Les artisans boulangers bousculés par les industriels
Les nouvelles habitudes alimentaires et la baisse de la consommation de pain pèsent sur l’activité des boulangeries.
Les boulangeries sont-elles en train de devenir une espèce en voie de disparition ? La question, volontairement provocatrice, peut se poser au regard du dernier baromètre des défaillances d’entreprises publiées par la société Altarès : dans le secteur agroalimentaire, un tiers des sociétés placées en liquidation ou en redressement judiciaire au premier trimestre 2017 sont des boulangeries-pâtisseries.
Avec 367 entreprises touchées, ce chiffre est en hausse de 15% et au plus haut depuis 2013, alors même que le nombre total de défaillances a baissé de 4% en France entre janvier et mars. Depuis quatre ans, près de 1.200 boulangeries « défaillent » chaque année – sur un total de quelque 32.000 établissements en 2016 (lire encadré ci-dessous). « Il s’agit de structures essentiellement indépendantes de petite taille, dont près d’une sur deux est âgée de moins de six ans », analyse Thierry Million, directeur des études chez Altares.
Une consommation plus diversifiée
Il ne s’agit pourtant pas d’une crise des vocations. Un nombre équivalent de boulangeries-pâtisseries ouvrent chaque année, et le solde net a même été légèrement positif en 2016 (304 créations d’entreprises), selon l’Institut Supérieur des Métiers. Mais le taux de mortalité interpelle. Première explication : beaucoup d’entrepreneurs n’ont pas les reins assez solides pour gérer « les trous d’air d’exploitation quand l’activité se rétracte », poursuit Thierry Million. Un phénomène bien identifié par la Confédération nationale de la boulangerie-pâtisserie française (CNBPF). « La solidité des dossiers de repreneurs est trop souvent mal évaluée par les banques », regrette Philippe Maupu, son secrétaire général, pour qui « un bon boulanger doit aussi être un bon gérant d’entreprise ».
Or celui-ci doit s’adapter à une consommation de pain qui décline inexorablement : en 2015, chaque Français mangeait 120 grammes de pain par jour, selon l’Association nationale de la meunerie française. Soit 30 grammes de moins qu’en 2003 et trois fois moins qu’en 1950 ! Et la traditionnelle baguette, star incontournable, se retrouve de plus en plus concurrencée par les pains bio, sans gluten ou intégrant différents types de graines et de céréales, qui se développent avec la vague des nouvelles habitudes alimentaires. Ainsi, 40 % des Français affirment consommer 5 à 10 types de pains différents régulièrement, d’après un sondage de l’institut QualiQuanti.
Le poids des acteurs industriels
Les besoins d’approvisionnements en matières premières s’élargissent d’autant plus, tandis qu’ « un artisan seul peut avoir du mal à multiplier les séries de produits », explique Philippe Maupu. Ce qui favorise les plus gros acteurs, que ce soit la grande distribution, dont le rayon pains est l’un des plus dynamiques (+ 4,5 % de croissance selon Kantar), et dont certaines enseignes ont créé leur propre filiale de boulangerie industrielle, comme les Mousquetaires (Intermarché) ; ou les chaînes spécialisées, comme Marie Blachère, La Mie Câline, Kayser, Boulangerie Louise, qui se multiplient comme des petits pains, en particulier dans les villes moyennes. « Ces structures ont davantage de moyens qu’un petit artisan pour fabriquer un large éventail de pains spéciaux, même sur de petits volumes, et coller aux nouveaux modes de consommation », explique Matthieu Labbé, le délégué général de la Fédération des entreprises de boulangerie (FEB), qui rassemble les industriels du secteur.
Avec un chiffre d’affaires de 8,5 milliards d’euros, la boulangerie industrielle pèse près de 45 % du marché des pains, viennoiseries et pâtisseries. Mais, artisans comme industriels, tous redoutent en choeur une même menace : l’envolée des prix du beurre. Ingrédient indispensable, celui-ci a vu le prix à la tonne passer de 2.450 euros il y a un an à… 5.200 euros aujourd’hui. « Les perspectives présagent toujours plus de difficultés. Beaucoup d’entreprises seront en difficulté dans les prochains mois, au milieu d’une indifférence relative », s’alarme la FEB.
Les petites boulangeries rurales les plus touchéesSi le nombre d’emplois dans le secteur de la boulangerie a progressé de 2 % entre 2015 et 2016, selon AG2R, à 125.654, cette hausse cache une situation contrastée, comme l’illustrent les chiffres des défaillances d’entreprises. La moitié de celles-ci concerne des sociétés sans salarié et la CNBPF constate « une plus grande fragilité des entreprises rurales par rapport aux urbaines ». Les premiers touchés sont les boulangers de village, qui subissent la baisse d’activité, tandis que les sociétés plus grandes sont les principaux pourvoyeurs d’emplois.
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Source : Les artisans boulangers bousculés par les industriels