Restaurants : Pour Alain Ducasse, « il faudra probablement attendre neuf mois pour que tout rentre dans l’ordre »
A la fois optimiste et lucide, le chef, symbole de la cuisine française, sait que la restauration devra encore patienter avant un retour à la normale. Et lance de nouveaux projets à deux bouts du spectre de la gastronomie.
De quelle manière la réouverture des restaurants se profile-t-elle ?
Il était grand temps de pouvoir reprendre. La capacité à redémarrer est là. Mais l’économie, à Paris notamment, n’est pas encore repartie. Ce n’est pas la peine d’y rouvrir tous les restaurants tout de suite, car ils ne seront pas pleins.
J’attends, avec beaucoup de curiosité, de voir quand les voyageurs étrangers, dont on sait que la capitale est friande, seront de retour, et je suis impatient que les avions se remplissent à nouveau. Lorsque l’on est, comme nous, installé dans 11 pays sur 3 continents, on sait que personne n’a envie de risquer de se retrouver en quarantaine à son arrivée. Je suis donc très attentif à ce que fait l’Europe dès maintenant et à la manière dont la libre circulation pourra, à terme, s’établir dans le monde entier.
Pour notre part, à Paris, nous rouvrons progressivement, en commençant par les bistrots et le bateau Ducasse sur Seine. Nous allons calibrer, car le danger serait de faire repartir des machines à perdre. Avec les PGE à rembourser, la profession a suffisamment de dettes pour ne pas en créer plus.
Comment voyez-vous les prochains mois ?
Il ne faut pas se cacher que la période à venir va être difficile. La France a fait le plein en matière d’aides, aussi bien pour les entreprises que pour les salariés, mais elles vont se ralentir. Il faut aussi donner envie aux jeunes collaborateurs rentrés dans leur région d’origine, où ils ont redécouvert un mode de vie différent, de revenir. Je pense qu’il en manquera 20 %. Dans le même temps, 10 à 20 % des restaurants risquent de ne pas reprendre le service.
La prochaine étape sera l’automne, même s’il faudra probablement attendre neuf mois pour que tout rentre dans l’ordre. Je suis optimiste et serein pour l’entreprise Ducasse Paris . La table est un endroit de partage, de retrouvailles uniques, un élément fort de notre civilisation.
Et la cuisine française garde toute son aura. Comme preuve, notre école de Meudon a rassemblé en pleine pandémie 62 nationalités. Il y en aura 75 à la prochaine rentrée.
Parmi les changements lancés par le Covid, certains comme le développement de la livraison vont-ils se pérenniser ?
Après avoir nourri les soignants avec plus de 10.000 repas, nous avons mis en place la livraison à travers Ducasse chez Moi, mais aussi Naturaliste autour des légumes, des céréales et des poissons de pêche durable. Naturaliste faisait 100 à 150 couverts par jour pendant les phases de confinement. Dans six mois, la vente à emporter et la livraison ne représenteront probablement plus qu’au maximum 20 % de nos ventes. Mais les habitudes prises vont rester et constitueront un bon complément de nos activités.
La pandémie ne vous a pas empêché d’imaginer de nouveaux établissements. Quels sont vos projets ?
J’ai toujours plus d’idées que de temps, malheureusement ! La période m’a laissé l’opportunité de réfléchir, avec la possibilité de faire le grand écart. À Versailles, nous allons célébrer l’art de vivre à la française et la haute gastronomie aux Airelles Grand Contrôle .
À l’automne, Sapid – le nouveau nom de Naturaliste -, rue du Paradis, à Paris, sera, un réfectoire constitué uniquement d’objets de deuxième usage. On y dégustera notamment le burgal, un burger de galette végétale. Les commandes se passeront sur une borne, on ira chercher soi-même son vin… Cette approche frugale permettra d’avoir un repas autour de 20 euros. À midi, il livrera les bureaux alentour. Nous voulons en faire un lieu de restauration pour les nouvelles générations. C’est notre pari.
Article de Clotilde Briard – A retrouver en cliquant sur Source