
Eaux minérales : cinq questions sur la microfiltration, un procédé controversé
Nestlé Waters a été sommé de retirer, dans le Gard et les Vosges, certains procédés de microfiltration de ses usines d’eaux minérales. Autorisée dans certains cas, elle est interdite quand il s’agit de supprimer des microbes.
Nouveau coup dur pour Nestlé Waters. Alors que la filiale du groupe suisse avait obtenu l’autorisation de mettre en place des systèmes de microfiltration dans les Vosges et dans le Gard à la place de traitements interdits pour ses eaux minérales naturelles, les préfectures des deux départements enjoignent désormais à l’entreprise de les retirer d’ici début juillet. Relançant le débat autour du flou juridique français et européen.
1. Qu’est-ce que la microfiltration ?
La microfiltration est, comme son nom l’indique, un process qui permet de séparer un fluide – de l’eau, du lait, etc. – ou un gaz d’éléments indésirables, comme certains minéraux, micro-organismes, etc. Le fonctionnement est, peu ou prou celui d’un filtre à café. On parle de microfiltration quand la membrane utilisée retient des éléments de 0,1 à 10 micromètres. En fonction du niveau de microfiltration retenue, l’eau est plus ou moins purifiée.
2. A quoi sert la microfiltration dans le traitement de l’eau ?
La microfiltration n’est pas utilisée dans le traitement des eaux potables distribuées par les circuits de distribution en France. En effet, celle-ci est principalement traitée par ozonation, filtration sur charbon actif et par chloration, ce qui permet d’éliminer les bactéries, pesticides et autres composants indésirables.
En revanche, la microfiltration est intéressante dans la mesure où, à certains niveaux, elle permet de « faire le tri » entre les composants que l’on veut filtrer et d’autres que l’on veut laisser intacts. Dans le cas des eaux minérales naturelles, définie par la réglementation européenne par « sa teneur en minéraux » et « sa pureté originelle », elle peut être utilisée pour « la séparation des éléments instables », notamment le fer et le soufre, et « des constituants indésirables », comme l’argile.
3. Que dit la réglementation ?
La directive européenne de 2009 « relative à l’exploitation et la mise dans le commerce des eaux minérales naturelles » renvoie aux Etats membres la réglementation des procédés autorisés dans l’embouteillage de ces eaux. Elle proscrit seulement, sans les préciser, les procédés qui modifient « la composition de l’eau quant aux constituants essentiels qui lui confèrent ses propriétés ».
En France, il n’existe pas, à ce jour, de réglementation précise sur la microfiltration de l’eau, notait un rapport sénatorial du Sénat en octobre 2024. « Le changement de doctrine de février 2023 permet une coupure inférieure à 0,8 micron sans fixer de seuil limite » et « reporte l’examen de la licéité de la microfiltration sur les services de l’Etat chargés de l’instruction des autorisations d’exploitation », à savoir les préfectures.
A noter toutefois, « le seuil de 0,8 micron prévalait jusqu’en 2023 » et reste le plus souvent utilisé. Toutefois, il « n’a pas été déterminé de manière générale par les autorités », précise le rapport, et « a fait l’objet d’une interprétation extensive ». Ainsi, en 2023, la direction générale de la santé a identifié 26 installations sur 146 avec une microfiltration inférieure à 0,8 micron.
4. Qu’est-il reproché à Nestlé Waters dans cette affaire ?
En 2021, Nestlé Waters a reconnu auprès des autorités avoir utilisé des traitements interdits – ultraviolets et filtres à charbon actif – dans ses usines d’embouteillage. Si ces procédés de désinfection ne sont pas dangereux, puisqu’au contraire, ils rendent l’eau potable, ils sont interdits pour les eaux minérales naturelles dans la mesure où ils contreviennent au principe de maintien de la « pureté originelle ».
Après accord des autorités, l’entreprise a donc remplacé ces traitements par une microfiltration de 0,2 micron. Or, selon la direction générale de la Santé de la Commission européenne, « on ne peut exclure le risque d’une modification du microbisme » de l’eau avec un tel procédé, qui n’est donc « pas conforme à la législation européenne ». Nestlé Waters le conteste, et estime qu’une microfiltration à cartouche – le procédé utilisé à Vergèze – a le même impact qu’un filtre céramique à 0,8 micron, largement utilisé par le reste de l’industrie.
En conséquence, Nestlé Waters vient d’être sommé par la préfecture des Vosges (Contrex et Hépar) et celle du Gard (Perrier) de retirer de ses usines ces procédés de microfiltration avant début juillet. Si « une solution technique est identifiée pour le site des Vosges et doit faire l’objet d’une validation par les autorités », l’entreprise a indiqué ne pas encore avoir de solution discutée avec les autorités pour la source Perrier.
5. Qu’en est-il dans le reste de l’Europe ?
Selon le rapport sénatorial d’octobre 2024, l’Espagne autorise la microfiltration jusqu’à 0,4 micron, estimant que cela ne modifie pas le microbisme naturel de l’eau. A l’inverse, l’Allemagne proscrit totalement cette pratique. « La Belgique, l’Irlande et la Suisse ont fait part de difficultés similaires à celle de la France », relève en revanche la commission du Sénat et demande à Bruxelles de clarifier le cadre européen.
Paul Turban