Au début des années 1900, la France recensait 500 000 bars-cafés. Dans les années 1960, elle en comptait 200 000. En 2014, on dénombrait sur le sol national 34 669 bistrots exactement
Nous avons déjà évoqué à ce micro, il y a quelques semaines, les mutations et le risque de la fin de la fête. Alors pardonnez-moi d’en remettre une couche, mais l’avenir n’est pas rose et il importe de regarder en face les lueurs de la réalité.
Au début des années 1900, la France recensait 500 000 bars-cafés. Dans les années 1960, elle en comptait 200 000. En 2014, on dénombrait sur le sol national 34 669 bistrots exactement. Dans cette ère pré-Covid, 500 disparaissent chaque année, en moyenne. Pourtant, ce n’est pas grand-chose, un bistrot. Comme le disait Maurice Frot, dans son roman Nibergue, publié en 1969 : « C’est rien : quatre chaises, un guéridon. Ou les copains qu’on y retrouve. » Et dans cette hécatombe terrible, comme toujours : nous ne sommes pas tous égaux. La banlieue et la couronne des pôles urbains sont les plus frappées.
Comment l’expliquer ? Par la diminution du nombre d’ouvriers, qui avaient la culture du café. Par la concurrence des fast-food, qui font de l’ombre aux établissements anciens. Mais également par un phénomène de désertification plus général. Comme l’explique Pierre Boisard, sociologue et auteur de La vie de bistrot, un ouvrage paru aux Presses universitaires de France (PUF).
Dans le même temps, comment expliquer, que des régions résistent mieux ? Bien sûr, et cela va de soi : elles ont pour elles leur dynamisme, leur densité, leur population plus jeune et plus étudiante, au revenu plus aisé. Mais également la plus petite taille des appartements, qui incite à sortir, à mettre le nez dehors. Enfin, la tendance des bars et des bistrots urbains à innover, à inventer de nouveaux concepts. Que l’on pense aux bars à chats, aux bars sans lumière, aux cafés convertis en espaces de travail (on peut d’ailleurs se demander jusqu’où le concept peut être dévoyé). Alors évidemment, depuis la pandémie, tout s’est encore empiré. Pierre Boisard explique que même la réouverture des bistrots n’a pas permis de renouer avec leur esprit, leur convivialité.
Alors, rappelons d’un chiffre que tout le monde ne fréquente pas les bistrots. En 2018, 40% des Français disaient n’avoir fréquenté aucun bar près de chez eux ou de leur travail au cours de l’année. Mais tout de même. Ces lieux doivent être sauvés car ils sont des espaces uniques de rencontre et de débat. Parfois même, lorsque l’alcool ne rend pas triste, des lieux de civilité.
« Le bistrot est utile à un dialoguiste, mais il y a un risque : l’alcoolisme. » Audiard-père avait raison. Mais il ne s’inquiétait sans doute pas lui-même des paroles proférées par ses personnages. Alors, comme le sociologue, continuons d’idéaliser le bistrot, ses pratiques, ceux qu’on y retrouve et ceux qu’on y rencontre, ce qui s’y picole et ce qui s’y bouffe, ce qui s’y joue et ce qui s’y chante. Partout, même dans les coins les plus pourris.