Par rapport à fin 2019, les achats de biens ont reculé de 4 %, observe Rexecode. Une baisse qui concerne tous les segments, que ce soit le textile (-8 %), l’alimentation (-5 %) ou l’automobile (-5 %).

L’inflation recule mais la consommation patine : comment expliquer la réticence des Français à dépenser ?

Par rapport à fin 2019, les achats de biens ont reculé de 4 %, observe Rexecode. Une baisse qui concerne tous les segments, que ce soit le textile (-8 %), l’alimentation (-5 %) ou l’automobile (-5 %). Irina Schmidt / stock.adobe.com

DÉCRYPTAGE – Malgré un pouvoir d’achat en légère amélioration, la consommation des ménages ne suit pas, tandis que leur moral se dégrade. Un phénomène qui risque de durer, selon les économistes.

Coup de mou chez les consommateurs ? Quand bien même la hausse des prix semble s’être durablement établie sous la barre des 2 % ces derniers mois, avec un pouvoir d’achat reparti à la hausse, la consommation en biens des Français patine. L’Insee a rapporté un recul record de 1 % de la consommation en mars sur un mois, les dépenses des ménages atteignant leur plus bas niveau depuis 2014 (hors période Covid). « C’est un phénomène qui risque de s’ancrer dans la durée », analyse Simon-Pierre Sengayrac, codirecteur de l’Observatoire de l’économie de la Fondation Jean-Jaurès. On se focalise sur la baisse des prix, mais la perception d’une pression sur le pouvoir d’achat demeure. Il y a un effet de rattrapage : les ménages n’ont pas amorti le choc de l’inflation  subie depuis 2021. »

Une morosité qui se reflète dans les derniers chiffres de l’Insee sur la confiance des ménages : l’indicateur qui mesure le moral des foyers français s’est dégradé en mai, reculant de trois points par rapport à avril où il était resté stable. Il s’est établi à 88, bien en dessous de sa moyenne historique de 100. Les Français se disent à la fois moins confiants vis-à-vis de leur situation financière que de leur niveau de vie futur. « On nous dit que l’inflation recule, mais pour nous, à la caisse, c’est toujours trop cher », souffle Julie, 32 ans, enseignante dans le secondaire. Depuis la crise du Covid et l’explosion des prix de l’énergie, cette jeune maman a dû changer un certain nombre de ses habitudes. « Nos deux salaires ont un peu augmenté en deux ans, mais bien moins que les prix », affirme-t-elle. Finies les grandes marques : elle opte pour les produits de marques distributeurs, et privilégie les préparations maison aux petits pots bébé.

« Les dépenses alimentaires sont le premier poste sur lequel les ménages coupent », constate Simon-Pierre Sengayrac. Et alors que les dépenses dites « contraintes » – transports, logement, santé, etc. – ont grimpé à 1 143 euros par mois en 2025, selon une étude réalisée par l’Institut CSA Research pour Lesfurets.com, le reste à vivre « s’est réduit comme peau de chagrin, poursuit l’économiste. On achète moins de viande, moins de poisson, moins de produits frais. Les discounters ne se sont jamais aussi bien portés », comme Action ou Normal.

Des Français moins dépensiers ?

Pour certains consommateurs, réduire la voilure sur les dépenses est aussi une manière d’assurer ses arrières. « J’épargne un peu tous les mois, c’est devenu un réflexe », confie Pierre, 38 ans, cadre dans l’informatique. S’il assure ne pas être « à plaindre », le climat économique « pèse » sur son moral. « Entre les hausses d’impôts, déguisées ou non, la fin des aides énergétiques et la dégradation des finances publiques, personne ne s’attend vraiment à ce que ça s’améliore », soupire ce père de famille. Ce qui l’inquiète le plus ? « L’enlisement budgétaire » du pays. « Je ne pense pas qu’on puisse sérieusement compter sur le système à long terme. »

Contrairement aux États-Unis, où consommer rime souvent avec s’acheter une voiture, de l’électroménager ou des vêtements, les Français affichent une appétence marquée pour les services

Anthony Morlet-Lavidalie, économiste chez Rexecode

Le recul des achats de biens traduit aussi une « transformation des habitudes de consommation », observe Anthony Morlet-Lavidalie, économiste au sein de l’institut Rexecode. « Au total, par rapport à fin 2019, on observe un recul de 4 % des achats de biens. Et la baisse concerne tous les segments, que ce soit le textile (-8 %), l’alimentation (-5 %) ou l’automobile (-5 %)». En cause, notamment, « une évolution, certainement d’ordre culturel, vers une consommation plus frugale, plus responsable aussi », estime l’économiste. Un tournant que Léa, 25 ans, assume pleinement. « C’est un peu par principe. J’évite de craquer pour des fringues ou des gadgets comme avant », confie cette infirmière, adepte des plateformes de seconde main, comme Vinted, ou de produits reconditionnés, comme Back Market. Passer commande sur les plateformes à petit prix comme Shein ou Temu ? « Jamais de la vie ! », s’exclame la vingtenaire, qui y voit une « catastrophe pour la planète et la société ». Réussit-elle, pour autant, à mettre de l’argent de côté ? « Pas vraiment, reconnaît-elle. Disons que je préfère mettre mon budget dans des sorties en semaine ou des week-ends entre amis. »

Biens en baisse, services en hausse

Préférer la consommation de services à l’achat de biens , c’est là une « spécificité française », estime Anthony Morlet-Lavidalie. « Contrairement aux États-Unis, où consommer rime souvent avec s’acheter une voiture, de l’électroménager ou des vêtements, les Français affichent une appétence marquée pour les services. C’est même étonnant : la consommation de services en volume dépasse aujourd’hui de plus de 10 % son niveau d’avant-Covid, souligne l’économiste. Il y a un vrai désir de consommer de l’expérience. » À partir des données de l’Insee, Rexecode relève ainsi une envolée de 19 %, sur cinq ans, de la catégorie « information et communication », de 18 % pour « l’hébergement et la restauration » et de 12% pour les « activités récréatives »« Autrement dit, on change moins souvent d’iPhone ou de machine à laver, mais on souscrit un abonnement Netflix et on continue à aller au restaurant le dimanche en famille », résume Anthony Morlet-Lavidalie.

La consommation représente ainsi toujours une part majeure – près de 50% – du PIB (produit intérieur brut) de la France. Mais plus que le niveau de consommation, qui, en points de PIB, reste stable sur cinq ans lorsque l’on y inclut les services, c’est le taux d’épargne record des ménages français qui retient l’attention des économistes. « Il y a historiquement en France une tradition du bas de laine », rappelle Simon-Pierre Sengayrac, de la Fondation Jean-Jaurès. « Le taux d’épargne, qui s’élevait déjà à 14,5 % du PIB en 2019, tourne aujourd’hui autour de 18 %. Cette hausse s’explique moins par la faiblesse de la consommation que par des taux d’intérêt élevés, peu incitatifs à l’investissement », analyse l’économiste. « Autant de capitaux qui dorment, et dont l’économie productive aurait pourtant bien besoin », conclut Anthony Morlet-Lavidalie.

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