Alimentation : 5 choses à savoir sur la mauvaise passe du bio en France
Après dix ans de croissance insolente, les ventes de produits alimentaires bio reculent fortement. Une très mauvaise passe qui commence à mettre en danger certains acteurs de la filière. Décryptage d’un phénomène inquiétant.
L’alimentation bio française vivait jusqu’ici une forme d’âge d’or, mais la filière traverse aujourd’hui un véritable passage à vide. D’après la Fédération nationale d’agriculture biologique (Fnab), entre janvier et septembre 2022, les achats de produits bio ont dégringolé de 6,3 % en France. Même tendance constatée par l’Agence bio ce jeudi, la part des produits alimentaires biologiques dans le panier de courses des Français ayant reculé de 6,4 % à 6 % en 2022.
Ce trou d’air étonne après des années de croissance à deux chiffres pour la filière. En 2021, 6,6 % de la consommation alimentaire française était du bio. La production bio , qui fédère aujourd’hui 30.000 entreprises avec 200.000 emplois directs, pèse aujourd’hui 13 milliards d’euros de chiffre d’affaires environ. Un chiffre sans précédent depuis dix ans.
Comment se manifeste cette baisse du marché bio en France ? Quelles en sont les raisons ? Quelles pistes pour surmonter cette crise ? Réponses en cinq points.
1. Une chute brutale après des années de croissance
Fin février, deux jours avant le début du salon de l’Agriculture, un communiqué conjoint de plusieurs fédérations de producteurs bio français est venu tirer la sonnette d’alarme. « C’est la première fois que les filières bio demandent un accompagnement exceptionnel via des aides directes conjoncturelles », y déclare Mathieu Lancry, président de l’organisation Forébio et administrateur de Biocoop .
Il poursuit : « Nous avons un sentiment d’abandon de la part des pouvoirs publics qui laissent les structures économiques gérer seules les baisses de volumes, dans un contexte où nos collègues en agriculture conventionnelle bénéficient régulièrement de plans d’aides (betteraves, porc, vin ) ».
Après une décennie faste, qui a vu le marché du bio atteindre des sommets – 6,6 % de la consommation des ménages français en 2021 selon l’Agence bio (organisme public) – la part de consommation est passée en dessous des 5 % de l’année dernière. Cela représente l’équivalent d’un milliard d’euros de pertes entre 2020 et 2022, d’après les calculs du cabinet international IRI, fournisseurs de données sur le secteur de la consommation.
Entre janvier et septembre 2022, les achats de produits bio ont ainsi chuté de 6,3 % en France, selon la Fnab. Cette baisse est particulièrement marquée chez les enseignes de distribution spécialisées du bio (La Vie claire, Biocoop, Naturalia, etc.), avec un recul de 16 % sur cette période. Aussi impactées, les grandes surfaces classiques tiennent un peu mieux le choc avec une érosion de 5,3 % des achats, selon la dernière étude du cabinet NielsenIQ sur la consommation bio en France. Selon les derniers chiffres de l’Agence bio, seul le vin bio tire son épingle du jeu (+2 % en 2022), porté par les cavistes.
Spécialiste des études économiques sectorielles, le cabinet Xerfi envisage une sortie de ce tunnel en 2024. Mais en l’absence d’un soutien plus fort de l’Etat, les professionnels de la filière restent perplexes quant à cet horizon.
2. Baisse de l’offre, fermetures de magasins et « déconversion »
Cette décrue globale du bio impacte tout son écosystème. A commencer par les grandes surfaces, canal de distribution essentiel de la filière, qui s’adaptent aux nouveaux comportements d’achats de ses clients. Selon l’IRI, l’offre bio dans les rayons de la grande distribution aurait reculé de 7,3 % sur les huit premiers mois de l’année 2022.
Une situation qu’ont fortement déplorée les producteurs de la filière via une lettre ouverte adressée en novembre dernier à plusieurs grandes enseignes (Leclerc, Coopérative U, Carrefour, Auchan, etc.) : « […] Moins les produits bio sont mis en avant, moins les consommateurs sont incités à les acheter. Nous risquons d’entrer dans un cercle vicieux qui pourrait en quelques mois mettre en péril des filières entières et compromettre les efforts engagés depuis des années par les pouvoirs publics, les producteurs et les entreprises pour passer en bio. » Les auteurs mettent également en garde contre la reproduction du « scénario noir qu’a connu la bio au Royaume-Uni dans les années 2010 ».
Du côté des enseignes spécialisées, la décrue des ventes en bio a déjà entraîné la fermeture d’un peu plus de 200 magasins durant l’année 2022. Parmi les leaders du secteur, la chaîne Biocoop a été contrainte de fermer une quarantaine de ses 700 points de vente. En 2023, la tendance devrait se poursuivre avec l’effet combiné de la hausse des factures d’énergie. « C’est la mort certaine de 80 % des magasins bio – soit 2.000 points de vente – si rien n’est fait », a d’ailleurs alerté dans le média « Reporterre » Bertrand Pérot, président du réseau de magasin indépendant Le Gand panier bio.
Sur le front des fermes converties en totalité ou partiellement en bio, les effets négatifs se font aussi ressentir. Selon le ministère de l’agriculture, l’an dernier, quelque 3.380 fermes ont cessé leur activité en bio (+35 %), soit près d’un millier de plus qu’en 2021. Ce qui représente 6 % du total des fermes biologiques, sur 58.413 exploitations de ce type (décompte du ministère 2021).
