaît un bon connaisseur du secteur. En envisageant un spin-off d’Ennismore, Sébastien Bazin cherche une nouvelle fois à accélérer le développement et rééquilibrer la situation. »
«Désamour des investisseurs américains »
Vendredi, l’action Accor a clôturé à 45,18 euros, correspondant à une capitalisation boursière de 11 milliards d’euros. Booking, leader européen de la réservation d’hébergements (hôtels et locations saisonnières) vaut près de 165 milliards de dollars ; l’américain Marriott plus de 73,5 milliards et Hyatt plus de 6 milliards, alors qu’il exploite moins de 1 500 hôtels et Accor plus de 5500…
La rumeur d’une scission d’Ennismore courait depuis plusieurs mois. Cet été, la presse américaine l’avait largement relayée, évoquant une cotation à New York. « Aujourd’hui, ce que je peux partager avec vous, c’est que le conseil a approuvé que l’on engage des travaux préliminaires afin d’évaluer une possible cotation en Bourse d’Ennismore, a déclaré jeudi Martine Gerow, la directrice financière d’Accor. Il n’y a pas de décision à ce stade quant à la valeur de cet actif et le choix de la place boursière et il n’existe pas de certitude d’ailleurs quant à la réalisation de cette opération. »
«Accor resterait son actionnaire majoritaire »
Créé en 2021, Ennismore regroupe aujourd’hui 192 hôtels et plus de 500 restaurants et bars. Accor détient 62 % du capital de cette coentreprise avec Sharan Pasricha, fondateur et codirecteur général d’Ennismore et un consortium qatarien qui a racheté 10,8 % du capital en 2022. « En tout état de cause, Ennismore est un actif stratégique pour Accor et si Ennismore était amené à avoir une cotation partielle, le groupe resterait son actionnaire majoritaire », insiste Martine Gerow.
Accor veut d’abord vendre les 30 % qu’il possède encore chez Essendi avant de coter Ennismore. Cette introduction en Bourse pourrait doper la croissance de la branche lifestyle et lui donner les moyens de payer des acquisitions en actions. Elle suscite d’autant plus d’intérêt que ce segment de l’hôtellerie capte l’attention : en plus de plaire aux voyageurs, il attire une clientèle locale, pour dîner et boire un verre. Accor a misé le premier sur ces hôtels branchés, qui bousculent les codes depuis la création de Mama Shelter en 2008. Ennismore est l’acteur le plus important de sa catégorie, devant Marriott, Hyatt ou Hilton. Le moment est venu, selon le PDG d’Accor, d’en tirer le meilleur parti.
Ennismore valorisé plus de 2 milliards, en 2022
« Une scission d’Ennismore a du sens, dans l’optique d’une création de valeur pour Accor, estime Vanguelis Panayotis, président du cabinet spécialisé MKG. On voit qu’il y a une prime auprès des investisseurs pour les marques fortes et incarnées. Dans l’hôtellerie, les segments lifestyle et luxe portent la performance du secteur ces dernières années. Et cela devrait durer, car la clientèle à fort pouvoir d’achat au niveau mondial devrait continuer de croître. »
Mi-2022, lorsque Accor avait cédé 10,8 % du capital d’Ennismore à un consortium d’investisseurs avec le financement de Qatar First Bank, la transaction avait été réalisée sur la base d’une valeur d’entreprise de plus de 2 milliards d’euros. Depuis, la pépite a grossi, et sa valorisation pourrait avoir doublé, selon des estimations d’analystes. Une cotation à Wall Street donnerait à Accor cette « American touch », qui lui manque tant.