Affaire Perrier : un avenir désormais incertain pour Nestlé Waters, au centre de multiples scénarios

Alors que l’activité de la division eaux du groupe suisse a été filialisée début 2025, l’avenir de Nestlé Waters & Premium Beverages est affecté par la crise qui touche Perrier. Entre cession, recherche d’un partenaire et maintien de l’activité, les spéculations vont bon train.

Les iconiques bouteilles vertes Perrier ne quitteront pas les linéaires, ni les tables des cafés et restaurants. Le 18 novembre, le tribunal de Nanterre a rejeté l’ensemble des demandes de l’UFC-Que Choisir, qui réclamait le retrait temporaire du marché, le rappel des bouteilles ainsi que la suspension de l’appellation « eau minérale naturelle ».

L’association de consommateurs soutenait que les eaux minérales Perrier n’étaient plus « naturelles » en raison de traitements interdits, pointant un risque pour la santé. Une action nourrie par les révélations du Monde et de Radio France début 2024 sur l’usage de filtrations illicites (charbon, ultraviolet) dans le Gard et dans les Vosges. Nestlé Waters avait reconnu des « erreurs héritées du passé », rappelant que les autorités n’avaient jamais signalé de danger sanitaire.

Le groupe assure avoir depuis massivement investi pour mettre ses sites en conformité, avec un plan de transformation de près de 150 millions d’euros pour celui de Vergèze (Perrier) et de 93 millions pour celui des Vosges (Vittel, Contrex, Hépar). Si ce jugement constitue un soulagement pour Nestlé Waters, le ciel est encore loin d’être totalement dégagé. L’entreprise reste suspendue à une autre décision cruciale, celle de la préfecture du Gard qui doit se prononcer sur le renouvellement de l’autorisation d’exploitation de la source de Vergèze, où est embouteillée l’eau Perrier.

Le constat

  • Après le délibéré du tribunal de Nanterre rendu le 18 novembre, la commercialisation des bouteilles de Perrier peut se poursuivre normalement.
  • Les ventes de l’eau minérale gazeuse sont cependant en fort recul et la marque reste suspendue au renouvellement d’autorisation d’exploitation de la source de Vergèze (Gard).
  • Alors que la cession de Nestlé Waters & Pemium Beverages ou la recherche d’un partenaire pour l’activité eaux et boissons du groupe sont étudiées, sa valorisation dépend en grande partie de l’avenir de Perrier.

Une nouvelle entité dédiée

Mis en demeure au printemps de retirer son dispositif de micro­filtration à 0,2 micron, le groupe a déposé début juillet un nouveau dossier, fondé sur un système révisé à 0,45 micron – validé en mai par une circulaire de la Direction générale de la santé ­– et pour l’exploitation de deux puits principaux. Sans le feu vert de la préfecture du Gard – et alors que le groupe va devoir affronter une autre affaire potentiellement lourde pour son image, une procédure liée aux dépôts de déchets sauvages dans les Vosges, dont le procès doit se tenir en mars 2026 –, c’est bien l’avenir de Nestlé Waters qui est en suspens.

Au début de cette année, le groupe suisse a isolé son activité eaux et boissons premium dans une entité dédiée, Nestlé Waters & Premium Beverages. Une nouvelle organisation plus propice à un projet de cession ou de recherche de partenaire comme le groupe a déjà su le faire à plusieurs reprises (en 2006 avec Lactalis pour ses produits frais et, en 2016, pour son activité de glaces dans la ­société Froneri). « Ce type d’opérations ne constitue pas un galop d’essai pour le groupe », confirme Étienne Sebaux, associé chez AlixPartners. Et après tout, en 2021, le groupe a bien cédé ses marques régionales d’eau de source en Amérique du Nord à deux fonds d’investissement, pour 4,3 milliards de dollars (4 milliards d’euros).

Il est vrai que Nestlé Waters & Premium Beverages ne pèse plus que 2,8 milliards de francs suisses (3 milliards d’euros), une faible contribution rapportée aux 65,8 milliards de francs suisses de CA du groupe affiché pour les 9 premiers mois de son activité 2025. Mais pour être cédé ou trouver un partenaire, mieux vaut se montrer sous son meilleur jour. « De l’avenir de Perrier dépend en grande partie la valorisation de Nestlé Waters & Premium Beverages », décrypte Étienne Sebaux. Celle-ci tourne autour de 5 milliards d’euros ou plus, indiquait en mars 2025 l’agence Bloomberg, citant plusieurs sources proches du dossier. Des sociétés d’investissement dont PAI Partners et Bain Capital seraient sur les rangs.

