La loi alimentation et la poursuite du changement des modes de consommation maintiennent sous tension les Carrefour et autres Leclerc, Casino ou Auchan.

Les « gilets jaunes » ont gâché le Noël des distributeurs. Les blocages de ronds-points ont empêché l’accès à de nombreux hypermarchés et centres commerciaux. L’institut Nielsen a calculé que les grandes surfaces avaient perdu en cinq semaines du 12 novembre au 16 décembre 1 % de leur chiffre d’affaires, soit 160 millions. La baisse a spécialement affecté les produits non-alimentaires dont les ventes ont chuté de 7,3 %.

Amazon et l’e-commerce ont capté les ventes de jouets et de produits techniques. Les supermarchés, essentiellement alimentaires, ont résisté. « Les Français ont adapté leur quotidien aux nouvelles contraintes logistiques », explique Anne Haine, directrice générale de Nielsen France.

La Fédération du commerce et de la distribution et le Conseil national des centres commerciaux estiment pour leur part que le commerce a perdu dans son ensemble 2 milliards d’euros. C’est peu par rapport aux 450 milliards que pèse l’activité annuelle du secteur. C’est beaucoup pour certaines petites boutiques comme pour les grands hypermarchés déjà sur le déclin.

L’année 2019 permettra-t-elle un rebond ou bien la crise du commerce s’accélérera-t-elle ? De nombreuses questions se posent.

1 – Quel sera l’impact de la loi alimentation ?

La loi « pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et une alimentation saine et durable » a été conçue pour mettre fin à la guerre des prix. Celle-ci a redonné 4,5 milliards d’euros de pouvoir d’achat aux consommateurs en quatre ans. Elle a privé la filière agroalimentaire d’autant.

Le seuil de revente à perte des produits sera relevé de 10 % le 1er février. Début mars, la limitation des promotions à 34 % du prix des articles et à 25 % des volumes entrera en vigueur. Les experts estiment que ces mesures permettront de faire remonter environ 1 milliard d’euros vers les distributeurs, les industriels et les producteurs agricoles. La question de la répartition de cette manne est dans toutes les têtes. Difficile d’anticiper dans quelle mesure s’établira un ruissellement des magasins vers les usines puis vers les champs.

Des premiers accords tripartites ont été signés par Intermarché et Leclerc avec respectivement Bel, Savancia et Danone. Ils garantissent aux éleveurs laitiers un prix qui couvre leurs coûts. Tout reste à faire pour les autres filières. Surtout, la guerre des prix se déplace sur de nouveaux terrains. Le magazine spécialisé « LSA » a repéré des promotions de 70 % sur du dentifrice Signal chez Hyper U, sur des tablettes lave-vaisselle Sun chez Leclerc et un paquet d’Ariel offert (la nouvelle loi bannit le mot gratuit des prospectus) pour un acheté chez Leader Price. Intermarché fera de la surenchère pour la célébration de son cinquantenaire. Leclerc a en outre annoncé la baisse des tarifs de ses 4.600 produits à la marque Repère. La concurrence reste vive entre les enseignes. La guerre des prix portera sur les marques de distributeurs et, surtout, sur les produits d’hygiène-beauté de grandes marques qui ne sont pas encadrés par la loi alimentation.

– L’évolution des modes de consommation va-t-elle se poursuivre ?

Le couvercle de la poubelle se refermait tout juste sur les reliefs de la dinde du réveillon que 500 personnalités invitaient les Français à des « lundis verts » le 2 janvier sur Lemonde.fr. Les artistes et les ONG rappelaient que selon les Nations Unies 14,5 % des émissions de gaz à effet de serre provenaient de l’élevage. Aussi, « une journée sans viande peut aider à lutter contre le changement climatique ».

Cette initiative appuie la tendance en faveur des produits sans gluten, bio et locaux. Elle renforce la propension des consommateurs à acheter moins, mais des produits de meilleure qualité. Les experts appellent cela la « premiumisation ».

Les chiffres suggèrent que l’on ne reviendra pas en arrière. Le bilan à fin novembre de la société d’études IRI indique que les ventes de produits de grande consommation ont gagné 1,5 % en valeur et fléchi de 0,5 % en volume. La déconsommation s’installe.

– Quel remède au déclin des hypermarchés ?

Carrefour et Auchan sont les champions français des hypermarchés qui représentent encore l’essentiel de leurs ventes et de leurs résultats en France. Amazon a vidé les rayons non-alimentaires des « big box ». Les Géant de Casino ont confié ces linéaires à Cdiscount, l’e-commerçant du groupe. Carrefour mène des tests avec Darty. Les hypers réduisent leur taille et se concentrent sur l’alimentation. Ils prennent le virage de l’omnicanalité en transformant les surfaces vacantes en ateliers de préparation de plats et de commandes. L’hypermarché devient un hybride du supermarché et de l’entrepôt. C’est le concept du « new retail » que la Chine développe. Dans les magasins Hema d’Alibaba, des colis circulent sur des rails au-dessus des linéaires. A la sortie, les scooters attendent et livrent en une demi-heure.

– L’e-commerce deviendra-t-il important pour l’alimentaire ?

Selon Médiamétrie, en 2018, près d’un internaute sur deux a déjà acheté un produit alimentaire en ligne. La boutique Monoprix sur Amazon Prime Now a plus que doublé ses objectifs. IRI indique qu’à fin novembre, les ventes des « drives » en France – les points de retrait des supers et hypermarchés – avaient progressé de 8,2 %. Leclerc poursuit son offensive à Paris en ouvrant un Relais à la Fourche, près de la place de Clichy. Carrefour multiplie les drives-piéton dans les grandes villes. Tous s’équipent d’entrepôts de préparation modernes, dont Monoprix avec le spécialiste anglais Ocado. Reste à voir si les livraisons se feront au domicile des clients, auquel cas il faudra financer le coût du dernier kilomètre, où dans des magasins relais.

– La concentration est-elle inéluctable et avec qui ?

En 2018, la possibilité d’une fusion entre Casino et Carrefour a fait grand bruit. La crise du commerce est telle que beaucoup estiment des concentrations inévitables. La concurrence est terrible en France entre six grands acteurs : Leclerc, Carrefour, Intermarché, Auchan, Casino et Système U. Trois acteurs (Leclerc, Intermarché et U) sont des réseaux d’indépendants que personne ne peut racheter. Trois sont des affaires familiales ou presque : Auchan propriété des Mulliez, Casino que contrôle Jean-Charles Naouri, ainsi que, dans une certaine mesure, Carrefour dont les actionnaires de référence sont la société d’investissement de Bernard Arnault Groupe Arnault, la famille Moulin propriétaire des Galeries Lafayette et le milliardaire brésilien Abilio Diniz. Les éventuels rapprochements devront ménager de nombreuses susceptibilités.

L’exemple chinois suggère que la vérité est peut-être ailleurs. Auchan y est associé à Alibaba et Carrefour avec Tencent. Le « new retail », c’est l’alliance de mastodontes de la technologie qui disposent de fonds illimités levés sur les marchés financiers ou alimentés par leurs très lucratives activités technologiques avec les distributeurs « en dur » à l’ancienne. En 2019, la France entrera-t-elle dans l’ère du new retail ?