«Ça n’est plus un plaisir»… Pourquoi la génération Z préfère faire la fête à la maison plutôt qu’en boîte de nuit

ENQUÊTE – Alors que le nombre de discothèques a été divisé par deux en quarante ans, les jeunes privilégient désormais les soirées dans la sphère privée. Beaucoup aspirent aussi à une vie plus saine, où sport et «cocooning» prennent le pas sur le «clubbing».

Thibault*, 26 ans, se décrit lui-même comme «très fêtard». Depuis la fin du collège, lui et sa «bande de douze potes» se retrouvaient chaque week-end pour «faire la teuf», d’abord dans les appartements familiaux au lycée, puis en discothèque une fois la majorité atteinte. Mais depuis quelque temps, «(sa) définition de la fête a changé». «Avant, on allait en boîte de nuit tous les week-ends. Maintenant, pour moi, la fête est plus associée à des moments de qualité, d’exception. Je ne sors plus trop dans des boîtes à Paris, je préfère aller voir des artistes que j’adore de temps en temps, dans des endroits un peu atypiques ou dans des festivals, partout en France et à l’étranger.» L’âge et l’entrée dans la vie active du jeune homme jouent bien sûr dans cette évolution, mais de nombreux autres facteurs entrent en ligne de compte. Thibault est loin d’être le seul jeune de la génération Z à confier au Figaro que ses sorties ne sont plus les mêmes et que les boîtes de nuit, jadis lieux festifs par excellence, n’ont plus rien d’incontournables.

Le désamour pour les discothèques n’est pas propre à cette génération. «Entre les années 1980 et la période pré-Covid, on a perdu 50 % des établissements. Il en restait environ 1600, et la pandémie a provoqué entre 250 et 300 fermetures», chiffre Christian Jouny, propriétaire de plusieurs établissements sur la côte atlantique et secrétaire général du Syndicat national des discothèques et des lieux de loisirs (SNDLL). «Il y a un changement de comportements dans les générations qui se succèdent, analyse-t-il, se voulant tout de même optimiste. L’activité n’est pas complètement en déclin, même si on voit bien qu’on est dans une période très difficile. La profession n’est pas condamnée, si on y met de la volonté politique! Et la jeunesse a quand même besoin d’exutoires, de lieux pour faire la fête. Je n’ai aucune certitude sur ce qui se passera dans cinq ou dix ans, peut-être que les choses s’inverseront?» Jérémie Peltier, codirecteur de la fondation Jean Jaurès et auteur d’un ouvrage intitulé La fête est finie? (Éditions de l’Observatoire, 2021), voit pourtant dans cette évolution «un mouvement de fond, accentué par le Covid». «La fête est impactée par la sédentarisation de la société, par la défiance grandissante vis-à-vis d’autrui, par la tendance à la baisse de motivation à s’adonner à des loisirs dans l’espace public…»

Les jeunes interrogés par Le Figaro ne disent pas autre chose. Ils sont nombreux à invoquer sans aucune difficulté leur «flemme» de se lancer dans des «grosses soirées» quand leur canapé, leur compte Netflix, leur plaid et leur boisson chaude leur tendent les bras. «La semaine, j’enchaîne deux formations, et c’est intense. Alors le week-end, ça m’arrive souvent d’avoir envie d’être juste posée chez moi, tranquille, plutôt que de sortir avec mes amis. Je me fais une petite tisane, un film ou un livre. Pour moi, c’est aussi une bonne soirée», raconte Anouk, 19 ans, étudiante en première année de licence de cinéma et qui suit en parallèle le Cours Florent. La Montpelliéraine n’hésite plus à parler de cette envie différente à ses amis. «Je ne me sens plus coupable, maintenant j’assume de ne pas vouloir sortir alors qu’avant je me disais que ça faisait un peu fainéante!»

