Après le «click and collect», le drive, la vente à emporter… des restaurateurs se lancent dans le « street picking », la livraison au coin de la rue. Une autre manière de se rapprocher de leurs clients.

Dans les restaurants, le retour à la normale ce n’est pas pour tout de suite. Autorisés à rouvrir le 2 juin 2020 en zone verte et à accueillir en terrasse en zone orange, ils doivent toutefois espacer leurs tables de 1 mètre. Cela signifie recevoir moins de clients dans leurs salles, et donc souvent accepter une baisse du chiffre d’affaires. La situation pousse donc les restaurateurs à redoubler d’imagination et de créativité  : vente à emporter, livraison et, un modèle plus innovant… le « street picking ». Selon nos informations, des entreprises en cours de création prévoient même d’en faire leur principal modèle d’affaires.

Livraison sur des lieux choisis à l’avance

Street picking, mais de quoi s’agit-il ? Le principe consiste à régler sa commande sur le site Internet d’un restaurateur puis à choisir un des lieux de collecte proposés par le restaurateur pour la récupérer. Une belle opportunité, selon Jennifer Moukouma, cofondatrice, avec Sophie Schumacher, de La Frégate, incubateur pour les restaurateurs, en raison de la situation actuelle : « Le public va avoir un peu de mal à reprendre ses habitudes de manger sur place. Il y a cette peur qui s’est installée et, en même temps, cette envie de consommer au restaurant. » Le concept diffère du « click and collect » ou de la livraison à domicile puisque le lieu de rendez-vous n’est ni le restaurant ni l’adresse du client, mais un lieu fixé par avance, à mi-chemin par exemple. Le restaurateur réduit ainsi ses coûts de déplacement. Et il conserve ses marges puisqu’il ne passe pas par une plateforme de livraison.

Gérald Lévy développe en France le concept du « street picking ». Il est le cofondateur en 2003, avec Sarah Dufour, de Yokler, anciennement Cyclopolitain , un fabricant français de vélos triporteurs à assistance électrique basé à Villeurbanne (69). L’entrepreneur affirme que la méthode est conforme à la législation, et n’est pas soumise à une autorisation de vente sur la voie publique. « Il n’y a pas d’exploitation commerciale de l’espace public. Le street picking s’apparente à une simple livraison puisque l’acte de vente a été fait préalablement. Le restaurateur n’a pas capté une clientèle à la volée dans la rue. »

Yokler propose plusieurs modèles de triporteur. L’un d’eux, principalement destiné aux supérettes, a été récemment adapté au transport de repas, pour donner suite à la demande d’une restauratrice. Dans le caisson arrière du vélo, quatre boîtes isothermes ont été ajoutées pour y placer les plats, chauds comme froids. Une table escamotable et des casiers de rangement complètent l’équipement. Ce modèle de triporteur est proposé en location longue durée à 299 euros par mois sur deux ans, ou à l’achat, à un peu plus de 9.000 euros. La société rappelle que les restaurateurs peuvent réduire ce coût grâce aux aides accordées par certaines collectivités, villes et régions, pour l’achat de vélos électriques.

Le Fort à Montauban s’équipe d’un triporteur
A Montauban, la restauratrice Valérie Pons a décidé de se lancer dans le « street picking » avec un triporteur. Cette entrepreneuse a commandé le premier modèle Yokler adapté à la restauration. « On avait bien compris que les clients n’allaient pas venir chez nous dès le 11 mai. Donc il fallait qu’on aille jusqu’à eux », explique la fondatrice et gérante depuis vingt ans de La Pyramide des saveurs, société qui exploite le restaurant Le Fort dans le centre-ville de Montauban. L’établissement de cuisine traditionnelle française assure aussi des prestations de traiteur et de boutique gastronomique, emploie quatre personnes et a réalisé 480.000 euros de chiffre d’affaires l’an dernier. Valérie Pons, par ailleurs présidente de l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie du Tarn-et-Garonne, en est persuadée : « Il faut qu’on se réinvente. Des plateformes sont venues se mettre entre le client et nous. Il ne faut plus d’intermédiaires. »

Adapter son outil de commande sur le Web

Gérald Lévy espère ainsi que le « street picking » se développera autour du triporteur… Mais d’autres moyens de transport peuvent être envisagés. Et reconnaît qu’il n’est pas l’inventeur de ce modèle d’affaires… « Il faut rendre à César ce qui est à César », admet l’entrepreneur. Cette vente-livraison originale est utilisée depuis avril 2014 par un restaurant lyonnais de plats frais et faits maison, Le Moulin. « Beaucoup de gens se trouvaient dans des zones mal achalandées en termes de restauration rapide et saine », se souvient Tom Thiellet, fondateur de l’enseigne en 2006 et aujourd’hui entouré de six associés. En 2014, il avait acheté ses premiers modèles de triporteurs auprès de Yokler avant de se tourner vers un fabricant espagnol.

Avant la crise sanitaire, les treize triporteurs surnommés « charrettes » livraient environ 1.300 commandes par jour sur les 2.000 repas frais préparés, soit environ les deux-tiers de l’activité du restaurant. Chaque triporteur réalisait une tournée quotidienne comprenant de deux à quatre points de retrait dans la rue, pour un panier moyen de 8,50 euros.

Pour Tom Thiellet, la mise en place du « street picking » demande quelques investissements, en particulier pour développer ou adapter son système de commande sur le Web. Les spécialistes de la digitalisation pour la restauration peuvent aider en ce sens. Autres points d’attention : la capacité à maintenir les températures des plats lors du transport, les questions d’hygiène ou encore la connaissance du terrain. Selon la cofondatrice de l’incubateur La Frégate, Jennifer Moukouma, cela suppose d’avoir une bonne connaissance de sa clientèle : « pour identifier les points de collecte les plus intéressants. Cela implique aussi de savoir communiquer sur les réseaux sociaux. »

Cet article a été réalisé dans le cadre d’un partenariat avec l’école de journalisme IPJ-Dauphine | PSL.

Article de Nicolas Bidard – A retrouver en cliquant sur Source