La fièvre du « quick commerce » gagne la France

Elles sont britanniques, allemandes, turque ou françaises, et veulent révolutionner la distribution : les start-up de livraison de courses en moins de quinze minutes débarquent en nombre à Paris et dans l’Hexagone, armées de gros moyens financiers. La consolidation du secteur paraît inévitable.

Ce pourrait être le pas-de-porte d’un manutentionnaire ou d’un expert de la logistique. A l’entrée : ni enseigne ni vigile, mais des livreurs à deux-roues en pause, le casque à portée de main. A l’intérieur : des néons, une chambre froide, des étagères sur lesquelles s’entassent des centaines de produits de grande consommation. Bienvenue dans l’un des « dark stores » de Frichti, à Levallois-Perret, dans l’Ouest parisien. L’une des bases arrière du « quick commerce », la livraison de courses à domicile en moins de quinze minutes.

Après avoir démarré dans la livraison de repas, Frichti s’est lancé il y a deux ans et demi dans ce nouveau segment de marché à la promesse spectaculaire : vous livrer, chez vous, vos courses dans un temps quasi immédiat après le passage de la commande. « Nous avions un réseau de producteurs, la plateforme, le savoir-faire du dernier kilomètre… c’était évident pour nous », se rappelle Julia Bijaoui, cofondatrice et dirigeante de la start-up.

Avec 400.000 clients depuis ses débuts, 18 « dark stores » à Paris – des supermarchés sans clients où des opérateurs préparent les commandes – et des implantations à Lyon, Bordeaux, Lille et prochainement Bruxelles, la jeune pousse française se présente en leader de son marché, sûre de son modèle et des perspectives qu’offre la livraison de courses à domicile. Sauf que Julia Bijaoui le reconnaît elle-même : dans les prochains mois, « ça va être la guerre ».

« C’est devenu de la folie »

Gorillas, Flink, Cajoo,Dija, Kol ou, depuis peu, Getir : en l’espace de quelques mois, les professionnels du « quick commerce », dont beaucoup ont moins d’un an d’existence, ont débarqué en nombre à Paris. Les affiches ont soudainement fait leur apparition sur les bus et dans les métros, les livreurs se sont multipliés sur les pistes cyclables et de nouveaux « dark stores » ouvrent chaque semaine. L’embouteillage rappelle la bataille des trottinettes électriques, quand ces dernières avaient subitement proliféré sur l’espace public, en 2018.

« Personne n’y croyait au départ et en six mois, tout a changé, c’est devenu de la folie », s’étonne encore Yacine Ghalim, qui a participé, via le fonds Heartcore Capital, au premier tour de table du britannique Weezy. Boudé il y a encore un an par les hedge funds et les fonds de capital-risque, le secteur s’est soudain trouvé abreuvé de capitaux – plus de 2 milliards d’euros ont été levés depuis le début de l’année – et commence à inquiéter la grande distribution, qui ne peut pas suivre.

« C’est le ‘next level’, nous sommes plus rapides que le consommateur. Même si vous avez un supermarché en bas de chez vous », avance le PDG fondateur de Getir, Nazim Salur. La société turque, lancée dès 2015 et valorisée 7,5 milliards d’euros, bat le pavé parisien avec ses scooters électrifiés violets depuis mardi. C’est un peu elle qui, avec l’américain GoPuff, a trouvé la recette gagnante du « quick commerce ».

« Sonner et livrer chez le consommateur prend une à deux minutes. Donc, nous devons préparer la commande en deux minutes et être à sept minutes de chez lui » pour livrer en dix minutes – en passe de devenir le nouveau standard du secteur -, résume le dirigeant. Une performance qui implique un maillage géographique très fin (d’où la multiplication des « dark stores ») et un catalogue resserré autour de l’« ultra convenient » d’environ 1.200 références. Sans oublier les flottes de vélos ou de scooters, les livreurs, les préparateurs de commande, les frigos, le progiciel de gestion de commandes…

« Dans six mois, on va voir les premiers dégâts »

La marge, elle, se fait sur l’achat-revente. La plupart des acteurs du « quick commerce » s’adressent directement aux marques, sans passer par les centrales d’achats. Leurs tarifs sont alignés sur le commerce de proximité, tandis que les coûts de la livraison sont atténués par des frais, de l’ordre de 2 euros par commande. De quoi permettre aux plus rodés, comme Getir ou Frichti, d’être rentables opérationnellement sur certains de leurs « dark stores ». Pour le reste, tous l’accordent : il va y avoir des morts.

« La boîte qui vous dit qu’elle est profitable vous ment. Actuellement, c’est la politique de la terre brûlée, ce qui compte c’est de gagner des parts de marché, observe Yacine Ghalim. Certains acteurs sont extrêmement agressifs, or l’expansion coûte très cher. Sans être très bien capitalisé, impossible de suivre. »

« Ils n’arrivent pas en terrain conquis et s’attaquent à des groupes milliardaires, il faut remettre l’église au centre du village. Les actifs sont lourds, ils n’ont pas de centrales d’achats, la marge est extrêmement limitée et il y a énormément de concurrence… Il y en a beaucoup qui vont se ‘taper l’affiche’. Dans six mois, on va voir les premiers dégâts », abonde le patron de l’épicerie en ligne La Belle Vie, Paul Lê.

Consolidation

Beaucoup imaginent de la place pour deux, trois voire quatre acteurs bien préparés et dotés d’une offre différenciante : un niveau de prix compétitif comme chez Getir ; des marques françaises en exclusivité comme chez Cajoo ; des références plus qualitatives comme chez Frichti… L’exécution va être déterminante.

« Ils vont devoir maîtriser les approvisionnements, nouer des relations avec les marques… Certains sont sérieux, d’autres sont des amateurs, par exemple sur la gestion des stocks. Il y a, le soir, des poubelles bien remplies devant certains ‘dark stores’ », note Matthieu Vincent, cofondateur de DigitalFoodLab.

La consolidation du secteur paraît donc inévitable, bien que les niveaux de valorisation, très élevés, pourraient constituer un frein… aussi bien pour les start-up que pour les poids lourds de la distribution. Ces derniers n’ont pas encore enclenché la réplique mais observent de très près ces nouveaux acteurs. Tout va décidément très vite dans le « quick commerce ».

Article de Basile Dekonink – A retrouver en cliquant sur Source

Source : La fièvre du « quick commerce » gagne la France | Les Echos