Problème d’insécurité

Au cours de ces soirées «chill», lorsqu’elle jette un œil aux réseaux sociaux sur son téléphone, il arrive à Anouk de tomber sur les contenus partagés par ses relations qui, eux, font la fête. «Tout est hypermédiatisé… On filme tout, on veut avoir la meilleure soirée, les meilleures vacances, et du coup on profite moins! C’est un peu “qui fera la meilleure story pour faire rêver les gens?” Je ne dis pas que je ne le fais jamais, mais ça me saoule un peu», confie la jeune femme. Quand il va en boîte, Émilien, étudiant de 19 ans, redoute ces «téléphones qui filment tout»«Quand je suis avec mes amis, je sais que les photos ou vidéos “dossier” vont être gardées entre nous, pour rigoler. Alors qu’avec des inconnus, on a tendance à faire attention… Ça aussi, ça pousse à moins sortir.» Jérémie Peltier pense même que cette «mise en scène permanente» joue un rôle important dans le déclin de la fête. «Aujourd’hui, on se regarde faire la fête plus qu’on ne la fait», estime-t-il. «La fête filmée est en train de tuer la fête légère telle qu’on la connaissait auparavant. Elle donne le sentiment d’être sous surveillance alors même que cela devrait être des moments de respiration, de liberté.»

On n’a pas forcément les musiques qu’on aime, ça coûte cher, et à Montpellier, on se fait pas mal emmerder quand on sort

Anouk

Certains jeunes avancent aussi leur amour du sport pour expliquer la raréfaction de leurs sorties. Thibault et Apolline, étudiante de 23 ans, en sont de parfaits exemples. «Ça ne me dérange pas de ne pas sortir quand j’ai un objectif derrière. Si je prépare une course, je vais jusqu’au bout!», confie le premier. Lorsqu’il préparait le marathon de Paris 2022, il a «totalement arrêté de fumer» et n’a pas fait «une seule grosse soirée pendant trois mois et demi». Cette année, pour le semi-marathon, il se fixe des contraintes moins drastiques: «En janvier, je continue à sortir, à boire un peu. En février, je boirai et je sortirai moins.» Apolline estime quant à elle que son attrait grandissant pour le sport est «la principale raison» pour laquelle elle met un frein à ses sorties. «J’aime toujours faire la fête jusqu’à 5 heures du matin, mais je n’aime pas le fait que ça m’empêche de faire du sport le lendemain», souligne cette adepte de course à pied et de ski de randonnée. À l’instar d’Anouk, elle «assume» de plus en plus facilement ce choix auprès de ses amis. «Avant, c’était dur. Maintenant, j’arrive à leur dire “Je vous rejoins pour une bière mais après je rentre parce que demain je fais du sport!”»

Anouk ayant commencé à fréquenter les boîtes de nuit à sa majorité, il lui aura suffi d’une année pour «être un peu dégoûtée par ce qui lui apparaissait au début comme le symbole de la «liberté». «Ça ne me donne plus envie, vu comment ça se passe. On n’a pas forcément les musiques qu’on aime, ça coûte cher, et à Montpellier, on se fait pas mal emmerder quand on sort, donc ça n’est plus un plaisir.» Beaucoup plus au nord de la France, Émilien est sur la même longueur d’onde. «En boîte, il y a plus de risques», affirme celui qui se destine à être préparateur en pharmacie. Évoquant notamment le phénomène des «piqûres» , les «embrouilles avec les gens qui ont bu» et les «mecs lourdingues avec les filles», l’étudiant souligne: «Mes amis et moi, on préfère les soirées dans les bars ou dans les appartements. On s’y sent plus en sécurité.»