3. L’inflation comme principale cause
Sans surprise, le facteur numéro un de ce désamour envers les produits bio est l’ inflation , qui s’est accentuée depuis le début du conflit en Ukraine à partir de février 2022. Selon l’Insee, l’indice des prix à la consommation a atteint en avril 5,9 %.
Lorsqu’on ajoute à cette tendance conjoncturelle le prix de base des denrées bio, 30 % plus chères en moyenne, le frein à l’achat est d’autant plus fort. Selon une analyse publiée en 2020 par « Linéaires », un média spécialisé sur la distribution alimentaire, cette majoration du prix du bio peut même atteindre 75 % dans certains points de vente.
Dans sa dernière enquête sur la consommation du bio en France, NielsenIQ confirme en ces mots la tendance : « En période d’inflation, peu de foyers peuvent se permettre d’acheter 100 % bio, et vont donc réaliser des arbitrages […] C’est notamment le cas des familles et des jeunes foyers. Seuls les ménages aisés ont stabilisé leurs achats de bio. Les Français sont 54 % à déclarer que les produits bio sont trop chers par rapport aux bénéfices qu’ils apportent. »
4. La confusion face à la jungle des labels « verts »
« Dès 2020, après le pic lié au Covid, on a vu une décroissance du bio, Il y a donc en plus d’une crise conjoncturelle, une crise structurelle », a déclaré début décembre le ministre de l’Agriculture Marc Fesneau, lors des dernières Assises de l’agriculture et de l’ alimentation biologiques .
Ce volet structurel à la crise du bio est aussi observé par les acteurs de la filière, qui voient ces dernières années une véritable perte de repères des consommateurs par rapport au bio. « Sans pesticides », « sans nitrites », « Bleu-Blanc-Coeur », « production locale », « produit éthique », etc. ces nouvelles étiquettes « vertes » font de l’ombre aux labels bio traditionnels comme AB ou le logo européen bio, plus exigeants dans leur cahier des charges.
Interrogée en mars par franceinfo sur le sujet, Laure Verdeau, directrice de l’Agence bio, confirme cette confusion : « Le citoyen peut confondre le label public et les allégations marketing ». Un chiffre de la dernière enquête de NielsenIQ est à mettre en lien avec ce constat : seulement 27 % des sondés pensent que le bio présente un vrai bénéfice pour l’environnement, avec une agriculture vraiment durable.
Pour répondre à ce déficit d’information, lancer de nouvelles campagnes publiques de communication est une solution préconisée par l’Agence bio. Propulsée par cette dernière entre mai et octobre 2022, la campagne « Pour nous et pour la planète, #BioRéflexe », aurait généré entre 4 et 5 % de ventes de produits bio supplémentaires dans les territoires où elle a été diffusée.
5. Les pistes de solutions pour surmonter la crise
Face à la grogne des acteurs du bio, mercredi 17 mai, le ministre de l’Agriculture a annoncé une « enveloppe de crise » de 60 millions d’euros pour la filière bio . Ce soutien viendra abonder le plan d’urgence de 10 millions d’euros, annoncée par la Première ministre lors du dernier Salon de l’Agriculture.
Celle-ci avait déclenché des réactions de colère chez les producteurs bio, qui estiment cette somme dérisoire pour enrayer la crise dans laquelle ils sont plongés. Après calcul, cette aide de 10 millions reviendrait selon eux à attribuer seulement 166 euros à chacune des 66.000 exploitations agricoles bio françaises. D’après le secteur, il faudrait au moins 150 millions d’euros pour sauver le lait , le porc et les fruits et légumes bio.
Dans un rapport publié en juin dernier, la Cour des comptes constate un manque de soutien à « L’Agence bio, principal opérateur de l’Etat pour la filière bio en France », qui ne dispose pas de moyens à la hauteur de ses missions […] ». La haute instance préconise donc plus de moyens financiers pour soutenir cette agence publique, notamment sur le volet communication.
Par ailleurs, elle voit la commande d’Etat de produits bio comme une piste de solution. En France, on ne trouve que 6 % de bio dans les cantines publiques, loin de l’objectif des 20 % pris par la loi Egalim. Le 17 mai, le ministère de l’Agriculture s’est réengagé, à atteindre ce seuil via la commande publique. Cela représente un soutien par la demande d’environ 120 millions d’euros.
Mi-mai, depuis une ferme de l’Oise, le ministre de l’Agriculture s’est ainsi engagé à ce que les cantines de l’Etat (ministères, prisons ou armées) se mettent en conformité avec l’objectif de 20 % de produits bio à leur menu d’ici la fin de l’année. « On va commencer par donner l’exemple nous-mêmes », a-t-il déclaré à la presse.
Enfin, la restauration commerciale peut aussi largement aider la filière. « Si les restaurateurs achetaient 10 % de bio, cela ferait un marché additionnel de 1,5 milliard d’euros », souligne la directrice de l’Agence bio sur franceinfo.
Par Mathieu Viviani – A retrouver en cliquant sur Source
Source : Alimentation : 5 choses à savoir sur la mauvaise passe du bio en France