Rémy Cointreau : « La crise en Chine a changé le marché des spiritueux »

La loi anti-corruption en Chine et sa très forte incidence sur les ventes de spiritueux a profondément modifié le marché. « Elle a rebattu les cartes et assaini le commerce en nous poussant à tisser des liens directs avec les clients », estime Valérie Chapoulaud-Floquet, directrice générale de Rémy Cointreau depuis cinq ans. Sous sa houlette, le groupe français en a profité pour mieux répartir ses ventes dans le monde et faire la différence avec ses concurrents.
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Valérie Chapoulaud-Floquet est directrice générale de Rémy Cointreau depuis cinq ans. Elle a été directrice générale de Louis Vuitton Amérique du nord après avoir travaillé pour L’Oréal Luxury Products de 1998 à 2008

Vous dites volontiers que Rémy Cointreau est un groupe différent de ses concurrents. En quoi est-ce le cas ?

Rémy Cointreau diffère par son portefeuille de marques. Notre stratégie est fondée sur une quête de valeur qui va avec la montée en gamme de nos produits. Nous leur appliquons tous les codes du luxe, ce qui nous permet d’en augmenter sensiblement les prix. L’objectif est, pour nous, de devenir le leader mondial des spiritueux d’exception. Nous avons déjà fait une bonne partie du chemin dans ce sens, si bien que nous réalisons 54 % de notre chiffre d’affaires grâce à des bouteilles vendues plus de 50 dollars. Nous voulons porter ce chiffre à 65 %. Le très haut de gamme est la catégorie qui bénéficie de la meilleure croissance dans notre industrie. Mais cette catégorie ne pèse pas plus de 8 % de la masse d’alcools vendue dans le monde.

Moët-Hennessy a-t-il une stratégie vraiment différente ?

En termes d’approche des marques, c’est Moët-Hennessy qui est le plus proche de nous. Mais Hennessy a beaucoup développé le cognac de moyenne gamme, le VS, sur le marché américain. Chez Pernod-Ricard les bouteilles de plus de 50 dollars ne représentent que 14 % du chiffre d’affaires contre 54 % chez nous. Si on regarde ces deux groupes, ainsi que Diageo, nous sommes finalement plus complémentaires que frontalement concurrents. Chaque groupe a son positionnement, ses catégories, ses points forts et ses géographies. Le poids du cognac dans notre activité fait que nous sommes plus présents en Asie et aux Etats-Unis qu’en Europe. Pernod-Ricard et Diageo produisent en Inde . Nous n’avons aucune intention dans ce sens.

Vous avez pris la direction du groupe en 2014 en pleine crise du cognac en Chine, suite à la loi anti-corruption. Comment Rémy Cointreau s’est-il adapté à la nouvelle donne ?

La crise chinoise a complètement rebattu les cartes. Elle a assaini le marché. Avant cette loi anti-corruption, un tiers de l’activité du luxe était issu des cadeaux officiels. Cela ne reviendra pas de sitôt, c’est clair. Nous en avons profité pour diversifier notre offre dans ce pays. On a lancé les whiskies single malts, le Cointreau, porté par l’engouement pour les cocktails et Metaxa, notre brandy grec. Et nous avons surtout complètement modifié la relation avec les clients. Au lieu de ne traiter qu’avec les grossistes, on privilégie le contact direct au travers des « personal shoppers » [des personnes qui connaissent très bien le client, le conseillent et facilitent ses achats, NDLR].

C’est ce que font les maisons de luxe ?

C’est exactement comme le font les maisons de luxe. Nous avons sélectionné vingt villes dans le monde où offrir ce type de services à la carte et nous employons une cinquantaine de personnes dédiées. Certaines éditions de Louis XIII ne sont pas disponibles dans le commerce. Elles sont réservées aux clients directs, dont on suit attentivement le style de vie, l’évolution des goûts et les choix. Nous avons élargi notre cible aux femmes riches notamment en Inde. Et ça marche très très bien, malgré le niveau prohibitif des taxes (150 %) à l’entrée du pays. A vrai dire nous avions vraiment complètement sous-estimé la clientèle féminine.

Ce sont là les changements essentiels hérités de la crise en Chine ?

Ce ne sont pas les seuls. Avant la loi anti-corruption, nous commercialisions une grande partie de nos flacons de cognac très haut de gamme Louis XIII en Chine. Les ventes ont repris mais nous avons diversifié nos allocations au profit d’autres pays. Notamment l’Afrique, où l’image attachée à ce type de consommation compte énormément. Nous avons ouvert des boutiques spécifiques pour Louis XIII. Deux en Chine, à Pékin et Xiam. Une à Londres. Notre clientèle a rajeuni. En Chine, le millionnaire moyen a 37 ans. Il est très pointu et s’intéresse à l’origine et à l’histoire des produits. Les grands formats type Mathusalem (6 litres) à 60.000 euros ont beaucoup de succès. Et la liste d’attente est longue. On a démarré les grands formats en Espagne aussi.

Vous avez acheté des distilleries de whisky ?

L’acquisition du Bruichladdich en Ecosse remonte à 2012. En 2017, nous avons acheté le Domaine des Hautes Glaces en France et Westland à Seattle aux Etats-Unis. Ces trois distilleries élaborent des single malts pour une clientèle extrêmement avertie de passionnés du monde entier. Notre activité whisky commence à être significative. De plus en plus de jeunes, en quête de singularité, d’aspérités, s’intéressent aux single malts. Ils organisent des week-ends de dégustation entre spécialistes de la question. De véritables geeks !

Source : Rémy Cointreau : « La crise en Chine a changé le marché des spiritueux » | Les Echos