L’ombre du Covid

Tous les jeunes interrogés par Le Figaro se disent d’ailleurs «sur leurs gardes» lorsqu’ils sortent en boîte de nuit. «Personnellement, je n’ai jamais eu de gros problèmes, contrairement à certains de mes amis, mais j’ai déjà été insultée, un peu suivie, et connu des mecs qui me parlaient de façon insistante… Ce n’est pas traumatisant, mais ça crée un climat», raconte Apolline. «Être souvent abordée, c’est lourd…», regrette Alexia, Parisienne de 23 ans. «Je fais gaffe, je suis vigilant. Ça ne m’empêche pas de sortir, mais je fais attention à mes potes, mecs ou filles», souffle Thibault. «À chaque fois, on raccompagne nos amies ou on s’assure qu’elles ne rentrent pas seules», complète Grégoire, 21 ans, en école d’ingénieurs à Lille. Les professionnels du monde de la nuit partagent les mêmes préoccupations. «Il y a énormément de nouveaux problèmes», soupire Guénaëlle Barrière, propriétaire de la boîte de nuit le Stirwen, située dans le Morbihan. «Il y a eu l’histoire des piqûres, celle des drogues qu’on vous met dans les verres… Ce qu’il faut, à mon sens, c’est de la proximité et du dialogue entre les employés et les clients. Prenons un groupe de filles qui fait la fête ; c’est mieux si elles connaissent une ou deux personnes dans la boîte pour tout de suite signaler un éventuel problème. L’idéal, c’est de recruter du personnel formé en matière de santé et de sécurité.»

Une dernière raison de la désaffection des discothèques tient en un mot: le prix. Selon les derniers chiffres de l’Insee, l’inflation a atteint 4,9 % en 2023. Un pourcentage certes en légère baisse par rapport à 2022 (5,2 %) mais en nette augmentation par rapport aux années précédentes (0,5 % en 2020, 1,6 % en 2021). «Les soirées en boîte, ça coûte cher», grimacent plusieurs vingtenaires. «Un verre y coûte 10 euros, c’est un critère important pour moi qui suis étudiant», résume Grégoire. «Quitte à dépenser 30 balles, je préfère me faire un bon resto que payer une entrée et des boissons en boîte», glisse Apolline. Face à ce phénomène, de nombreux propriétaires de lieux festifs veillent à garder leur établissement «accessible à toutes les bourses»- et à le faire savoir. «Il faut que le petit jeune qui n’a pas trop de sous puisse venir à 20 euros», assure Guénaëlle Barrière.

Je rencontre toujours des gens, des amis d’amis ; c’est plus facile de s’intéresser à une personne dans un cercle restreint, chez quelqu’un

Anouk

Sécurité, accessibilité… Les enjeux sont d’importance pour les lieux festifs traditionnels, qui font face à une concurrence grandissante: les soirées «à domicile». Un phénomène déjà perceptible avant la pandémie, mais qui n’a fait que s’accentuer depuis. «Pendant mes deux premières années d’étude, on sortait en boîte deux à trois fois par semaine, c’était normal à Lille! Puis le Covid a mis un coup d’arrêt complet à ces sorties. Et j’ai réalisé à quel point c’était sympa d’organiser des soirées chez soi ou chez des gens. Avant, on faisait des “before”, mais c’était toujours dans l’optique de sortir dans la foulée», déclare Apolline. La musique, la danse, les rencontres ne manquent-elles pas à ces jeunes? «Je continue à danser, mais chez mes amis! Je danse même plus facilement, parce que j’ai moins peur de me mettre en scène, répond Anouk. Et je rencontre toujours des gens, des amis d’amis ; c’est plus facile de s’intéresser à une personne dans un cercle restreint, chez quelqu’un.» Alexia et Apolline, elles, assument de ne plus chercher à élargir leur cercle. «Je préfère rester entre amis», témoigne la première. «J’ai rencontré tellement de monde ces dernières années que maintenant, je veux prioriser mes amis proches. Aujourd’hui, je m’en fiche de rencontrer des gens que je ne vais pas revoir. Je suis ouverte à de nouvelles amitiés, mais les rencontres de boîte, bon…», abonde la seconde. Et de conclure: «Définitivement, les boîtes de nuit ne m’attirent plus du tout!»

* Le prénom a été changé

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Source : «Ça n’est plus un plaisir»… Pourquoi la génération Z préfère faire la fête à la maison plutôt qu’en boîte de nuit