Depuis son ancrage bordelais, ­l’entreprise familiale est devenue le numéro un français du secteur. Le groupe a imposé ses marques dans la distribution hexagonale mais peine à rééditer ce succès à l’étranger.

Au mois d’avril prochain les linéaires s’enrichiront d’une référence supplémentaire. Un crémant de Bordeaux livré par le groupe Castel Frères. Avec l’objectif d’en écouler 200.000 bouteilles la première année en France. C’est un tout petit volume à l’échelle du groupe, qui vend plus de 600 millions de bouteilles par an. Mais l’initiative est significative de la méthode qui a fait le succès de Castel. Ce groupe de 2.500 salariés entend mettre ce vin effervescent dans la course, face à ses concurrents de Bourgogne, de Loire et d’Alsace. Il utilise pour cela trois leviers clefs : ses marques, son expertise industrielle et ses relations avec la grande distribution.

Pour lancer son crémant, Castel a en effet choisi de s’appuyer sur Malesan, une marque rachetée en 2003 à Bernard Magrez. « La troisième en volume et la quatrième en notoriété », insiste Franck Crouzet, le directeur de la communication du groupe. Connue du grand public, la marque est présente dans tous les hypermarchés de France. Quant à l’élaboration du produit, elle sera assurée par Oenoalliance, une société de négoce rachetée en 2008 qui connaît ce marché et dispose d’un bel outil de production. Né en 1947, le groupe a un poids considérable dans le vignoble bordelais. Il est de très loin le plus gros acheteur de vin en vrac dans la région, où il a la réputation de faire les prix. « Au-delà de leurs volumes d’achat, qui pèsent évidemment sur les prix, ils sont très observés par les autres acheteurs », admet Bernard Farges, président de l’AOC bordeaux.

Cette approche en trois points (marques, savoir-faire industriel et grande distribution) est à la base du succès du numéro un français et européen du vin. Né à Bordeaux, le groupe Castel Frères est rapidement sorti de son pré carré pour étendre sa présence en France. Il est devenu omniprésent dans la grande distribution dès les années 1960. L’entreprise a ensuite acquis son principal rival, la Société des Vins de France en 1992 tout en menant une série de rachats dans le négoce : Patriarche en Bourgogne, Barton & Guestier et Barrière à Bordeaux. Dans le rosé, la société a aussi créé Listel en 2014, en association avec la famille Vranken.

Le groupe s’appuie aussi sur un portefeuille garni de marques, dont la première, Roche Mazet, qui permet d’écouler à elle seule 50 millions de bouteilles par an, ou Baron de Lestac, l’anagramme de Castel. Aujourd’hui, il possède 10 centres de production et 13 d’embouteillage, non seulement à Bordeaux mais aussi dans le Languedoc, la vallée du Rhône, le Nord et le dernier à La Chapelle-Heulin, dans le vignoble nantais.

Communiquer différemment

Côté industrie, le groupe, qui revendique 15 millions d’euros d’investissement chaque année dans ses installations, va consacrer près de 100 millions à la construction d’un nouveau siège adossé à un nouveau centre de production à Blanquefort, dans son fief girondin. Celui-ci devrait sortir de terre d’ici à 2019. Le site actuel étant vieillissant, cet investissement permettra de rivaliser avec celui de son concurrent, Grands Chais de France, qui s’est doté d’un outil ultramoderne à Landiras, au sud de Bordeaux.

Alors que le marché français connaît un recul de la consommation, l’Hexagone assure encore 75 % du chiffre d’affaires du groupe (1,1 milliard d’euros dans le vin en 2016). Castel est moins fort à l’export, où se situe la croissance. Sur le marché mondial, Castel ne revendique que la 4e place. Même s’il a su prendre de solides positions en Chine grâce à un accord de distribution avec le groupe Changyu. « Nous ne réalisions que 10 % de nos revenus à l’étranger il y a quinze ans. Et cela devrait assez rapidement représenter 30 % », plaide Franck Crouzet. Le groupe Grands Chais de France peut s’appuyer sur sa marque phare, J.P. Chenet, la plus vendue dans le monde.

Castel n’a pas réussi à rééditer dans le vin ce qu’il a fait dans la bière. Un secteur où il réalise un chiffre d’affaires de 1,4 milliard d’euros grâce à une forte présence en Afrique. Avec une rentabilité sans doute bien supérieure. « Bière et vin sont deux métiers très différents. Le premier, qui se rapproche des spiritueux, est une activité de « push », avec de très gros acteurs. Le second est plus difficile car il faut faire face à une offre très abondante », plaide un ancien dirigeant.

Le groupe ne s’est guère inspiré pour le vin de son savoir-faire dans la bière. « Les deux activités restent assez étanches d’un point de vue management. Et, dans le vin, ils ont eu du mal à appréhender l’international, avec des investissements à la hauteur de ce que font d’autres acteurs », note un bon connaisseur du groupe. L’entreprise évolue néanmoins et semble désormais décidée à communiquer différemment. Elle a lancé l’an dernier à destination des marchés étrangers la marque Maison Castel. Une révolution pour un groupe qui n’avait jusqu’à présent jamais mis en avant son histoire familiale