Le « no-low » prend ses quartiers en terrasse

Le « no-low » prend ses quartiers en terrasse

Les spiritueux sont le segment le plus dynamique en matière de sans alcool.

© Nutcha – stock.adobe.com

La sobriété gagne du terrain dans l’Hexagone. Désormais ancrée dans les habitudes des consommateurs, la bière sans alcool a défriché le marché tandis que les spiritueux montent rapidement en puissance et que le vin progresse pas à pas.

C’était il y a presque un demi-siècle. Un apéritif sans alcool avec « moins d’une calorie par verre ». Cette promesse de Pernod Ricard, c’est Pacific, pionnier des désormais très en vogue boissons « no-low ». Quand le groupe de spiritueux lance cet anisé 0°, l’offre « no alcohol ou low alcohol » – c’est-à-dire sans ou avec peu d’alcool -, n’existe pas dans l’Hexagone. Les Français consomment alors 18,5 litres d’alcool par an et par personne, selon l’OCDE. Si le chiffre est considérable, il masque une spectaculaire décrue. En 1961, il s’élevait à 26 litres pour atteindre 11,7 en 2017. Et depuis ? La baisse se poursuit. Dry January, peur du gendarme, santé…, les consommateurs lèvent moins volontiers le coude. Voire plus du tout. Ainsi, d’après le baromètre Sowine-Dynata 2023, 15 % des Français déclarent ne pas consommer d’alcool. Une tendance particulièrement forte chez les jeunes : parmi ces abstinents, 23 % ont entre 18 et 25 ans.

« C’est une vraie tendance de fond, avec un attrait croissant pour les produits de substitution à l’alcool durant les moments de consommation festifs », confirme Camille Delettrez, directrice marketing chez C10. Même sonde cloche chez Richard : « C’est une tendance de consommation qu’il faut adresser, un signal faible qui mérite d’être transformé en dur », observe Laurent Lacluque, directeur de l’offre. Et pour cela, il faut proposer des boissons à la hauteur des attentes, les partisans de la sobriété ayant longtemps jugé l’offre de « soft » maigrelette et peu qualitative. En 2022, Augustin Laborde a lancé à Paris (19e ) Le Paon qui boit, la toute première cave sans alcool forte de 200 références de bières, vins et spiritueux 0,0 %. Un an plus tard, la boutique en propose le double, principalement des productions artisanales. « Les femmes enceintes, les personnes souffrant de problèmes de santé et les musulmans constituent une importante partie de la clientèle. Mais nous avons aussi beaucoup de “flex-buveurs”, des 25-35 ans qui travaillent, ont des enfants et ne peuvent plus boire autant qu’avant » , détaille Augustin Laborde. Fort de son succès, l’entrepreneur a lancé en septembre son concept en franchise avec l’ambition de s’implanter à terme dans les 42 villes françaises de plus de 100 000 habitants. Si Le Paon qui boit privilégie les productions craft, les grands industriels ont depuis plusieurs années senti le potentiel de ce marché. Objectif : élaborer des boissons peu ou pas alcoolisées offrant des qualités organoleptiques à même de satisfaire les palais les plus exigeants.

Pain bénit pour les industriels

« La tendance a été principalement lancée par les brasseurs », rappelle Camille Delettrez. Les premières références 0,0 % ont été lancées par deux des grands industriels du secteur. À commencer par Kronenbourg avec Tourtel Twist en 2015, suivi par Heineken avec une classique sans alcool en 2017. Puis, en 2020, le groupe néerlandais amis sur le marché ensuite deux déclinaisons de Desperados 0.0. Le succès ne se fait pas attendre : dès 2021, le segment 0.0 du groupe Heineken enregistre une croissance de 23 % en valeur, tous circuits de distribution confondus. Son concurrent n’est pas en reste : le chiffre d’affaires de Tourtel Twista bondi de 18,3 % l’an passé en grande distribution selon NielsenIQ. Et d’après Kantar, la marque aurait conquis la même année 800 000 foyers. Aujourd’hui, la plupart des grands groupes comme AB Inbev et Carlsberg leur ont emboîté le pas. La gamme du segment sans alcool se décline désormais en bio, bière d’abbaye, IPA, stout… Des innovations, comme la technologie de désalcoolisation par évaporation à froid permettent de conserver les qualités organoleptiques et de séduire de vrais amateurs de bière désireux de limiter leur consommation d’alcool.

Le secteur CHR, qui cherche à diversifier et faire monter en gamme son offre de soft, s’intéresse de près à ces nouveaux produits. « Beaucoup de restaurateurs demandent de la bière sans alcool », confirme William Gauci, ex-ambassadeur spiritueux chez Metro aujourd’hui responsable de l’univers sec et non food du grossiste. Malgré l’engouement des consommateurs pour les produits craft, ce nouveau débouché profite d’abord aux industriels. Et pour cause. « Peu de brasseries artisanales en proposent pour le moment », poursuit-il. Dotés de moyens limités, les petits acteurs ont en effet mis du temps à prendre le virage. Mais les nouvelles références commencent à fleurir, comme chez Terre de bières qui lance une blanche, une ambrée et une IPA à 0,3 % grâce à la distillation sous vide, ce qui leur permet d’intégrer la catégorie des sans-alcool. « Cela a été un investissement important et deux années de recherche pour intégrer et maîtriser en interne cette nouvelle technique », explique-t-on du côté de la marque rhodanienne. Lz jeune pousse grenobloise Edmond, née en 2017, a, elle, lancé, quatre références 0.0 artisanales et bio. La phase de commercialisation en RHD est cependant difficile pour ces petits acteurs. « Ils ne proposent généralement pas de format CHR – le tirage pression avec des fûts de 20 ou 30 litres -, ce qui constitue un frein », note Camille Delettrez. Une situation qui pourrait bien changer. La croissance du segment ouvre sans conteste des opportunités : sur les douze derniers mois, le sans-alcool a progressé de 17 % en valeur et 11 % en volume, avec une hausse de 10 % des points de vente le proposant chez les adhérents C10. Il représente aujourd’hui 0,4 % de la catégorie bière.

