Camille Berthaud, pdg de Compass Group France,

Camille Berthaud, pdg de Compass Group France, « l’innovation en mode open source »

Culture entrepreneuriale, nécessité de repenser les modèles, responsabilité vis-à-vis de l’amont agricole, mission d’intérêt public de la restauration collective… Depuis septembre à la tête de Compass Group France, Camille Berthaud explique à Néo comment il souhaite positionner la troisième SRC de l’Hexagone.

Quel bilan tirez-vous de l’année 2022 ?
Mis à part en janvier et février, deux mois pendant lesquels nous avons été à nouveau impactés par le Covid, 2022 a été une année de rebond. En scolaire et médico-social, nous sommes sur les niveaux de fréquentation de 2019 ; sur l’entreprise, nous sommes à 70/75 % seulement, avec un différentiel entre les régions et Paris, lié au profil de clients tertiaires de la capitale. Alors que notre modèle est challengé sur sa rentabilité, avec une hausse de 20 % en un an sur le coût alimentaire, nous avons enregistré un chiffre d’affaires de 1,2 milliard d’euros dont plus de 110 millions d’euros de croissance : c’est un record de développement, établi grâce à de nouveaux clients et à un taux de fidélisation de 95%.
Comment expliquez-vous cette croissance ?
Nous avons été très proches de nos clients pendant la période Covid, nous avons su innover et changer nos modèles. C’est par exemple le lancement de Popote, en entreprise d’abord, en santé ensuite, qui fonctionne très bien en période de crise profonde. Nous avons repositionné l’offre alimentaire d’Eurest sur le “moins mais mieux”, retravaillé les plans de menu pour avoir une offre plus contemporaine, plus en phase avec les attentes des consommateurs, une mise en valeur sexy du végétal, une offre streetfood multifacette. Nous avons également renforcé nos partenariats avec un certain nombre de chefs -Yoni Saada, Chloé Charles etc- pour nourrir notre réflexion sur les plans de menu, et côté enseignes, avec Eric Kayser, Matsuri. Nous avons aussi retravaillé le service, notamment avec le service à table décliné en deux versions. Soit les plats sont amenés à table au fur à mesure, soit tous ensemble, sur un joli plateau.
Quel est le modèle économique de ce service à table  ?
C’est un modèle différent. D’abord, nous avons la capacité de bien analyser les taux de prise puisque les convives pré-commandent sur l’appli. On est sur une séquence de production et de service relativement simple, puisque les entrées sont dressées, le choix limité -3 entrées, 3 plats, 3 desserts-, c’est le développement qui a pris du temps. On ne touche pas à la structure, on utilise la zone de distribution en zone d’envoi. Nous avons d’ailleurs une douzaine de projets de ce type sur lesquels nous travaillons.
Pouvez-vous envisager le service à table quel que soit le nombre de couverts ? 
A la BPCE, nous montons jusqu’à 450-500 couverts ; nous pourrions faire plus. Ça nécessite des espaces et de revoir les plages horaires mais nous avons des projets de service à table pour 700-800 couverts. Nous n’irons pas à 2000, mais quand même… Plus globalement, l’objectif, c’est de permettre au salarié d’avoir une restauration digne de ce qu’il peut retrouver hors de son bureau. Il n’y a plus de barrière entre restauration collective et commerciale.
On parle aussi beaucoup d’hybridation des espaces de restauration d’entreprise, qu’en pensez-vous ?
C’est un enjeu, mais aussi un chantier à mener à deux, avec le client. Ici (chez Altarea-Cogedim, où se déroule l’interview, ndlr) les espaces sont utilisés par les collaborateurs qui viennent se brancher, travailler. Nous devons développer des services, donner accès à l’offre, nous positionner comme un vrai hôtelier pour servir des prestations à n’importe quel moment de la journée.
Quid de l’innovation chez Compass ?
En 2018, on a lancé Exalt, qui enregistre aujourd’hui quasi 100 M€ de CA avec 1000 collaborateurs ; en 2020-21, donc Popote ; l’innovation est un élément différenciant. Nous devons cultiver l’esprit d’entrepreneuriat ou d’“intrapreneuriat”  chez Compass, car les collaborateurs ont beaucoup de bonnes idées. Cet esprit, nous l’avons sur le digital aussi -nous n’achetons pas les solutions, nous les développons-, avec une quarantaine de personnes dédiées.
Comment cultive-t-on cet esprit entrepreneurial ? 
On essaie d’avoir un comité exécutif ouvert : 80 % des membres du comex viennent de la promotion interne, avec une moyenne d’âge de 42 ans. Nous sommes très proches de nos équipes, nous leur donnons la possibilité de s’exprimer, d’évoluer, c’est important pour donner la possibilité d’entreprendre ou “d’intraprendre”. Nous leur laissons une fois par mois la possibilité de présenter des projets au comité exécutif… un mode open source que je souhaite continuer d’encourager puisque nous avons la nécessité de nous réinventer.
Et de faire évoluer les modèles, notamment en restauration d’entreprise, vu le coût de l’immobilier et du coup celui des espaces de restauration. Doit-on continuer à tout produire sur place quand on a un maillage dense ; doit-on réfléchir à des légumeries ? Il y a une vraie réflexion à mener sur les modèles opérationnels.
