AMAZON.COM : Les ambitions d’Amazon font trembler les distributeurs français

(Reuters) – Les manœuvres d’approche lancées récemment par Amazon auprès des distributeurs français témoignent des ambitions du géant américain du e-commerce dans l’alimentaire et obligent les distributeurs à accélérer leur transformation digitale.

En sortant du e-commerce pur avec l’annonce en juin du rachat de la chaîne de bio américaine Whole Foods Market (WFM) et de ses 473 magasins, Amazon a provoqué un séisme dans un secteur engagé dans une guerre des prix dévastatrice pour les marges.

La rapide intégration de WFM, confirmée lors de la présentation la semaine dernière des résultats trimestriels d’Amazon, n’a fait qu’accroître les craintes des distributeurs de voir le géant américain bouleverser le marché français de la distribution alimentaire, évalué à 200 milliards d’euros.

« Avec WFM, Amazon veut tester le modèle omnicanal, hybride, qui sera celui de demain », commente Yves Marin, directeur au sein du cabinet Wavestone, pour qui l’enjeu central de l’américain consiste à « capter le client, l’encarter dans un éco-système global le faisant aller d’une boutique Amazon à une autre boutique Amazon ».

Alibaba, géant chinois du e-commerce, a suivi une stratégie similaire en prenant en mai dernier une participation dans la chaîne de supermarchés Lianhua.

Avec un trafic à la fois massif et récurrent, la distribution alimentaire et ses gigantesques bases de données présentent un intérêt stratégique pour le géant américain, pour qui la France est le troisième marché en Europe, derrière le Royaume Uni et l’Allemagne.

« Amazon représente une réelle menace pour les distributeurs. Il est clair qu’il veut prendre sa part du marché et qu’il a les moyens pour le faire », commente Stéphane Tubiana, directeur au sein du cabinet Roland Berger, pour qui les distributeurs doivent impérativement accélérer leur digitalisation.

Jusqu’ici les distributeurs français ont rejeté les avances d’Amazon, jugeant trop risquée une coopération qui lui ouvrirait les portes du marché et serait susceptible de les marginaliser.

LE LOUP DANS LA BERGERIE

« Dès lors qu’il prend des positions sur un marché, la fuite des consommateurs est très forte car il est centré sur le client, tandis qu’en face, les distributeurs pensent logistique, produits mais pas forcément clients », souligne Yves Marin.

De l’avis de nombreux experts, Amazon devrait chercher à nouer des accords lui permettant d’avoir accès à une offre suffisante pour être crédible et compétitive.

L’américain a déjà noué des partenariats au Royaume-Uni avec WM Morrisons et en Allemagne avec Tegut et Feneberg permettant à ces enseignes souvent régionales et de taille modestes d’être plus largement distribuées dans leur pays.

En France, « son service Prime Now de livraison express par abonnement peut réellement changer la donne, à condition que son offre soit séduisante, ce qu’il ne peut pas obtenir par croissance organique », commente Natalie Berg, de PlanetRetail.

Pour y parvenir, l’américain doit trouver des accords d’approvisionnement qui lui ont été jusqu’ici refusés.

« Le principal risque pour les distributeurs, c’est de faire entrer le loup dans la bergerie. Car une fois qu’Amazon aura atteint la taille critique, il n’aura plus besoin de personne », observe Nicolas Champ, analyste de Barclays.

Leclerc, numéro un du secteur en France, et Système U ont déclaré à Reuters avoir été approchés.

Leclerc propose déjà, dans quelques magasins, des casiers de livraison dédiés à Amazon – un service susceptible d’accroître le trafic dans ses hypermarchés, 30% à 50% des clients qui retirent leurs courses dans des Drive allant dans l’hypermarché pour faire des achats complémentaires.

Système U a quant à lui décliné une offre pour un accord sur le « sourcing » des produits.

Alors que la presse a prêté à Amazon des visées sur Monoprix, propriété de Casino, le directeur financier du distributeur stéphanois a parlé de « fake news », tandis que Régis Schultz, président de l’enseigne, a évoqué, sur BFM Business, une « fable » et des informations « bidon ».

ORDRE DE BATAILLE

« Si Amazon passe un accord de distribution avec Leclerc, se serait très problématique pour Carrefour », estime Bruno Monteyne, analyste de Bernstein, pour qui Alexandre Bompard, « va devoir faire vite ».

Le nouveau PDG de Carrefour, qui doit présenter son plan de relance d’ici la fin de l’année, a recruté l’ancienne dirigeante de la banque en ligne Boursorama, Marie Cheval, pour accélérer dans le digital, où il reste à la traîne.

« Carrefour et Auchan ont beaucoup de mal dans la logistique et le multicanal. Face à eux, Amazon a les capacités logistiques et la puissance d’investissement pour remettre en cause le business modèle », note un consultant sous couvert d’anonymat.

Certains experts estiment que le rachat pur et simple d’un distributeur français est peu probable, au moins à court terme, observant qu’Amazon doit d’abord « digérer » le rachat de Whole Foods.

Mais la concurrence féroce qui sévit en France peut fragiliser certains acteurs et le plus faible peut finir par lui tendre la main, relève l’un d’entre eux.

« Si personne ne flanche, Amazon peut toujours se lancer, ouvrir des magasins, comme à Londres, baisser les prix et faire s’écrouler les cours en Bourse. La situation n’aura alors plus rien à voir avec ce qu’elle est aujoud’hui », ajoute ce même expert.

La situation pourrait alors, selon lui « évoluer de façon assez radicale ».

D’autres estiment qu’Amazon souhaitera, à plus ou moins brève échéance, acquérir un réseau de magasins dans des zones urbaines, son coeur de cible.

« Tout pousse à penser qu’Amazon va finir par racheter ou nouer un partenariat avec un distributeur physique. Sans un réseau de magasins, il ne pourra pas s’imposer car, au-delà des nécessités logistiques, les achats alimentaires restent des achats plaisir pour lesquels nous avons besoin d’être en contact avec le produit, en particulier les produits frais », note Stéphane Tubiana.

« Un rachat par Amazon serait la meilleure issue pour les actionnaires de Carrefour », estime pour sa part Xavier de Buhren, gérant chez Mirabaud AM.

En tout état de cause, les distributeurs doivent se mettre en ordre de bataille et n’ont guère d’autre choix que d’assurer une parfaite fluidité omnicanale et d’offrir parallèlement des expériences attractives dans les magasins.

Il doivent aussi trouver les moyens de régler la question de la rentabilité « du dernier kilomètre » de livraison sur lequel Amazon – qui vient d’ouvrir un cinquième entrepôt en France, un sixième étant programmé pour 2018 – est très fort.

Outre-Atlantique, Wall-Mart a conte-attaqué en s’alliant à Google et sa plate-forme de livraison à domicile. Il a aussi lancé il y a peu la livraison de produits frais directement dans le réfrigérateur des clients par le biais d’un système de serrure connectée. Amazon a riposté sans attendre, en lançant un service similaire.

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