Les chiffres clés

  • 3 Mrds € : le CA de Nestlé Waters & Premium Beverages sur les 9 premiers mois de l’année 2025, à + 2 % (taux de croissance réel)
  • 44 : le nombre d’usines
  • 33 000 : le nombre de salariés

Source : entreprise

Une concurrence accrue

Car si Nestlé Waters & Premium Beverages possède 44 usines et 33 000 salariés, la valeur ne se répartit pas uniformément. Le poids de la France et de l’Italie se révèle déterminant. Selon des chiffres que LSA s’est procurés, les marques françaises (Perrier, Vittel, Contrex, Hepar) et italiennes (S.Pellegrino principalement, Levissima, ­Acqua Panna) contribuent respectivement à 21 % et 27,7 % des volumes mondiaux de Nestlé Waters & Premium Beverages. À lui seul, Perrier pèse 7 % des volumes mondiaux (en litres) et S.Pellegrino 11 %.

Avec une large part de l’activité mondiale qui repose aujourd’hui sur deux pays principaux, dont l’un sous forte pression, ce n’est pas le genre de configuration propre à rassurer un investisseur. En interne, la nervosité est palpable. La communication de Nestlé France a beau répéter (sans délivrer le moindre chiffre) que Perrier est une marque solide, que les ventes sont en hausse sur le dernier trimestre et que le nombre de foyers acheteurs est demeuré stable, les faits sont là.

Selon des chiffres de Circana arrêtés à P6 2025, les ventes en volume sont en recul de 8 %. Pis, la production de cols de Perrier a chuté de 27,4 % entre 2021 et 2024. Un recul en partie lié aux contraintes d’appro­visionnement. « La direction est dans le déni, se désole une source en interne. Ce n’est pas le moment de faire fuir un éventuel repreneur et il faut aussi composer avec les salariés dégoûtés par tout ce qui se passe depuis ces derniers mois. »

Mais le recul des ventes de Perrier n’est pas seul à peser dans la balance. En l’espace de quarante ans, le marché des eaux embouteillées s’est complètement reconfiguré. Alors que, dans les années 1980, les principales marques d’eau minérale, dont Perrier, dominaient, laissant peu de place à l’eau de source, aujourd’hui, c’est tout le contraire.

Cristaline, avec son pack de 6 x 1,5 l, s’impose d’année en année à la première place du classement des 15 produits les plus achetés en volume de Nielsen IQ (228 millions d’UVC en 2024), bien loin devant Volvic (1,5 l) qui n’apparaît qu’à la cinquième place de ce classement avec 73,7 millions de bouteilles vendues.

 

Les ventes de Perrier en fort recul

Part de marché en volume des principaux intervenants de l’eau gazeuse nature, en %, et évolution des ventes en volume vs A-1, en %

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Source : Circana, origine industriel, CAM à P6 2025, tous circuits

 

Un virage sur les boissons aromatisées

Les contraintes de pouvoir d’achat des Français dans un contexte économique incertain accentuent sans nul doute ce retournement. « Les marques d’eau minérale doivent investir massivement en communication et en marketing sans pouvoir dégager de marge suffisante et c’est pour cela que Nestlé Waters & Premium Beverages veut accélérer sur le marché des boissons aromatisées avec Maison Perrier et S.Pellegrino. Ce marché est plus valorisé, en phase avec la tendance du zéro alcool et, surtout, il peut s’affranchir de toutes les contraintes réglementaires qui encadrent la production d’eau minérale », assure un fin connaisseur du marché.

Le lancement de Maison Perrier il y a tout juste un an et qui pèse déjà 17 % des volumes sur le marché de l’eau gazeuse aromatisée signe incontestablement le virage pris par Nestlé Waters & Premium Beverages. « Chaque jour, ce sont 1,5 million de bouteilles de Maison Perrier qui sont vendues dans 80 marchés », insiste la communication de Nestlé France.

