L’inégale santé des entreprises agroalimentaires face aux effets de l’inflation
L’inflation générale s’essouffle. Les prix de l’alimentation tendent à la baisse, mais sans relancer la consommation. Les entreprises agroalimentaires ont diversement traversé la crise provoquée par le Covid, puis la guerre en Ukraine. Le bilan est très hétérogène.
L’inflation est retombée à moins de 2 %. L’emballement des prix alimentaires (23 % au plus fort) s’est arrêté, et les distributeurs parlent même de déflation légère. Et pourtant, les Français gardent le pied sur le frein lorsqu’ils font les courses. Les volumes d’achat continuent de baisser.
Un sujet d’inquiétude pour les entreprises agroalimentaires, dont les trésoreries ont été mises à mal par les hausses de coût de production et qui cherchent à retrouver de la compétitivité. « Les hausses très excessives des prix de l’énergie, de 1 à 4, ont été extrêmement préjudiciables. Elles ont plombé les entreprises », déplore Jean-François Loiseau, élu à la présidence de l’Association nationale des industries agroalimentaires (l’Ania) le 20 juin. « Nous sommes sortis de ces excès, mais nous aimerions plus de stabilité et de visibilité à l’avenir. »
Bien qu’ayant subi les mêmes effets de la crise liée au Covid puis à la guerre en Ukraine, il est difficile de dresser un bilan de santé commun à l’industrie agroalimentaire française. Les entreprises du secteur sont en effet loin d’être toutes logées à la même enseigne du fait de leur très grande hétérogénéité de profil. La France en compte 20.000, de la très petite unité qui emploie moins de 10 salariés à quelques très grandes sociétés internationalisées qui ne représentent que 2 % d’entre elles.
Des chocs multiples
Au total, « une petite entreprise n’a ni les marges de manoeuvre ni l’agilité d’un grand groupe en cas de crise pour se recentrer sur une partie de ses produits ou pour privilégier certains marchés », fait remarquer Vincent Chatellier, économiste de l’Inrae (Institut national de recherche sur l’agriculture, l’alimentation et l’environnement). De la même façon, un groupe très spécialisé subira plus fortement les conséquences de l’effondrement d’un débouché « comme on l’a vu dans le cognac pour Rémy Cointreau avec la Chine », poursuit le chercheur. Une ETI spécialisée aura plus de difficultés à encaisser l’extrême volatilité des prix du cacao, ou les difficultés d’approvisionnement en jus d’orange suite aux vagues de sécheresse au Brésil.
Dans le cas de l’industrie laitière, note le Crédit Agricole, « les niveaux de rentabilité varient considérablement, avec des difficultés à les maintenir pour certains, tandis que d’autres ont tiré profit de leur développement à l’international ou des cours haussiers des ingrédients laitiers ». Cela étant, « les marges industrielles sont impactées par le prix plus élevé du lait en France que dans les pays voisins et les problématiques de compétitivité entre la France et les autres européens sont bien visibles ». A cela s’ajoutent la hausse des coûts salariaux et des difficultés de recrutement.
Fermetures
S’agissant des industriels de la viande, le Crédit Agricole note « des évolutions très variables », entre les spécialistes du porc et ceux de la viande bovine. L’établissement bancaire pointe « deux années difficiles préjudiciables à la filière porcine , en particulier au maillon charcutier-salaisonnier, qui a enregistré un record de défaillances en 2023. Les prix de l’amont ont connu des sommets, la crise de consommation a amené les consommateurs à arbitrer leurs achats en volume et en valeur et la pression a été très forte sur les prix. »
« Les prix des bovins ont connu des sommets sur l’année 2023 », impactant fortement le chiffre d’affaires de certaines entreprises. Pourtant, faute d’un nombre suffisant d’animaux à abattre, les entreprises de transformation, ainsi devenues surcapacitaires, rencontrent des difficultés. Certains abattoirs ne travaillent désormais plus que trois jours par semaine… D’autres, quatre. Près d’un abattoir sur cinq en France est « en situation difficile », selon le ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire. D’ici deux à trois ans, près de 30 % (40 sur un total de 230) pourraient avoir fermé, disait-on, il y a quelques mois, rue de Varenne.
« La demande a été forte en volaille et oeufs et le restera à l’avenir », selon le Crédit Agricole. Ce sont des protéines animales peu chères, jugées saines, sans interdits religieux, faciles à cuisiner, neutres en texture et en goût. Les prix de vente ont été favorablement impactés par ce succès en rayon, avec des conséquences potentiellement haussières sur les marges dégagées par les industriels.
Marie-Josée Cougard