Ces condamnations qui vont peser lourd sur les négos…Ambiance. Alors qu’une rumeur insistante évoque de prochaines assignations visant des distributeurs, la cour d’appel de Paris a rendu au début de l’été deux jugements à l’encontre de Système U et d’Auchan, pour des prestations de coopération commerciale fictives. Les condamnations interdisent sans nuance des pratiques jusqu’à présent répandues. L’analyse de Linéaires.
Dans un premier arrêt, la cour d’appel confirme le jugement du tribunal de commerce de Créteil, qui avait condamné Système U, en 2006, à rembourser 77 millions d’euros de coopération commerciale fictive à quatre grands fournisseurs (Danone, Nestlé, Yoplait, Lavazza), ainsi qu’au paiement d’une amende de 100.000 euros.
Lors de ce procès en appel, Système U contestait à la fois la valeur légale de l’assignation lancée par le ministre de l’Économie, en 2004, à l’origine de l’affaire et défendait le bien-fondé des prestations facturées. Il s’agissait, pour les années 2002 et 2003, des contrats portant sur la « diffusion du tronc d’assortiment commun » (TAC).
Pour ces deux années, Danone avait versé à U la bagatelle de 34 millions d’euros, Nestlé près de 23 millions d’euros, Yoplait 19 millions d’euros et Lavazza quasiment un million d’euros. Uniquement dans le cadre de la promotion du TAC par la centrale auprès des magasins.
La cour d’appel de Paris a confirmé la validité de l’assignation et, surtout, a fermement condamné cette facturation du TAC, enjoignant Système U de « cesser ces pratiques illicites ».
Le jugement, que Linéaires s’est procuré, est richement argumenté.
Système U présente le service TAC comme la réunion de trois composantes : la collaboration marketing entre la centrale nationale et les fournisseurs, l’aide au positionnement des produits en magasin et l’incitation à la vente des références sélectionnées auprès des commerçants indépendants du groupement.
« Collaboration marketing »
Sur le sujet de la « collaboration marketing », d’abord, les juges ont trouvé léger que le service se résume à « quelques réunions annuelles », au cours desquelles des « informations orales » étaient dispensées. Ils sont tombés de leur chaise en apprenant que les fournisseurs apportaient eux-mêmes à Système U « les données chiffrées, les orientations de marché et les études de panels ».Les études de satisfaction, réalisées par le distributeur auprès de clients de ses magasins et ajoutées au dossier, n’ont pas non plus selon la cour « force probante » car elles ne concernent pas spécifiquement le tronc d’assortiment commun.
« Aide au positionnement des produits »
S’agissant de « l’aide au positionnement des produits », les juges n’ont pas manqué d’être surpris en découvrant des témoignages d’associés U, sur le terrain, qui considèrent que « les recommandations données par la centrale restent très générales ». Ces mêmes propriétaires de magasins préférant finalement s’en remettre « aux rencontres directes avec les fournisseurs, dont les analyses sont plus fines, précises et actualisées ».
« Incitation à la vente »
Les mesures « d’incitation à la vente », censées pousser les magasins à commander les produits référencés au TAC, n’ont pas davantage convaincu les juges. Le fait que Système U garantisse une présence permanente des produits du TAC en entrepôt et que leur liste soit diffusée à travers les cadenciers peut difficilement être considéré comme allant au-delà des simples obligations d’achat et de vente.La cour s’étonne également que « la mise en place de nouveaux produits » fasse l’objet d’une facturation distincte du TAC, de même que « la diffusion des fiches descriptives » de ces nouveautés.
« Le service TAC ne correspond à rien »
Dans leur conclusion, les juges n’y vont pas par quatre chemins : « le service TAC ne correspond à rien et il est par conséquent fictif ; la centrale Système U ne peut demander aux fournisseurs de payer un service qu’ils fournissent eux-mêmes ».La cour est restée sourde, au passage, aux arguments du distributeur portant sur l’accord exprimé par les industriels et leur satisfaction du service rendu, alors que leur taille leur permettait de résister assez facilement à la pression. »Les attestations de ces fournisseurs n’apparaissent pas spontanées », nuancent les juges, qui estiment aussi que la perte d’une centrale nationale, même avec « une part de marché relativement peu importante », représente toujours un risque.Quant à la croissance du chiffre d’affaires des quatre fournisseurs en 2002 et 2003, avancée par Système U pour donner de la valeur à sa prestation, les juges l’expliquent surtout par la progression des surfaces de l’enseigne sur la période. Une progression qui elle-même fait l’objet d’une facturation distincte, ajoute malicieusement la cour, dans le cadre des « opérations promotionnelles d’ouverture et de réouverture ».
Distinction claire entre coopération commerciale et CGV
S’agissant des prestations de « convention de service de paiement centralisé », « convention de service centrale groupe », « convention de service diffusion et cooptation des assortiments », « fournitures des relevés des prix de vente », la cour estime qu’elles font doublon avec la rémunération des « prestations centrale » déjà prévue dans les conditions générales de vente du fournisseur.
Les mêmes CGV intègrent également le paiement d’un « service de création d’événement promotionnel », qui n’empêche pas Eurauchan de facturer à part des « prestations commerciales suivant contrat », « mises en avant sur gamme locale », « tête de gondole », « animation externe au rayon », « OPE terroir », « gamme locale gamme festive », etc.
Les juges reprochent à Auchan un manque global de précision des prestations facturées, une absence de dates et de détails qui auraient permis d’établir des distinctions entre les services déjà prévus dans les CGV et la coopération commerciale venant en sus.
Dans son arrêt, la cour en conclut qu’Eurauchan n’est pas en mesure de prouver que les prestations facturées sont distinctes des CGV, ni même qu’elles ont effectivement été réalisées, alors que cette responsabilité lui incombe.
Auchan a donc été condamné à rembourser à la PME les 800.000 euros de coopération commerciale qu’elle avait versés.
Ces deux arrêts de la cour d’appel de Paris peuvent encore être cassés à l’occasion d’un pourvoi en cassation. Mais, en l’état, cette jurisprudence fait peser une menace sérieuse sur les négociations annuelles pour 2017, alors même que les amendes, depuis la loi Macron, peuvent être portées à 5% du chiffre d’affaires des enseignes. Car les pratiques qui ont été condamnées cet été sont loin d’être spécifiques à Auchan ou Système U.