Vous avez pris la tête de Compass en septembre 2022, quelle est votre vision du rôle de la restauration collective ?
La restauration collective a une mission d’utilité publique, ça a été flagrant pendant la Covid. De manière macro, avec une planète qui ne se porte pas au mieux, il est de notre responsabilité, en tant que gros acteur de la restauration, d’avoir un impact le plus positif possible sur l’environnement et de soutenir l’amont agricole… Nous devons être des défenseurs de notre souveraineté, de notre indépendance alimentaire.
Comment ?
Nous avons signé avec la Coopération agricole un partenariat pour développer des filières sur le bœuf et les légumineuses ; nous allons leur garantir des volumes, des prix, donc une rémunération. Par ailleurs, nous soutenons 8 projets de création de fermes, notamment dans le Calvados et l’Ille et Vilaine, auxquelles nous achèterons une partie de la production.
Mon deuxième objectif, c’est de devenir l’entreprise de restauration que les salariés souhaitent rejoindre, et là c’est un énorme challenge. Pour offrir de réelles perspectives de carrière, il faut investir dans la formation. Nous avions 1 CFA à Paris, nous en aurons 5 d’ici à la fin de l’année avec Lille, Lyon, Marseille et Bordeaux. Nous avons lancé la promotion des femmes en cuisine avec le programme Women in Food ; Céline Garcia, la cheffe exécutive d’Eurest, fait un travail remarquable pour pousser les femmes dans notre organisation. C’est très important car nous devons  casser les stéréotypes… Notre rêve, c’est de créer notre école tournée vers l’interne et ouverte sur l’extérieur.
Compass doit devenir le restaurateur à impact positif et contribuer à faire évoluer son écosystème, on en est capable. Je dis big is beautiful, parce que nous avons la force de l’action.
Et comment voyez-vous l’évolution de la restauration collective ?
Pour moi, certains secteurs ne sont pas rémunérés à leur juste valeur. Notamment le scolaire et la santé. On ne peut plus se permettre de répondre à certains appels d’offres ou de renouveler certains contrats. Egalim est arrivé, c’est très bien, mais il faut pouvoir assumer et mettre les moyens sur l’assiette. Demain, si on se désengage de l’approvisionnement français, que se passe-t-il ? Il faut être bien conscient de ça. C’est comme la loi Agec. On est dans la restauration sous contrat, donc passer à de la vaisselle en dur, c’est très bien, mais ça nécessite des investissements en équipement, des bras, des espaces, de l’eau. Ca peut se faire dès demain, mais en collaboration avec nos clients. Nous sommes tous interdépendants, donc nous devons agir collectivement.
Quelques axes de travail pour 2023 ?
Nous renforçons notre investissement dans Popote, qui compte déjà une petite centaine de clients, parce qu’on y voit un vrai intérêt et une vraie complémentarité avec Exalt et Eurest… Soit Popote est prise comme une offre permanente, pour ceux qui n’ont pas de cuisine, soit comme un complément chez les clients d’Eurest ou d’Exalt, pour les journées où ils n’ont pas ou peu de collaborateurs, notamment le vendredi où la perte de volume atteint 70%. L’offre est proposée exclusivement en région parisienne -nous y ouvrons d’ailleurs un laboratoire, avec un bail signé pour une longue durée-,  mais nous étudions des pistes sur des grosses métropoles comme  Lyon, Marseille, Bordeaux, qui disposent d’une densité de clients entreprise et santé suffisante. Il faut aujourd’hui avoir une réflexion transverse à ces segments, même dans notre organisation. Nous encourageons encore plus cette mobilité et créons les conditions pour que les collaborateurs du segment entreprises puissent, les jours creux, faire autre chose sur un autre segment.
Par ailleurs, nous continuons d’avancer avec des nouveaux chantiers sur le digital : après la mise en place du smart check out, de notre appli, Foodi, qui s’est développée sur le click and collect, le click and serve et maintenant le service à table, nous réfléchissons  comment nous pouvons utiliser au mieux la donnée pour proposer la bonne offre…
Ces chantiers réclament du personnel, comment faire pour recruter dans le contexte actuel ?
La rémunération est un élément, mais elle n’est pas suffisante. Nous avons été très mauvais, nous avons oublié de montrer à nos équipes l’importance de leur travail. Cette valorisation doit être très largement poussée : il faut qu’on arrive à donner du sens et de la fierté à nos équipes.
Propos recueillis en avril 2023
Carte d’identité de Compass
1,2 milliard d’euros (année fiscale close à fin octobre)
50 % du chiffre d’affaires réalisé sur l’entreprise et l’administration -Eurest et Exalt-, 25 % sur le scolaire, 25 % sur le médico social
Par SABINE DURAND – A retrouver en cliquant sur Source 

Source : Camille Berthaud, pdg de Compass Group France, « l’innovation en mode open source »