 

La percée de Maison Perrier sur le marché des eaux aromatisées gazeuses

Part de marché en volume des principales marques d’eau aromatisée gazeuses, en %, et évolution des ventes en volume vs A-1, en %

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Source : Circana, origine industriel, CAM à P6 2025, tous circuits

 

La marque est embouteillée sur le site de Vergèze à partir de deux forages qui, jusque-là, étaient réservés à Perrier classique, l’eau minérale gazeuse. En 2024, selon des chiffres inter­nes, sur le site de Vergèze, 36 % des volumes étaient vendus sous Maison Perrier et 62 % sous la marque Perrier. En 2025, l’objectif a été fixé à 45 % des volumes pour Maison Perrier et 55 % pour Perrier. « Avec Maison Perrier, on est dans les codes du luxe », observe Étienne Sebaux.

Difficile en effet de passer à côté de sa campagne mondiale de lancement en 2024 dans laquelle on retrouve l’égérie anglaise Lily Collins. De quoi rendre d’autant plus belle la mariée ? « On voit bien que Nestlé Waters s’éloigne progressivement du marché des eaux minérales pour aller vers le marché des boissons dont le potentiel de développement est extrêmement fort », poursuit un observateur.

Une situation qui préoccupe les syndicats : « Les salariés sont inquiets et redoutent que le partenaire, une fois trouvé, ne s’intéresse qu’aux principales marques de Nestlé Waters & Premium Beverages, autrement dit Perrier et S.Pellegrino, et délaisse, une fois l’affaire conclue, le reste des marques et des usines qui vont avec, insiste un responsable syndical. Mais c’est aussi la force de Perrier que d’être une vraie marque avant d’être un produit. » Signe qui ne trompe pas, ­Nestlé Waters & Premium Beverages a cette année rejoint le Syndicat des boissons sans alcool présidé par Vincent Delozière et dans lequel on retrouve parmi ses membres, PepsiCo France, CCEP et Suntory Beverage & Food France.

 

Trois scénarios pour Nestlé Waters & Premium Beverages

1. Le maintien de l’activité au sein du groupe

C’est sans doute l’hypothèse la moins probable. Le 19 novembre 2024, le patron du groupe suisse, le Français Laurent Freixe – débarqué brutalement en septembre 2025 – ne faisait pas mystère de la recherche d’un partenaire pour son entité Nestlé Waters filialisée depuis le 1er juin 2025. Mais encore faut-il trouver.

Alors que le ciel n’est pas complètement dégagé sur le marché français, le groupe veveysan ne pourrait-il pas se raviser fort de sa belle percée sur le segment des eaux minérales aromatisées avec sa marque Maison Perrier commercialisée dans plus de 80 pays ?

2. La cession

Après la cession en 2021 de ses marques moyenne gamme en Amérique du Nord pour 3,84 milliards de francs suisse, le groupe Nestlé serait-il prêt à remettre le couvert ? En mars, plusieurs sociétés d’investissement dont Bain Capital et Pai Partners ont manifesté leur intérêt pour Nestlé Waters & Premium Beverages, dont la valorisation était alors de 5 milliards d’euros ou plus selon Bloomberg citant plusieurs sources proches du dossier.

3. La recherche d’un partenaire

Pour se désengager du marché des eaux, le groupe suisse pourrait privilégier la formule de la coentreprise, dont il a une certaine expertise. C’est la formule choisie en 2006 pour son activité ultrafrais et qui, après son rapprochement avec le premier groupe mondial laitier, a donné naissance à Lactalis-Nestlé ultra-frais (LNUF). Plus récemment, en 2016, Nestlé annonçait la création de Froneri avec le fonds Pai Partners, actionnaire du glacier britannique R & R.

L’entité détenue à 50-50 par Nestlé et Pai a repris en 2019 l’activité de crèmes glacées aux États-Unis de Nestlé (dont la marque Häagen Dasz). « Ce type de formule pourrait séduire un partenaire pour Nestlé Waters & Premium Beverages. En restant à parts égales dans une coentreprise, et alors que l’horizon n’est pas complètement dégagé en France, cela serait aussi un moyen pour Nestlé de montrer qu’il reste déterminé à assumer ses responsabilités et donner des gages aux pouvoirs publics qui réglementent l’exploitation de l’eau minérale en France », avance Étienne Sebaux, associé chez AlixPartners.

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Source : Affaire Perrier : un avenir désormais incertain pour Nestlé Waters, au centre de multiples scénarios