L’offre pléthorique de spiritueux

Mais du côté des no-low, la catégorie la plus dynamique est aujourd’hui celle des spiritueux. Chez C10 toujours, le chiffre d’affaires du segmenta bondi de 92 % sur les douze derniers mois et le nombre d’établissements en proposant a crû de 42 %. Sur ce marché aussi, l’offre est pléthorique. Gin Botaniets, tequila Fluere, whisky Lyre’s, rhum Sober spirits… « Le segment est en effervescence avec des lancements toutes les semaines, mais il faut faire un travail de tri », souligne Laurent Lacluque. Pour des questions d’intérêt gustatif mais aussi de débouchés. « Nous avons démarré trop vite, trop fort, avec des références pointues comme JNPR, poursuit-il. Il faut des marques fortes qui vont acculturer le marché à ces goûts et saveurs. »

Sans surprise, Pernod Ricard et Bacardi Martini sont les locomotives de la catégorie. Le premier avec, entre autres, Suze et Cinzano, additionnés de tonic et déclinés en cocktail prêt-à-boire; le second avec Martini Vibrante et Martini Floréale. Des marques que Richard diffuse largement auprès de ses clients sans expertise bar, précise-t-il. C10 suit la même stratégie. « Les grands groupes ont la caution de la marque, la force de l’entreprise avec des éléments de communication qui aident à la compréhension de l’offre parle consommateur et parle client » , argue Camille Delettrez. Pour l’instant, seuls les mixologues des bars à cocktails et établissements haut de gamme manient au quotidien les spiritueux craft confidentiels. En utilisant tout leur talent pour offrir des boissons premium. « Le coût de ces produits sans alcool est équivalent aux spiritueux classiques. Il faut savoir les valoriser à travers des recettes de mocktails et une scénarisation pour créer une véritable expérience de dégustation », observe Laurent Lacluque.

Outre les spiritueux, Pernod Ricard propose une dizaine de marques devin sans alcool. La catégorie, là encore, n’est pas nouvelle. La première technique de désalcoolisation a été élaborée par un vigneron allemand Carl Jung en… 1908 ! Depuis, le secteur multiplie les expérimentations pour préserver les arômes et la texture du vin : osmose inverse, distillation… L’offre se diversifie et monte en gamme. Pour mieux se faire entendre, la filière s’est structurée en lançant en septembre le Collectif du vin no-low, rassemblant les acteurs de la vigneau verre. Membre de l’association, la marque Moderato créée en 2021 s’est initialement lancée avec des produits à 5° puis a opté pour le 0°, tout en travaillant sur la qualité de l’aromatique. « Notre cœur de cible, ce sont les 30-45 ans avec une consommation raisonnée, les amateurs devin mais pas au sens de connaisseurs. Les “flexitariens de l’alcool”, en somme », explique Sébastien Thomas, cofondateur de Moderato. Le vin 0.0 commence à trouver son public. Les bouteilles de rouge, blanc, rosé et effervescents désalcoolisés représentent désormais près de la moitié des ventes de Gueule de Joie, site d’e-commerce spécialisé dans le no-low.

La difficulté des vins 0° en CHR

Mais la pénétration du marché CHR est plus difficile. En 2021, Richard a même supprimé l’unique référence qu’il proposait. « Nous n’avons pas d’offre devin sans alcool, car nous ne sommes pas convaincus parles profils gustatifs », justifie Laurent Lacluque. Camille Delettrez se montre plus nuancée : « Nous sommes pris entre deux feux car nous devons proposer une offre responsable mais aussi qualitative. Il existe une offre importante mais les amateurs devin ne sont pas convaincus. On commence cependant à en trouver qui sont bien réalisés, comme ceux de la marque Artis. » Le chiffre d’affaires du segmenta progressé de 21 % sur les douze derniers mois chez C10, mais le sans-alcool ne représente pas plus de 0,02 % de la catégorie vin. Moderato compte sur son nouveau produit premium baptisé Révolution pour séduire les restaurateurs. « Nous irons par étapes en nous implantant d’abord dans des établissements emblématiques, comme les étoilés, les restaurants proposant de la cuisine progressiste… Puis nous espérons faire tache d’huile en nous faisant référencer chez les grossistes, au sein des chaînes », avance Sébastien Thomas. Un pari impossible ? Loin delà. « Chez Metro, nous comptions arrêter certaines références de vin sans alcool puis la demande a augmenté, constate William Gauci. L’année prochaine, nous étofferons la gamme. »

Par OPHÉLIE COLAS DES FRANCS – A retrouver en cliquant sur Source

Source : Le « no-low » prend ses quartiers en terrasse